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  • Les masques transparents

     

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    19. Comme il vous plaira

    Shakespeare a-t-il péché contre le Bon Goût littéraire en déclarant au grand public de son temps et du nôtre : Comme il vous plaira !? Ne se l'est-il pas joué Love Story avant la lettre en faufilant cette pastorale où deux fois deux couples, avec travesti bisexué pour corser la mise, s'en vont fleureter dans une forêt où se sont déjà retiré un Duc en exil et ses compagnons restés fidèles, fort contents au demeurant de respirer les parfums sylvestres loin des cours corrompues ? Et comment croire que l'auteur de Hamlet et du Roi Lear soit le même que celui de cette apparente bluette finissant en happy end aussi suave que dans les romans à la tisane rose de Barbara Cartland ?

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    À vrai dire, se poser ces questions, comme l'ont fait des générations de cuistres graves, revient à avouer qu'on n'a rien vu ni rien entendu de cette délicieuse parodie (qui n'en est pas vraiment une) d'un genre à peine détourné mais qui sert de prétexte a une suite de variations plus ou moins persifleuses, mais également imprégnées de tendresse, sur les thèmes de l'amour et de l'amitié, du pouvoir abusif et de la jalousie, du simple bonheur d'être au monde et de la mélancolie à l'épreuve de ce qu'il est si souvent.

    L'intrigue amoureuse principale de la pièce (l'amour évident, idéal et longtemps empêché de se déclarer au grand jour, de l'adorable Rosalinde et du non moins craquant Orlando) pourrait être fadement convenu, et pourtant il n'en est rien. Lorsque Rosalinde, déguisée en Ganymède, lance à Orlando son fameux "fais-moi l'amour !", l'humour fou de la situation va bien plus loin que l'ambiguïté pointée par d'aucuns, la provocation transgessive ou la perversion dénoncée par les puritains: c'est un jeu de masque transparent sublimé par la prodigieuse fantaisie verbale de la fille-garçon, tellement plus déliée et inventive dans son improvisation narquoise que le pauvre Orlando super-sentimental en ses vers appliqués.

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    L'être humain qui aime d'amour ou d'amitié est plus naturellement aimable que le jaloux ou le méchant, et le bonhomme public aime qu'on le lui rappelle même s'il sait qu'on est au théâtre, et Comme il vous plaira ne se dédouble pas en discours sur le théâtre pour rien (la première envolée de Jacques le mélancolique), alors que chacun joue son rôle en clignant de l’oeil, qu'il soit d'un berger philosophant sans malice ou d'un bouffon jonglant avec les paradoxes, d'un amoureux transi (le très candide Silvius) ou d'un esprit fort (Jacques le faux cynique) préférant sa solitude aux ronds-de-jambes, d’une paysanne un peu peste ou d’une fille de Duc plus stylée.

    S'il vous plaît que la vie vous plaise: comme il vous plaira, et qui reprocherait à la pièce d'embellir la donne, ou à Shakespeare son amour de la vie ?

     

  • Le fiasco de Falstaff

     

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    (Shakespeare en traversée. Comédies)

    18. Les joyeuses commères de Windsor

     Après les tragédies et la comédie plutôt noire de Shylock, loin de la Rome antique et des sanglantes intrigues de palais, cette comédie écrite par Shakespeare en moins de deux semaines (dit la légende) à la demande de la reine Elisabeth (autre donnée controversée) impatiente de voir réapparaître la bedaine de Falstaff, combine deux ou trois intrigues amoureuses assez « téléphonées » qui sont surtout l’occasion de rire d’un peu tout le monde dans le genre de la comédie d’humeurs à vives saillies satiriques et grand renfort de personnages hauts en couleurs, à commencer par le vaniteux et truculent John Falstaff.

    Celui-ci, nobliau déchu et fauché sur le retour d’âge, court deux femmes mariées à la fois, qui se jouent de lui de façon à la fois hilarante et impitoyable, alors que la fille de l’une d’elle, la belle Anne Page, convoitée par divers prétendants, faufile sa propre Love story à l’insu de tous ou presque.

    Dans une ronde un peu folle, basculant finalement dans une féerie nocturne dont la magie tient du simulacre grinçant, la comédie vaut par le relief de ses personnages et par les jeux à n’en plus finir sur le langage oscillant entre parodie à gros traits et douce folie.

    Cependant une note plus mélancolique s’y fait aussi sentir, comme en sourdine, liée à la déconfiture de Falstaff le faraud défait que ces dames, à la toute fin, n’auront pas le cœur de ne pas convier aux agapes du happy end…  


    Sources: Les 37 pièces de Shakespeare(1564-1616) adaptées par la BBC entre 1978 et 1985. Le premier coffret du Volume I des Tragédies contient 6 DVD consacrés respectivement à Titus Andronicus, Roméo et Juliette, Jules César, Hamlet, Troïlus et Cressida et Othello. Le deuxième coffret rassemble Timon d'Athènes, Le Roi Lear, Antoine et Cléopâtre, Macbeth et Coriolan. Le premier coffret des Comédies contient Le marchand de Venise, Les joyeuses commères de Windsor, Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira et La nuit des rois. Editions Montparnasse.