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  • Chemin faisant (77)

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    Sainte rocaille. - Nous aurons donc "fait" las catedralas, comme nous avons "fait" los bufones. Les unes et les autres, également classés monuments naturels nationaux, constituent un must touristique côtier, avec une préférence aux cathédrales de pierre, par rapport aux bouffées d'écume, n'était-ce qu'à considérer les parkings et les aménagements bétonnés et autres marchands de pacotille pour celles-là.

    Chemins72.jpgMais que sont donc Las catedralas ? Ce sont des roches trouées et sculptées par l'eau, le sable, le vent et le temps. La main humaine n'y est pour rien. D'aucuns y voient le job de Dieu, mais ça se discute. Ce qui importe est d'ailleurs le résultat, espectacular assurément: à savoir les cavités voûtées, les pilastres semblant posés sur le sable doucement consentant, des esquisses de portiques rappelant un peu Gaudì et des arches ornées tout de même inférieures, artistement parlant, à celles d'un facteur Cheval, ce visionnaire à brouette.   

    Du tragi-comique. - Au fil de ses pérégrinations sur le Chemin de Compostelle, l'académicien dromomane Jean-Christophe Rufin qualifie de "tragédie contemporaine" le phénomène économique et culturel du tourisme de masse. En ce qui me concerne, j'y vois à la fois une comédie, qui n'a pas encore trouvé ses dignes chantres, à l'exception d'un Houellebecq. Goya s'est fait le contempteur véhément et génial des désastres de la guerre, mais pour le tourisme de masse, c'est peut-être Reiser qui en a été le premier illustrateur. On voit la nuance du tragique au comique...

    À l'étape de las catedralas, une ravissante Joselita, visiblement en instance de mariage, folâtrant sous les arches en se prêtant au rite de la photographie, faisait virevolter sa robe virginalement blanche d'organdi ou de satin à traîne de tulle soyeux serpentant dans le sable. Or il est probable que Reiser l'eût épargnée, mais le comique y était...

     

    Otros monumentos. - Si l'encombrement des parcs souterrains de la sainte cité ne nous en dissuade pas, nous irons tout à l'heure "faire" la messe de Saint Jacques, avec moult véritables pèlerins et pèlerines dont nous ne sommes point. Ce qui ne nous empêche pas de rêver, solidairement avec le peuple espagnol et toutes les nations du monde menacés par La Dette et bénéficiant d'une nature inventive, à d'autres monuments naturels à classer.

    Qu'on pense aux magnifiques forêts d'eucalyptus ou aux marées successivement montantes et descendantes de la côte: après les bufones et les catedralas, il y a là un potentiel marketing d'avenir. De même la lluva  - rien que le mot fait saliver-, la pluie de novembre cantabrienne, asturienne voire galicienne est-elle à classer monument naturel avec ses variantes de subtiles bruines pénétrantes ou de trombes aussi tonitruantes que féroces.

    Rien de naturel en revanche dans l'obstination du radiateur gris militaire de notre chambre de la belle maison de pierre sévère et de bois grave de l'hôtel Trabadelo, sur les hauts de Vegadeo, à rester aussi glacial que le regard du Grand Inquisiteur. J'ai noté "militaire" et je me rappelle alors la sentence du pertinent Clémenceau déclarant que le seul terme de "militaire" incite à la défiance, tant il est vrai que la justice militaire n'est pas la justice, ni la musique militaire n'est de la musique, et qu'un radiateur gris militaire a vocation de rester froid...       

     

  • Le Chemin et ses détours

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    Notes en chemin (83)

     

    Pèlerin "malgré lui". - Depuis notre escale à Saint-Jean Pied-de-Port, et bien plus encore en ces régions de Cantabrie et d'Asturies, notre route n'en finit pas de recouper la voie, marquée par la fameuse coquille de Saint-Jacques, des pèlerins de Compostelle, à vrai dire rares en cette saison. Dans une bouquinerie visiblement marquée par l'indépendantisme basque, à Saint-Jean, la librairie, férue d'anarchisme et qui venait d'assister à un concert de Paco Ibanez à Camo, m'a fait comprendre que jamais, pour sa part, elle ne ferait Le Chemin, désormais programmé par des Tours Operators et drainant des troupeaux de marcheurs pour ainsi dire conditionnés.

    Chemins70.jpgOr cette prévention était celle, aussi, de l'écrivain Jean-Christophe Rufin, avant qu'il ne se mette en route et se fasse rattraper, à l'étape d'Oviedo, par une spiritualité dont il se défiait jusque-là. Du récit limpide et réaliste qu'il a tiré de son périple, dont l'énorme succès l'a étonné, il a tiré une nouvelle version, illustrée par son ami le photographe québécois Marc Vachon, dont nous pouvons mieux apprécier l'apport sur les lieux mêmes.   

    021.jpg019.jpgSantillana del mar. - En passant par le  bourg de Cantabrie que Jean-Paul Sartre qualifie de "plus beau village d'Europe", dans La nausée, Jean-Christophe Rufin n'a pas été plus charmé que nous, qui n'y avons vu qu'une espèce de village-musée aux magnifiques maisons médiévales réduites, faute de vie locale (à part l'exploitation touristique) à l'état de clinquant décor de film historique. "Santillana del mar m'a retenu dix minutes, écrit l'académicien pèlerin, le temps de boire un jus d'orange dans le patio d'un restaurant. Aucune des serveuses que j'interrogeais ne connaissait le village. Elles venaient toutes d'ailleurs, recrutées pour la saison estivale".

    Et de déplorer, alors, une "tragédie moderne qui se nomme le tourisme de masse", que nous avons déjouée, pour notre part, en nous pointant en ces lieux un 20 novembre, pour trouver le vide sans âme d'un village àpeu près désert au lieu du trop-plein. Pas de quoi nous donner la nausée, mais rien pour se réjouir non plus...  

     

    012.jpgCulture terrienne. - Demain nous serons à Oviedo, départ du Camino primitivo dont Jean-Chrisophe Rufin dit qu'il a marqué un tournant décisif dans ce qui est bel et bien devenu pour lui une quête spirituelle, mais en attendant nous aurons fait encore deux étapes dignes d'être recommandées: la première dans une très bonne auberge de pierre et de bois, à Puertas de Vidiago, non loin des falaises à bufones, à l'enseigne de la Casa Poli dont la table réalise la perfection de l'art culinaire paysan à la mode asturienne, associant grande qualité et raisonnable dépense. Enfin, un crochet par le Musée ethnographique de Porrua, à peine écarté du Chemin, nous a permis de découvrir les reliefs émouvants d'une culture paysanne pauvre dont les instruments aratoires, outils d'artisans et autres objets usuels de la vie quotidienne se trouvent mis en valeur dans un ensemble de maisons simples et belles dont la première est un typique horreo, genre grenier sur pattes tout semblable à nos mazots valaisans. Or, décrivant précisément ces constructions séculaires, contrastant avec "la prétention sophistiquée et qu'on espère éphémère des lotissements qui défigurent la côte", Jean-Christophe Rufin relève également la spiritualité qui émane des sanctuaires préromans de la région, témoignages d'un christianisme humblement vécu: "Quelque chose d'âpre, de primitif et en même temps d'une grande noblesse m'a tout de suite frappé dans les Asturies"...   007.jpg

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    Jean-Christophe Rufin. Immortelle randonnée - Compostellemalgré moi. Edition illustrée par le photographe Marc Vachon. Gallimard, 232p.