
Celui qui va direct aux pages sportives du Paìs / Celle qui est déçue par la météo du jour et le fait remarquer à son conjoint Ernesto qui rouspète à son tour / Ceux qui constatent que l’édito du journal auquel ils sont abonnés depuis 1963 confirme une fois de plus leur désaccord avec la nouvelle ligne d’icelui et décident de rédiger une lettre de lecteurs cosignée au niveau du couple / Celui qui allume le feu avec l’édito du Diario de Noticias / Celle qui s’intéresse essentiellement aux pages conso et déco et les découpe et les colle dans un Cahier Pratique qu’elle compulse quand elle se fait chier à Torremolinos / Ceux que la dérive de l’info vers la conso a ramené à la lecture des Classiques genre Quevedo / Celui qui affirme que la lecture matinale du journal lui tient lieu de rencontre avec l’Humain et sa compagne Juana précise: le Trop Humain, mais leurs voisins de palier les de La Flores Pedro et Maria ne pigent pas l’allusion à Nietzsche (philosophe allemand) ce qui ne les empêchent pas tous quatre de partager de bons moments à la canasta dans le condominium de Bagur / Celle qui a trouvé un job au Centre de jeu excessif où elle tombe amoureuse d’un addict au trictrac / Ceux qui fuient la prétendue réalité dans le prétendu virtuel mais se retrouvent plus volontiers au café El Negre / Celui qui attaque le testament de sa tante afrikaner dont le journal a célébré les gains au casino à la grand époque de Rika Zaraï / Celle que son veuvage a rendu plus cupide que le défunt / Ceux qui ont compris très tôt à quoi correspondaient les postures de gauche de leurs camarades des beaux quartiers de Murcia / Celui qui affirme que ce que le journal appelle sa génération est un abus de langage / Celle qui des jumeaux Alonso a choisi le militant trotskyste futur avocat d’affaires alors que sa sœur se rabattait sur l’apolitique aujourd’hui au chômage / Ceux qui se reconnaissent dans la rue puis se ravisent en se rappelant qu’ils se sont insultés trente ans plus tôt à Grenade et qu’aucun ne s’est excusé à l’autre et inversement s’entend / Celui qui a préféré reprendre la fabrique de chaussures de son père plutôt que de céder au chantage affectivo-politique de son ex Maria actuellement syndicaliste au plus haut niveau et remariée à un homo notoire ce qu’elle ignore ou feint d’ignorer on ne sait jamais avec elle / Celle qui te dit à l'hostal d'Almarìa qu’il faudrait que tu la relances avec un message subliminal dans le regard affirmant le contraire que tu reçois 5 sur 5 et qui t’arrange vu que les intellectuelles languides n’ont jamais été ton fort et qu’elle sent un peu la nonne transie / Ceux qui se lèvent tôt pour jouer une rôle dans l’économie mondiale / Celui qui fait des patiences dans son coin pendant que Mario Soares parle à la télé à l’indifférence manifeste des plantes vertes / Celle qui n’a jamais aimé l’ambiance des réus du Parti avec toute cette fumée et ces mec agressifs / Ceux qui te trouvent politiquement suspect mais n’osent pas te le dire vu que tu peux leur être socialement utile / Celui qui rappelle à tout moment qu’il était en Afrique du Sud en 1975 ce qui en impose de moins en moins aux jeunes camarades nés en 1985 et suivantes / Celle qui a croisé le futur prix Nobel J.M. Coetzee dans une supérette du quartier de Tokai où il lui a ramassé un paquet de chips tombé de son caddie / Ceux qui se disaient racistes à dix-sept ans mais dans un sens punk enfin tu vois ce qui mène aux botellones / Celui qui se promet de faire aujourd’hui un grand tour sur le sable de la grève perlée pour se laver de la lectures des tabloïds / Celle qui prépare une soupe à la courge dans la maison bien chauffée de Cabo de Gata / Ceux qui lisent les journaux avec attention et sans sauter la page des morts, etc.
Dans cet hostal des quartiers populaires, ma chambre se trouve sur la terrasse du toit, juste sous les étoiles. C'est une cellule de trappiste dont le lit, le volet intérieur de la fenêtre et la porte sont du même fer peint vert céladon.Enfin il y a, sur une tablette branlante, une carafe d'eau claire et un verre modeste. Par la porte ouverte on voit la Giralda et des publicités lyriques.
Ce qui est le plus étonnant, quand on ne sait rien d'eux, c'est le sérieux des Espagnols. Il y a des clubs de notables, des réunions de poètes et des palais du jouet. Il y a, sur le zinc des bars, des serviettes en papier à foison qui sont utilisées gravement dans l'exercice de manger des douceurs.
Par la porte entrouverte de la chapelle on l’entend tonner, dans l’ombre où tremblotent les quinquets des cierges et moutonnent les mantilles de vieilles esseulées, le Savonarole de quartier dont la cellule austère est sûrement ornée du portrait de Franco, qui vitupère la “contestacion”, la “pornografia” et “las relaciones sexuales prematrimoniales” tandis que passent, dans la rue ensoleillée, des garçons et des filles fleurant le printemps et n’ayant visiblement de cesse que de se connaître selon la Bible...