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Dantec rocker mystique

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Avec Grande Jonction, son nouveau « monstre » épico-théologique sur fond d’Apocalypse et de folles inventions de SF pop, le romancier poursuit une fresque fascinante en dépit de ses pesanteurs.

Maurice G. Dantec, « exilé » au Canada depuis quelques années par rejet véhément de la vieille Europe et du milieu médiatico-littéraire parisien par trop « politiquement correct » à son goût, est un « auteur culte » assez proche d’un Michel Houellebecq, par ses détestations et provocations, son fonds de culture rock et son goût pour les conjectures de la science fiction. Dans ses deux derniers romans, Cosmos incorporated (Albin Michel, 2005) et Grande Jonction qui en constitue la suite directe, Dantec, nouveau baptisé à dégaine de cyborg, affirme son originalité en brossant une fresque catastrophiste, située à la fin du XXIe siècle, toute nourrie de ses lectures des Père de la tradition catholique, et autres grands auteurs mystique, de Basile de Césarée (pour son traité sur le Saint-Esprit) à Jean Cassien (pour son traité de l’Incarnation), en passant par Duns Scot ou Joseph de Maistre, notamment. La méditation sur le Mal qui s’y développe, incriminant une humanité décervelée et dénaturée où l’individu libre et unique serait remplacé par une morne sous-humanité esclave de faux prophètes flatteurs, va de pair avec l’exaltation de la Musique (le Très Saint Rock’N’Roll, dont le livre est plein des échos de la Légende Dorée, mais pas seulement) et de l’Amour, au sens où l’entendait un certain Dante... Or comment tout cela tient-il ensemble et debout ? Essentiellement par l’indéniable génie de conteur-visionnaire de Maurice G. Dantec, dont le souffle, et d’extraordinaires intuitions, font passer de trop lourdes pages érudites ou de non moins fastidieuses évocations de combats pour la Juste Cause.
Il y a du western manichéen et de la bande dessinée dans Grande Jonction, mais les observations et réflexions du romancier, rejoignant celles des contre-utopistes du XXe siècle, de Kafka à Orwell, s’incarnent bel et bien malgré le caractère souvent stéréotypé de ses personnages.
Au premier rang de ceux-ci, qui pourrait être ridiculement kitsch, genre New Age, mais s’impose néanmoins comme un héros de roman de chevalerie, voici l’adolescent Link de Nova, l’enfant mystérieux venu au jour à la fin de Cosmos incorporated et qui a le pouvoir de « guérir » les machines et, bientôt, d’enrayer la nouvelle peste menaçant l’humanité de cette fin du XXIe siècle, laquelle s’en prend à ce qui constitue l’unicité de l’espèce : le langage humain.
Ce Mal, qu’on appelle La Chose, vampirise littéralement les individus survivant après moult catastrophes, dont le Grand Djihad et les guerres dévastatrices qui en ont découlé. Pis encore : c’est à toute forme d’écrit que va s’en prendre plus tard La Chose, effaçant toute mémoire de la surface de la planète. Or Link de Nova et ses amis néo-chrétiens vont accueillir, dans ces ultimes régions protégées de la Heavy Metal Valley (sur les anciennes terres mohawk), une Sainte Bibliothèque envoyée du Vatican, ultérieurement ratiboisé par les nouveaux barbares, qui symbolise l’ultime héritage des résistants et leur arme de reconstruction massive....
A résumer ainsi près de 800 pages, la chose pourrait sembler caricaturale, voire débile. Or s’il est vrai que Dantec agace parfois par certains débats fleurant la dissertation, et si le récit pâtit parfois d’un ton sentencieux ou d’un lyrisme pompier, Grande Jonction saisit en revanche par la beauté de ses évocations et sa façon à la fois naïve et pénétrante de moduler ses thèmes, emportant finalement le morceau par sa défense de l’imagination et de la fiction, dans le mouvement même de la création.
Maurice G. Dantec. Grande Jonction. Albin Michel, 774p.

Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 12 septembre 2006.

Commentaires

  • Bonjour.
    Est-ce que, de temps à autres, durant quelque seconde, vous faites autre chose qu'écrire ? Impressionnant, votre rythme...
    Je suis assez d'accord avec nombre de vos remarques sur ce roman.
    Cordialement.

  • Mais voyons camarade, il y a vingt-cinq heures dans la journée de l'Ouvrier, et je me reproche d'être encore trop paresseux, même si je le suis un peu moins qu'à vingt ans. Cependant il est vrai que lire et écrire prend trop de temps alors qu'il y a tellement à voir dans les cafés et à grappiller sur les chemins; et puis à présent flûte, je vais ruser car j'ai une envie physique de peindre, et ça c'est vraiment le bonheur. Hélas, à propos de Dantec, je n'ai pas dit le dixième qu'il y a à dire, mais je compte bien y revenir et je vais aller voir, maintenant, ce que vous en dites dans votre Terrible Zone. Je vous souhaite des nuits bien blanches et d'écrire et de lire comme vous aimez

  • Oh, n'en attendez pas trop, sur Dantec, j'ai dit depuis longtemps ce que j'avais à dire : en fait, depuis mon papier sur Villa Vortex...
    Au fait : comment faites-vous pour conserver dans vos liens le ridicule Assouline ? Je puis vous dire, et je suis plutôt avare de compliments, que ce que vous écrivez est au moins à mille coudées au-dessus de sa tête...
    Cela fait un moment que je lis votre blog, je vais peut-être vous mettre en lien, même si cela ne vous plaît pas !
    Cordialement.

  • Je suis une espèce de démocrate forestier, voyez-vous, malgré tout. Je ne suis pas du tout helvétiste mais je suis farouchement Helvète, c'est-à-dire Alémane Lémanique à tendance mitteleuropéenne. Comme je parle français et que je suis fou de Paris et de la France, je me sens très proche de vous autres, tout en restant très, très ailleurs. Un de mes ancêtres est un prêtre siennois, un autre chercheur d'or, une autre faisait partie des gouvernantes de Nabokov, ainsi de suite. Et Pierre Assouline là-dedans ? Je lui suis reconnaissant, entre autres, de m'avoir fait découvrir la pratique du blog et d'avoir écrit une magnifique biographie de Simenon, lequel était mon voisin certaines années. Donc ma reconnaissance me fait pécher, vous voyez cela ? Pour le reste, chacun est libre, comme suggéré plus haut. J'ai lu tout ce que vous écrivez sur Dantec, c'est très bien mais je vous mets juste en garde contre trop de haine, comme je le reproche aussi au bouillant Maurice G.. Vous manquez un peu d'humour tous les deux. Prenez-vous assez de phosphate ? Et n'est-ce pas le moment de faire des enfants mon garçon ? C'est la pire bénédiction que je vous souhaite. Et je vous adresse mes cordialités matinales.

  • Manquer d'humour, moi, alors que je ris tout seul en lisant certains de mes portraits de nains et mégères ?
    Cher progéniteur, c'est que vous ne me connaissez tout simplement pas et, by the way, ne savez rien par-dessus le marché de ma vie privée, donc, vos recommandations, cher JLK...
    Vous auriez dû être là, avec moi, hier soir, dans un grand hôtel parisien où, avec Dantec, nous rigolions de la nullité de Durand qui n'a évidemment pas lu plus de quelques lignes de Grande Jonction...
    De la même façon, vous ne connaissez pas Dantec, qui est une des personnes les plus simples, cordiales, humbles et charmantes que je connaisse...
    Vos certitudes m'emmerdent, surtout qu'elles ne correspondent pas à la réalité et, avant de lâcher quelque nouvelle ânerie (bien gentille, je l'admets), veillez à vous cuisiner un bon poisson (rapport au phosphore)...

  • Je lis votre charmant commentaire juste après vous avoir ajouté à mes liens. C'est vous dire combien mes certitudes sont contradictoires. On ne se refait pas...

  • Et vous êtes d'ailleurs chez moi (pas dans les Nains et mégères)...!
    Question conne, quels sont vos prénom et nom, à moins qu'ils ne soient non-révélables ? Dites-le moi par mail.
    A vous.

  • Ah ! Cher JLK, je vous le confirme : Maurice Dantec est tel que Juan le décrit : humble, cordial... Quant au sens de l'humour, je crois surtout que ce sont leurs lecteurs qui, parfois, en manquent. Comme les miens d'ailleurs. Tenez, pas plus tard qu'aujourd'hui, une simple intervention, à peine agressive, sur un forum de science-fiction, m'a valu de lire les lamentations de nombreux habitués, comme si tout cela était vraiment sérieux !

  • Je prends note de vos deux notes. Okay. Mais à présent, j'attends impatiemment la Black Box de Dantec, dont j'apprécie beaucoup les deux volumes du Journal, notamment pour ce qu'il dit parfois de sa vie avec les siens, justement. Ce qui me passionne aussi, c'est son évolution. C'est pourqoi je ne comprends pas Juan qui dit qu'il a déjà tout dit de lui. Mes nom et prénom ? Ils figurent, avec mon mail perso, sous la mention A propos de ce blog, qui m'a l'air plus qu'explicite...

  • Ah oui, pardon, c'est corrigé désormais sur le blog, merci.
    Jean-Louis : j'ai un problème avec Dantec, comme je le dis dans ma dernière note consacrée à son roman. Bien sûr que Dantec est vivant, et diablement : je suis très impatient de lire la suite de ses romans (ayant eu le privilège de lire il y a quelques mois le manuscrit de son TDO3) mais, pour l'instant, je n'ai pas senti une inflexion majeure dans les problématiques traitées, celles-là mêmes que j'ai exposées dans mes papiers sur Villa Vortex et Cosmos Inc.
    J'ai pourtant lu avec attention, promis.
    Mais peut-être... oui, peut-être dois-je veiller à ne pas enfermer Dantec dans certaines thématiques qui me sont chères... En tout cas, il me semble que sa dévolution du langage ne fait que confirmer mes analyses sur la logocratie de cet auteur fascinant...

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