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Ceux de l'Ange


Angetombé.jpgOù l’on retrouve un groupe de jeunes poètes, à Fribourg, dans les années 70. De la fascination exercée par la belle Galia. Du vin de Samos et des révélations métaphysiques liées à la consommation de la Fleur Bleue.

Le jeune poète se tenait sur le quai de la gare dans son long manteau de poil de chameau bleu nuit au col duquel s’enroulait une longue écharpe de laine blanche sûrement nécessaire à se protéger du froid de Fribourg, donc ce devait être en hiver et l’on boirait plus tard des vins chauds à l’Auberge de l’Ange, mais alors j’en ignorais encore tout, et du plaisir à la catholique et des sortilèges de la Ville Basse.
Frédéric semblait sortir d’un roman tant il était réel. Sans poser il se dessinait en fines touches fluides sur un fond qui prenait aussitôt une valeur picturale de consistance antinomique, disons à la Francis Bacon, tel le pan de mur fraîchement repeint couleur de foie cru sur lequel il restait nonchalemment appuyé en détaillant toute une liste de choses que nous allions faire avant de rejoindre la Basse; et c’était un grand tour en Dodge avec Paulo que précéderait un saut à la librairie Dousse où Galia devait se trouver, puis on irait voir la soupente de Charles-Albert Cingria dans la bâtisse penchée sur le vide, on se prendrait du vin de Samos au Tunnel où sûrement se trouveraient déjà les Mexicains, le grand tour me ferait voir la ville comme en carrosse ensuite de quoi nous rejoindrions Galia et sa bande de l’Ange.
Il y avait de la féerie dans tout ce qu’annonçait Frédéric en prononçant les mots à sa drôle de façon, comme s’il les goûtait pour en vérifier la teneur. En outre son oeil pétillait d’ironie, et ce qu’il émanait de lui de suavement androgyne (ses longs blonds cheveux fins, ses lèvres de libertin, ses airs un peu canaille de salon) se trouvait mis en contraste par une espèce d’énergie rayonnante et de crudité mâle qui se concentrait naturellement dans l’érotique. Ainsi parlant encore et encore de Galia, Frédéric disait en jubilant: «L’Abbé ne se retient plus de b..., on lui voit bomber la soutane, mais il suffit à Galia d’un regard là-dessus et tout rentre dans l’ordre».
Frédéric disait vraiment: la p... ou le c..., et ce n’en était que plus obscène, à la catholique. Il disait: «C’est un défilé de séminaristes autour du c... de Galia», et je me figurais une espèce de femme fatale, mais point vraiment l’inimaginable vraie Galia de tout à l’heure.
Ou plutôt que tout à l’heure, ce serait plus tard, à cause de ce que Frédéric appelait une petite intrigue.
De fait, l’air innocent, au seuil de sa librairie, Antoine Dousse prétendait n’avoir pas vu Galia de tout le jour, qui devait pourtant se faire aider en latin contre un peu de rangement au sous-sol.
Or Frédéric n’en croyait pas un mot. «Cela ne fait pas un pli que le coquin l’aura planquée dès qu’il a vu se pointer la Dodge. Il fait tout pour la circonvenir. Il irait jusqu’à lui payer les cours qu’il lui donne. Quant à l’aide qu’il accepte d’elle au sous-sol, c’est évidemment pour en jouir un peu plus. Mais allons plutôt à Lorette !»
Et sur le chemin de Lorette, dans le vieux cuir craquant du taxi de Paulo le beatnik, en disponibilité pour une heure, Frédéric m’avait soumis à un feu de questions.
«Avais-je lu Les Corps frénétiques, me demanda-t-il après m’avoir désigné la fameuse enseigne A la Ville de Paris dont parle Charles-Albert dans Musiques de Fribourg, et comment avais-je trouvé les poèmes des Mexicains ?
De Notre-Dame de Lorette, la vision de Fribourg flottant au-dessus d’un socle de brouillard ne faisait qu’amplifier l’exaltation lyrique dans laquelle Frédéric m’avait entraîné. Sur ses falaises émergeant des nuées, la Haute aux étroites bâtisses plantées au bord du gouffre comme à Lhassa les monastères, me figurait une ville de rêve que j’allais d’ailleurs hanter, à la fin de la nuit, par le truchement de la Fleur Bleue .
En attendant j’égrenais les noms de Fribourg tandis que Frédéric me détaillait la dernière corrida de Manolete, les noms de la Tête Noire et du Sauvage, des Cordeliers, du Stalden, de la Rue d’Or.

Paulo nous avait quittés à Lorette. Nous sommes descendus jusqu’au couvent de la Maigrauge dont je désirais saluer les mânes du chien de garde évoquant, au repos, ce fameux «seau de colle de marrons renversé, avec deux yeux bien rouges», que décrit Charles-Albert et peut-être entrevoir, aussi, la nouvelle abbesse crossée.
Quittant la chapelle aux vierges invisibles, Frédéric commença de me raconter les Mexicains, Juan le poète et son frère, puis nous fûmes au Sauvage où devant un alcool à la vipère Frédéric célébra Galia, et plus tard les Mexicains, au Café du Tunnel, continuèrent de se raconter avant de ne plus parler que de Galia et de la Fleur Bleue.
Etait-ce le vin de Samos ? Etait-ce l’aura poétque émanant de Frédéric et de ses amis ? Du moins étais-je sous le charme.
Juan cependant m’avait pris la main et y lisait comme le lui avait enseigné sa mère, Juan aux longs cheveux à reflets de cercueil, Juan au doux visage de Shelley précolombien et aux rêves ruisselants de sang toltèque qui me fixait aux yeux dans la fumée de nos Gitanes: «Je vois en toi s’affronter deux puissances adverses ou complices, selon les lunaisons, tu es le Gémeau pur, en toi s’affrontent la Terre et l’Azur, je décèle à l’instant comme une confusion dans la brume des Mille Possibles, mais voici qu’une créature de rêve apparaît...»
Et pliant à sa guise les vertèbres du temps, ma subconscience entrevoyait à son tour l’avenir dans les émanations du vin des îles.

Nous devions être à l’Ange maintenant, ou plutôt non: déjà nous étions dans la soupente de Galia où nous resterions assez tard dans la nuit, assis sur des nattes; nous avions attendu quelque temps et soudain apparaissait bel et bien le Mythe en sa splendeur intemporelle et son aplomb trivial: telle étant Galia toute faite pour bouleverser de jeunes poètes avec son cou de cygne, ses yeux de biche, ses dents d’ivoire, sa peau de lune et son c... de conte de fée d’où fusait à l’instant une vesse à douceur de confidence, et Galia disait: «voici pour vous, mes amours, et pour votre peine vous allez me voir donner le tétée...»
Or ce que Juan avait lu au creux de ma paume, tout ce qui nous attendait dans l’allée des années, il me semblait le pressentir au milieu des anges enfumés que nous étions, bercés par quelque Raga, les yeux fixés sur le sein nourricier de Galia que l’enfant au père inconnu tétait en couinant de cosmique agrément; et Galia nous chasserait ensuite en ne gardant près d’elle que le suppléant momentané du paternel envolé; et Frédéric me dirait à la porte qu’on se rappellerait, qu’il m’écrirait et désirait me lire - qu’il était ravi: que nous avions passé là de bonnes heures, qu’on avait bien ri, tandis qu’avec Juan et ceux de l’Ange nous nous en allions goûter, ailleurs, à la Fleur Bleue qui livre le secret de toute vie après la vie...

Sablier.jpgCette fugue est extraite du recueil intitulé Le Sablier des étoiles.



Commentaires

  • Bonjour,

    Vous êtes cordialement invité à visiter mon blog.

    Description : Mon Blog(fermaton.over-blog.com), présente le développement mathématique de la conscience humaine.

    La Page No-15, THÉORÈME DU SABLIER.

    LA CONSCIENCE ET LE SABLIER ?

    Cordialement

    Clovis Simard

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