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  • Vers la littérature-monde

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    medium_mabanckou.gifJonathan Littell, Nancy Huston et Alain Mabanckou
    vivifient la littérature de langue française


    L’attribution de quatre prix littéraires des plus prestigieux, cet automne, à l’Américain Jonathan Littell (Prix Goncourt et Grand Prix du roman de l’Académie française), à la Canadienne-Française Nancy Huston (Prix Femina) et au Congolais-Français Alain Mabanckou (Prix Renaudot), fait figure d’événement significatif dans une France littéraire en perte de vitesse. Ainsi que l’auteur des Bienveillantes le relevait lui-même dans un entretien exclusif accordé au Monde (en date du jeudi 17 novembre dernier), les ténors de la littérature mondiale actuelle ne sont pas français mais le plus souvent issus de pays ou de grands chocs suscitent des œuvres fortes. C’est Amos Oz l’Israélien ou Orhan Pamuk le Turc, les Sud-Africains Nadine Gordimer ou J.M. Coetzee consacrés par le Nobel, Philip Roth et John Updike ou Joyce Carol Oates entre vingt autres Américains passionnants, le Nigérien Wole Soyinka ou le Portugais Antonio Lobo Antunes, et nous en passons. Cela ne signifie pas pour autant que la France littéraire actuelle soit sans intérêt, loin de là : les écrivains de qualité y foisonnent, mais les voix de portée « universelle » n’y sont plus, comparables à l’extraordinaire pléiade de la première moitié du XXe siècle, de Proust à Bernanos en passant par Céline, Gide, Malraux, Camus et tant d’autres.
    Or, en dépit d’un indéniable creux de vague (y a –t-il aujourd’hui un seul grand écrivain français vivant de moins de 80 ans ?), le milieu littéraire français continue de pontifier comme si Paris restait le centre du monde et l’étalon du goût et de la qualité.
    Il est cependant émouvant, et même admirable, qu’à une époque où toute une société littéraire française tend à disparaître, avec ce qu’elle avait de peut-être désuet mais aussi de fidèlement respectueux, le roman d’un jeune Américain soit couronné par deux académies. Est-ce à dire que Jonathan Littell renouvelle notre langue ? Nullement. En revanche, c’est bien dans notre langue que le jeune écrivain produit Les Bienveilllantes, cette œuvre puissante et dérangeante qui exorcise la double régression des crimes collectifs du XXe siècle et de l’éternel inceste, en invoquant les sources de la tragédie grecque. S’il ne réinvente pas notre langue, Littell la tire vers l’universel et sans doute cela fera-t-il voyager son livre autour du monde. D’une façon analogue, ce n’est pas l’originalité d’un style qui vaut la reconnaissance à Nancy Huston mais la même haute ambition de retracer quelques destinées individuelles à travers le même XXe siècle. Enfin, la source de l’Afrique ancestrale irrigue l’imaginaire et la langue d’Alain Mabanckou, avec une vitalité que trop souvent Paris sous-estime, comme il en va de tant d’œuvres francophones.
    Lors du Festival de littérature francophone qui se tint ce printemps à l’enseigne du Salon du livre de Paris, Bernard Pivot s’est félicité, en présence d’Alain Mabanckou qu’il a défendu dès ses débuts, de l’enrichissement de la littérature française par ses « périphéries ». Reste à constater que lesdites « périphéries » pourraient bien devenir centrales, au dam d’écrivains français de France qui continuent de se considérer comme le nombril de la République des lettres. Ainsi, au frileux frisson d’horreur qui secoue l’académicien ex-avant-gardiste Alain Robbe-Grillet lorsque Tahar Ben Jelloun se risque à lui demander s’il se tient lui-même pour francophone, s’oppose l’ouverture au monde, la générosité et le sérieux d’écrivains « multiculturels » qui revivifient la littérature en train de se faire.

    Cette chronque a paru dans l'édition de 24Heures du 25 novembre 2006.

    A suivre ces tout prochains jours: un entretien avec Nancy Huston sur le thème de la littérature-monde, réalisé le 30 mars 2007 à Paris