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  • Retour à Tchekhov

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    Notes de l'isba (30)


    Quel « pays de la haine » ? - Revenant de Pologne où je n'ai fait que passer, à peine trois jours et pour le motif essentiel d'y découvrir un nouveau musée consacré au peintre et écrivain Joseph Czapski, figure providentielle de la lutte pour la liberté et la vérité dans son pays, je reçois un message de l'ami qui, précisément, m'avait signalé l'événement avant que je ne reçoive l'invitation à l'inauguration officielle du musée, et me demande à présent ce que j'ai ressenti en retrouvant la Pologne.
    Cet ami, le photographe Krzystof Pruszkowski, qui a longtemps vécu à Paris et réside aujourd'hui à Varsovie, m'écrit plus précisément : « C'est terrible, on tremble de peur en regardant la télé ici (...) ce pays est devenu un pays de la haine, je n'ai jamais vu ça ». Et d'ajouter, se référant au rôle joué par le grand cinéaste Andrzej Wajda dans l'élaboration du musée Czapski, que j'ai eu la chance de me trouver dans « un lieu exceptionnel » et conclut que « les Wajda, il faut les défendre"...
    Or je n'ai pu, à ce message, répondre que ceci : « Moins de trois jours à Cracovie, c'est trop peu pour en conclure quoi que ce soit. Le musée Czapski est épatant comme lieu de mémoire, très riches d’archives filmées et de documents précieux, à commencer par l’immense Journal. Le nouveau pavillon est très beau et le nom de Czapski est partout. Cela m'a beaucoup ému de constater cette reconnaissance nationale à notre ami. Quant à l'état de la Pologne je ne saurais qu’en dire. J’ai bien entrevu, tard le soir à la télé, un débat qui me semblait haineux, mais je n’en ai rien compris. À Cracovie, qui reste en effet une ville d’exception, j'ai vu de bonnes et belles librairies pleines de traductions de partout et pleines de gens souvent jeunes. La collection d'art contemporain polonais au Musée national est remarquable, avec quelques Czapski de premier ordre, un beau portrait d'adolescent de ton aïeul Pruszkowski ( !) et une superbe série de Witkacy. Enfin les rues de Cracovie, les cafés, les places et les jardins publics pleins d’enfants et d’une belle jeunesse, dégagent une vitalité réjouissante. Mais l’aperçu, en trois jours reste évidemment en surface »…


    signiert-andrzej-wajda-100_v-image512_-6a0b0d9618fb94fd9ee05a84a1099a13ec9d3321.jpegLes hommes de fer. – Bien entendu, j’avais lu et entendu ce qui se passe aujourd’hui en Pologne, avec les nationalistes hyper-conservateurs remuant avec démagogie le passé d’une Pologne insuffisamment dé-communisée selon eux, mais l’inquiétude et les mises en garde, en la matière de l’Union européenne me semblaient trahir, une fois de plus, la même méconnaissance et le même mépris de ce pays martyrisé et rayé de la carte à plusieurs reprises.
    Pourtant une formule du message de Pruszkowski résumait mon sentiment profond à cet égard, selon laquelle il fallait « défendre les Wajda ».
    Ce que sont « les Wajda » ? C’est, pour ma part, le souvenir incandescent d’un des premiers chefs d’œuvre de cinéma que j’ai vu en ma prime jeunesse : Cendres et diamants, d’Andrzej Wajda, vu au cinéma d’art et d’essai Le Bourg, à Lausanne. Ou, à l’autre bout de cette œuvre conjuguant l’éthique et l’esthétique : L’homme de fer et, rejoignant explicitement le témoignage de Joseph Czapski : Katyn.
    « Les Wajda », c’est à la fois la grande intelligentsia polonaise, de Czeslaw Milosz à Leszek Kolakowski, de Witkiewicz à Czapski, de Gombrowicz à Mrozek, mais c’est aussi l’art et la spiritualité, et ce sont tous les « invisibles » qu’évoque Soljenitsyne et qu’on retrouve avec le regard de Czaspki : les gens sans grades, les Tout-le-monde de tous les pays, l’humanité sans « ismes » de Tchekhov…


    file6pdo3gdr0o2mmqlv5yb.jpgQuoi de neuf à part la bonté ? – Quoi de neuf en Pologne, à part les vieux démons qui remuent comme partout depuis la nuit des pouvoirs et de la haine ? Je dirai ce dimanche soir de 1er mai : le travail des gens honnêtes, qui sont parfois des artistes, et des artistes qui ne sont vraiment bons qu’honnêtes, comme Joseph Czapski, Andrzej Wajda, Stanislaw Ignacy Witkiewicz ou Wislava Szymborska l’auront été chacun à sa façon.
    Joseph Czapski me dit un jour, dans son atelier de Maisons-Laffitte, que le christianisme racontait essentiellement pour lui une histoire de la bonté. Or il était capable de s’ériger aussi vivement contre les chrétiens antisémites que contre les juifs réduisant les Polonais à des antisémites, les fascistes ou les communistes. Enfin un autre soir, alors qu’il perdait la vue, il me demanda de lui relire la nouvelle de Tchekhov intitulée L’étudiant, dont je venais de lui parler et que j’avais dans ma poche - la préférée de l’écrivain et qui fit venir, aux yeux du témoin de toutes les horreurs, de vieilles larmes d’enfant…

  • Le voyage qui vivifie

     

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    Après un voyage dans les Flandres, en France diverse et à Cracovie. Avec trois salamalecs à la mémoire de Joseph Czapski, Stanislaw Ignacy Witkiewicz, dit Witkacy, et Vladimir Dimitrijevic, dit Dimitri.


    Pour Andonia, Marko et Alexandre, dit Taki.


    (Dialogue schizo)


    Moi l’autre : - Alors ces voyages ? Bien profité ?


    Moi l’un : - Pfff... Qu'en dire de plus ? Tu ne trouves pas que le compère JLK en a assez écrit dans ses notes en chemin ? Et quant à "profiter", quelle horreur de verbe !
    Moi l’autre : - Bah, c'est façon de parler. Tu sais bien ce qu'ils entendent quand ils te le serinent...


    Moi l’un : - Mais je n'ai pas envie de l'entendre alors que tant de gens en bavent de par le monde...


    Moi l’autre : - Tu as mauvaise conscience ?


    Moi l’un : - La question n'est pas là. Le fait est que je voudrais juste rester conscient.


    Moi l’autre : - Donc nous n'avons rien à ajouter aux notes du sieur JLK ?


    Moi l’un : - De lui on n'attendra rien de plus ce matin vu son état de fatigue physique et je dirai bien plus: métaphysique.


    13071864_10209356206208993_4803964549978282374_o.jpgMoi l’autre : - C'est à cause de Witkacy que tu nous ramènes ce grand mot bien ronflant ?


    Moi l’un : - Oui, et en toute simplicité, au sens élémentaire d'après le physique. Au sens du sens de tout ça qui inquiétait vertigineusement Witkacy en même temps que le jeune Czapski ou que le vieux JLK...


    Moi l’autre : - Tu as pourtant entendu JLK dire ce matin à Lady L. qu'il se sentait un coeur de junior dans une fichue carcasse de senior...


    Moi l’un : - Oui et j'ai entendu Lady L. lui répondre que désormais elle se ferait livrer les courses vu sa peine à soulever le moindre quintal...

    Moi l'autre: - Disons qu'on a vu pire dans le genre croulants...


    Moi l’un : - Question, donc, métaphysique: comment dire ce qu'on ressent réellement du réel actuel dans un corps aussi vieux que la fin d'Auschwitz et le début de la guerre froide, avec des mots qui soient concevables par des kids ? Tu te rends compte que Taki, le dernier fils de Dimitri, qui doit avoir dans les vingt ans, demande ce matin à JLK s'il peut lui envoyer un texte qu'il a composé dans un atelier d'écriture ?!


    Moi l’autre : Mais c'est la preuve que rien n'est tout à fait perdu, ça: que le fils de Dimitri écrive...


    Moi l’un : En tout cas c'est la question métaphysique que n'a cessé de se poser JLK durant ce voyage, entre Calais et sa « jungle » qu'il n'a pas vu et le méli-mélo de la nouvelle Pologne qu'il a juste perçu entre les signes: comment recevoir tout ça et comment l'interpréter ? Comment transmettre ensuite ?


    13040999_10209351707616531_5671968358406067744_o.jpgMoi l’autre : - Ca me fait penser à la question de Czapski au camp de Grazowiec: comment rester humain dans cet enfer ? Et sa réponse: en tâchant d'apprendre vraiment à dessiner ce qui est comme c'est.

    Moi l’un : - J'y ai pensé en écoutant le groupe de rockers le dernier soir, à Cracovie, dans le grand café du Rynek, devant une cinquantaine de leurs fans, sans un touriste dans la salle. Le compère JLK avait l'air un peu mélancolique. Il devait se dire qu'il pourrait être le grand-père de ces kids et que la rockeuse, parfois démontée genre Nina Hagen, et parfois dans le rap, lui rappelait aussi la furia d'une Ewa Demarczyk à la fin des sixties, dans le cabaret souterrain de Pod Baranami...

    Moi l’autre : - Après ça, tu te rappelles les gueules des clients de l'hôtel vieux-style-nouveaux riches réservé par JLK sur E-bookers. Dans le salon du petit-déjeuner style palace des années 1920, autant de trognes d'anciens apparatchiks ou de néo -mafieux. Mais on ne va pas généraliser...

    13078387_10153638106438105_1528023833_o.jpgMoi l’un : - Surtout pas ! D'ailleurs c'est aussi l'une des exigences basiques de notre ami JLK: ne pas généraliser, ne pas voir que le plus noir de la nouvelle société du micmac financier et de l'obsession du profit et de l'hyperfestif conso, vu qu'il y a tout le reste.


    Moi l’autre : - Développe…


    Moi l’un : Il y a la rue, et quel contraste avec 1966! Richard Kapuscinski raconte que, débarquant à Rome en 1955 – sa première excursion à l’Ouest -, il avait la dégaine typique des gens de l'Est, avec ces fringues tristes et lourdes qu'on voyait encore en Allemagne communiste et en Pologne dans les années 60-70. À présent c'est le jour et la nuit : la jeunesse est belle et les troupeaux d'enfants en courses d'école magnifiques. En tout cas la rue de Cracovie m'a semblé aussi bien et mal portante que la rue de Nantes, avec autant de gens bien portants et un peu moins de paumés et d'agresseurs potentiels, mais on reste dans la vieille ville et c’était juste en passant, donc ne généralisons pas une fois de plus.


    13047904_10209351708776560_4082281084976338245_o.jpgMoi l’autre : - Juste en passant, JLK a pourtant vu pas mal de choses, à commencer par des classes entières de kids au nouveau musée Czapski, et la pareille au Musée national, où les toiles de Czapski sont aussi présentes que celles de Witkiewicz.


    Moi l’autre : Deux noms que le père de Taki nous a révélés dans les mêmes années 60-70…


    13063004_10209368620999355_4876109326179969476_o.jpgMoi l’un : - Witkacy, la passion du Dimitri de 35 ans, qui nous l'a révélé avec L'inassouvissement, première grande traduction d'Alain Van Crugten, avait prévu ce qu'il appelait le nivellisme, l'abrutissement collectif par le bien-être et la mentalité dancingo-sportive, mais le prophète catastrophiste ne rend pas compte des nuances de la réalité et tout n'est pas encore macdonaldisé...


    Moi l’autre : - Le compère JLK l’a dit et répété : que Witkiewicz prend en compte le poids du monde au moment où celui-ci bascule dans le XXe siècle, avec la révolution communiste accomplie et une deuxième guerre à venir, mais il y a aussi le chant du monde célébré par Bonnard – l’un des maîtres de Czapski, ou la prose du psalmiste que fut Charles-Albert Cingria, également révélé par L’Âge d’Homme, et rien n’a changé depuis Hérodote, censuré par les staliniens au motif que les tyrans qu’il décrivait pourrait rappeler quelque chose aux Polonais des années 50…


    13086896_10209356207369022_1183483543814897375_o-1.jpgMoi l’un : - Et tout change pourtant si tu regardes le détail. Rien n’est jamais pareil. Andonia, la fille de Dimitri continue L’Âge d’Homme à sa façon, et voilà qu’Alexandre Dimitrijevic, alias Taki, écrit un texte à propos de son père, en citant au passage le roman inspiré par celui-ci à Jean-Michel Olivier. Autant dire que le voyage, sous toutes ses formes, n’en finit pas de nous vivifier…

  • Nie rozumiem...

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    Chemin faisant (159)

    Hérodote au check- in.- L'avantage des interminables files d'attente au Check-in, dans les aéroports polonais, c'est qu'on y peut lire Hérodote debout tranquillement, en avançant d'un pas à chaque quart d'heure. Enfin quand je dis Hérodote, c'est par MesVoyages avec Hérodote de Richard Kapusinski, puisque j'ai trouvé hier, au café-librairie Bona, ces premiers reportages du grand écrivain-voyageur polonais dont les débuts, en plein stalinisme sourcilleux, furent marqués par la lecture des écrits de l'ancêtre des étonnants voyageurs, et cela durant son premier reportage en Inde, pays dont il ne savait rien et qui l'obligea d'emblée à se coller à l'anglais...

    9782266173018.jpg...oni jednego slowa.- La seule façon d'entrer vraiment dans un pays inconnu, a constaté Kapusinski dès son premier voyage, est d'apprendre sa langue. Bien entendu, ce n'est pas un glossaire d'hindi ou d'ourdou qui lui à entrouvert la porte de l'Inde, mais un roman d'Hemingway trouvé dans son hôtel, qui le contraignit à s'initier à la langue du colon... Dans la foulée, on rappellera que son premier reportage à Bénarès date des mêmes années où Nicolas Bouvier et Thierry Vernet roulaient vers l'Orient à bord de leur Topolino.
    Quant à ma pratique de la langue polonaise, elle reste ce qu'elle était il y a un demi-siècle à la fin d'un premier voyage de Wroclaw à Cracovie, bornée à ce pauvre aveu: Nie rozumiem oni jednego slowa - Je ne comprends pas un seul mot...

    Humilité devant ce qui est. -La dernière image que je garderai de Czapski à mon départ de Cracovie est cette monumentale photographie de notre ami, sur la hauteur d'un immeuble de cinq étages, qui m'a semblé le symbolique hommage d'un pays à l'un des siens.
    Sur le Rynek, place emblématique du vieux Cracovie, un monument émouvant rappelle l'auto-immolation d'un homme, en 1981, qui s'élevait notamment contre le mensonge perpétué à propos de Katyn. Or Joseph Czapski aura été, durant son exil, l'artisan infatigable du rétablissement d'une vérité trop longtemps occultée.
    Dans l'avion du retour, entre Cracovie et Vienne, j'ai repris la lecture de L'œil, le recueil d'essais sur la peinture de Czapski, dont le première évoque les exercices de dessin "sans aucune délectation" qu'il s'imposait durant sa captivité au camp soviétique de Grazowiec, où il composa aussi ses conférences sur Proust. "Peut-on accéder jamais à la plénitude de l'art sans suivre jamais le sentier étroit de l'humilité absolue, de la vénération du monde capté par l'œil, dans ce travail où s'avèrent possibles le contrôle objectivable de l'exactitude de l'œil et de celle de la main"...

  • Goulasch contre goulag

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    Chemin faisant (157)

    Soupe de mémoire.- Au Balaton, vieille adresse de cuisine hongroise sur Grodzka, à trois pas du Rynek, au coeur du vieux Cracovie, la goulasch fait presque le poids d'un repas, qui vous est servie dans une marmite suspendue au-dessus d'une flamme. Or je me suis régalé en me rappelant à la fois l'arrivée des réfugiés hongrois, durant le redoutable hiver 1956, et la goulash de l'amie artiste Denise Voïta, partagée un soir avec l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle, à savoir Paul Morand.
    Politiquement aussi incorrect que sa princesse roumaine de femme et que les dirigeants actuels de deux pays dont les peuples furent également malmenés, Morand reste l'honneur de la langue française et le chantre inégalé de New York ou de Venise. Quant à la goulash de L'amie artiste, il l'avait appréciée en nous racontant sa Mitteleuropa à lui. À l'instant , flash incongru, je me rappelle ses mocassins crème et ses mains d'homme à femmes battant au-dessus de la table en flageolant un peu...

    Internet via Auschwitz.- J'ai cherché ce matin un café rouge et or que nous avions hanté, avec des amis, d'abord en 1966 puis après la chute du communisme, mais pas moyen: les bureaux de change, les kebabs, le MacDo et les boutiques pour touristes ont tout nivelé.
    Pourtant ce n'est pas d'hier que les marques se sont pointées en Pologne. Celle de Cardin m'avait frappé, cette année-là, peu après la chute du mur, sur cette place de Varsovie entièrement détruite à la fin de la guerre et reconstruite à l'identique, genre décor de théâtre baroque, que des milliers de petits marchands débarqués des campagnes de l'Est et de nulle part avaient investie pour y vendre tout et n'importe quoi. La contribution parisienne à la misère du monde... Et maintenant, rue Florianska, les propositions des Tours Operators foisonnent, destination Auschwitz, entre un atelier de tatouage et le dernier Starbucks...

    13054972_10209356206529001_3077825120205690430_o.jpgWitkacy visionnaire.-Le nivellisme sera votre avenir: telle fut la prédiction de l'écrivain-peintre-philosophe Stanislaw Ignacy Witkiewicz, surnomé Witkacy, qui se suicida en 1939 avec la femme qu'il aimait alors que son pays était pris en tenaille par les nazis et les communistes, ainsi qu' il l'avait annoncé.

    13063392_10209356206569002_7090629093383117979_o.jpgMais quel électrochoc reste alors sa folle peinture, non loin de celle de Czapski, à l'étage du XXe siècle bien représenté, au Musée national de Cracovie, quel piment de goulash contre le mortel souvenir des camps de la mort nazis et du goulag...

    Trêve cependant de souvenirs de cendres, et qu'étincèle le diamant du jour !

    Parce que les marques ne sont pas pires que quarante ans de communisme. Parce qu'on voit partout de joyeux troupeaux d'enfants et d'ados, conduits par leurs instits et leur profs par les rues et les musées, les églises et les jardins publics. Parce que la vie est plus forte que le nivellisme, n'en déplaise à notre cher catastrophiste dont la lucidité nous retient pourtant de céder à l'euphorie...

  • Terre inhumaine

    13047904_10209351708776560_4082281084976338245_o.jpgChemin faisant (156)

    Bis repetita. - Un président chinois qui se la rejoue Grand Timonier, un potentat russe à la botte des mafias, un milliardaire démagogue menaçant de débarquer à la Maison Blanche, une Europe s'alliant avec un autre despote ottoman parjure pour rejeter des migrants à la mer ou à la mort: décidément on serait tenté de désespérer de l'humanité si celle-ci n'était pas capable aussi de s'opposer au pire et de produire, parfois, le meilleur; et tout à l'heure, au nouveau musée honorant la mémoire de Joseph Czapski, à Cracovie, j'observais un ado et un tout vieil homme au milieu des nombreux films d'archives documentant les tragédies du XIXe siècle que furent deux guerres mondiales, deux totalitarismes non moins meurtriers et autant d'injonctions sur le thème du "plus jamais ça", sans autres lendemains que ceux qui déchantent - et ces deux-là étaient bien vivants, ou survivants comme nous tous...

    13048135_10209351708896563_1430891375496084978_o.jpgArtiste et témoin. - Ce qu'on voit au nouveau musée dédié à Joseph Czapski, annoncé à grand renfort d'affiches géantes et de banderoles, est revigorant autant que le geste du pape argentin ramenant, même symboliquement, des migrants syriens honteusement taxés, sur un site romand dont j'ai honte, de nouveaux colons... 

    De même, rampant devant Staline, de présumés défenseurs de la liberté et de la justice ont-ils entretenus, durant des décennies, le mensonge éhonté selon lequel les milliers d'étudiants et de militaires polonais exécutés par les Soviétiques l'avaient été par les nazis. "Détail de l'histoire", pour les cyniques, mais il faut voir,sur tel document filmé, le rescapé de Katyn Joseph Czapski braver les lécheurs de bottes alliés dont la première trahison avait coûté la liberté à sa patrie. 


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    Peintre de la vérité.
    - Au demeurant, ce n'est pas d'un idéologue qu'on entretient ici la mémoire, mais d'un témoin et d'un artiste. Soit dit en passant, il faut relever le formidable travail de conservation et de restauration accompli pour sauver l'ensemble des carnets de Czapski, inestimable témoignage écrit, enrichi de milliers de dessins, courant de la jeunesse de l'idéaliste tolstoïen à nos jours, en passant par deux guerres et une vie à tenter de cerner la vérité de cette terre des hommes trop souvent inhumaine.

    "Czapski peint la vérité," écrivait aussi bien notre ami Richard Aeschlimann qui, je le relève avec reconnaissance, a fait don, avec sa femme Barbara, des plus beaux tableaux illustrant l'art du peintre en ces murs. 

    13064470_10209351707536529_7385798302857306879_o.jpgVérité des visages, vérité des gens dont la chair pèse son poids de douleur, vérité aussi de la lumière du monde, de la nature et de l'âme humaine ressaisies par l'art de Czapski aux couleurs si vives.

    Et ceci encore: que mon premier souper à Cracovie a consisté en une goulasch avec choucroute et cornichons, précédant un Tartare saignant à faire fuir mes amis antispécistes. Et mes amis politiquement corrects, qui réduisent les Hongrois et les Polonais à d'infréquentables néo-nazis, compléteront leur jugement en apprenant qu'il y avait là un trio de musiciens tziganes qui alternaient les romances françaises (C'est la vie, etc.) , les csardas de la puszta A.O.C. et les inévitables rengaines russes...

  • En repartance

    1805591457.2.jpgChemin faisant (156)

    Czapski à l’honneur national. - Nous n’avions pas défait nos bagages, au retour de notre virée par les Flandres et la douce France, que, dans notre courrier amoncelé, je tombai sur un carton d’invitation à l’ouverture du nouveau pavillon du Musée national de Cracovie tout entier consacré à la mémoire de Joseph Czapski. Parallèlement, un ami photographe polonais, Krzystof Pruszkowski, m’avait envoyé les détails de la manifestation par courriel, où les noms « historiques » d’Adam Michnik et d’Andrzej Wajda figuraient parmi ses hôtes d’honneur, jouxtant celui du poète Adam Zagajewski, figure majeure de la littérature polonaise actuelle.
    Or je ne pouvais assister à cette inauguration solennelle de portée nationale, vu qu’elle s’était déroulée le jour même de notre retour, et je ne le regrettai point trop vu mon peu de goût pour les officialités, mais l’impatience de « retrouver » Czapski par le truchement de ses œuvres de peintre et d’écrivain, autant que par les documents témoignant de son parcours à travers le terrible XXe siècle, m’a décidé à faire le voyage de Cracovie sans plus attendre, laissant Lady L. à la garde vigilante de Snoopy…

    medium_solidarnosc.3.jpg50 ans après… - Il y a cinquante ans de ça, deux jeunes gens qui venaient de passer leur bac au Gymnase de la Cité, à Lausanne, débarquaient à Cracovie à bord d’une 2CV quelque peu cabossée, bientôt baptisée Brzydula (la mocheté, le tas de ferraille...) par leurs amis polonais. L’époque était aux débuts du gauchisme, la Pologne se trouvait sous la chape du socialisme réel dont nos deux lascars allaient découvrir le poids, la renommée d’un empêcheur de ronronner au théâtre, du nom de Jerzy Grotowski, leur était parvenue,mais ce fut dans une cave vibrante de folle bohème qu’ils découvrirent alors l’esprit frondeur de la Pologne artistique, notamment par la voix grave et lancinante d’Ewa Demarczyk.
    czapski_bar.jpgC’est à cette première découverte que je penserai demain en foulant le pavé de la place fameuse, mais depuis lors, et à travers les années, le génie de la Pologne n’a cessé de m’accompagner sous les multiples visages du génial et protéiforme Witkiewicz – véritable héros de notre jeunesse littéraire -, de Gombrowicz et de Mrozek, ou de Penderecki en musique, et bien entendu de Joseph Czapski que nous avons découvert grâce à Vladimir Dimitrijevic, et ensuite vu et revu dans le milieu privilégié de la Maison des Arts de Chexbres, aux bons soins de Richard et Barbara Aeschlimann qui ont été les plus fidèles amis et fervents soutiens romands du peintre, l’exposant à de multiples reprises jusqu’à la grande rétrospective du Musée Jenisch et l’exposition marquant le retour de Czapski en Pologne, consacrée en majeure partie aux œuvres prêtées par les collectionneurs de nos régions.

    1040773836.3.JPGNos amis plus que vivants.– Czapski est mort, son grand ami Thierry Vernet et sa chère Floristella sont morts eux aussi, Dimitri le passeur est mort, tout comme Jeanne Hersch proche aussi de Joseph, ou « Kot » Jelenski et le Nobel Czeslaw Milosz, et pourtant tous ces hérauts de l’Europe des cultures restent vifs en nos cœurs et leurs œuvres continuent de perpétuer un idéal intellectuel et artistique, une éthique et une spiritualité dont nous avons plus besoin que jamais en ces temps chaos mondial et de fuite en avant, d’abrutissement collectif, de repli sur soi ou de cynisme.

    Vivent donc nos chers disparus et tâchons de les mériter…