UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Pour tout dire (82)

    8233_richard2_440x260.1280233709.jpg
    À propos de l'auberge espagnole shakespearienne et des multiples entrées du Globe. L'éclatant fronton de Denis Podalydès et la dégaine de tartare du Macbeth d'Orson Welles. La chape des puritains et le recyclage du politiquement correct.


    Lire Shakespeare, à tous les sens du terme, autrement dit en déchiffrer les 37 pièces et les monter aussitôt imaginairement ou en 3D si l'on est Peter Brook, relève d'une expérience vitale qui échappe à toutes les écoles et tous les snobismes, à toute revendication nationale ou toute récupération politique ou idéologique, étant entendu (dixit Peter Brook lui-même) que le Barde déploie "une réalité faisant concurrence à notre réalité ", non pas en proposant un point de vue sur le monde mais en nous ouvrant un monde en lequel on voit mieux jusqu'à la plus impénétrable obscurité du monde, évoquée par une poésie à multiples voix.

    3725382LPW_3725527_AutoPromo__Shakespeare_308x396.jpg

    Un acteur français peut-il comprendre cela ? Certes il le peut aussi bien qu'un savetier japonais ou qu'un pêcheur norvégien ou qu'une pharmacienne sarde: la preuve rutilante en est donnée par l'inapprecuable commentaire du comédien-auteur-lecteur Denis Podalydes, dont l'introduction au mirifique Album de la Pléiade paru en mars 2016, donc pile 400 ans et quelques minutes après la mort probablement certaine de Shakespeare, est à citer texto: "La lecture des pièces de Shakespeare est un voyage odysséen que seules permettent les très grandes œuvres. On y fait l'expérience de l'Histoire, du temps et de la diversité humaine, dans le sentiment exaltant de reconnaître l'un ou l'autre d'entre nous, soi-même enfin, d'exister et de se mouvoir dans une réalité objective dotée de toutes les contradictions, tant la vie de ces personnages, rois, princes, clowns, paysans, soldats, bourgeois, esprits, créatures mythologiques, hommes et femmes formant la plus hétéroclite des populations, nous point, nous déborde, nous bouleverse, nous emporte. Au détour d'une scène ou d'une réplique, à la Cour, sur un champ de bataille, dans une taverne, au Danemark, en Ecosse ou à Venise, dans la forêt d'Ardenne ou dans une île imaginaire, nous sommes saisis par un détail, une image, un trait qui ont à la fois la saveur immédiate du réel et là subtilité immatérielle de la poésie ".

     Unknown-10.jpeg

     

    C'est entendu: tout le monde aujourd'hui à une opinion et se croit obligé de la produire illico sur Twitter. Mais une opinion n'engage à rien sans examen patient et précis de l'objet. Parler de Shakespeare ou de Proust fait peut être chic dans les salons ou les réseaux sociaux qui en sont un nouvel avatar plus chaotique, mais cela n'a pas plus de sens que de n'en rien savoir et le dire tranquillement vu qu'on a déjà sa vie à vivre. Or Shakespeare est précisément la vie qu'on est en train de vivre ou plus exactement le miroir à la fois externe et intérieur que nous traînons depuis toujours le long de notre bonhomme de temps, de notre enfance ultrasensible et jusqu'à notre mort tout à l'heure.
    Tolstoi à proféré l'opinion la plus stupide, même pas digne d'un perroquet numérique, en affirmant qu'il donnerait tout Shakespeare pour une paire de bottes nécessaire à un moujik va- nu-pieds. C'est dire que le cher comte ignorait que les gueux qui assistaient à Londres aux spectacles gratuits des scènes ouvertes construites à côté des bordels et parfois avec passages communicants, comprenaient Shakespeare sans avoir appris le russe.

    cool-shakespeare.jpg
    Ainsi que le rappelle encore Denis Podalydès dans cet indispensable Album, l'histoire des théâtres construits dans les quartiers populaires, au temps de Shakespeare & ci, est indissolublement liée à une production d'époque florissante, en concurrence-opposition directe avec l'Université et l'Eglise, et s'explique autant alors le pseudo mystère de l'immense savoir humain et juridique, moral ou politique, littéraire ou théâtral (au sens de l'artisanat) de Shakespeare, et son succès phénoménal d'auteur bientôt capable d'offrir à ses enfants des play stations dernier cri.


    Dans la version d'Orson Welles, Macbeth à la dégaine d'un cavalier tartare et le film semble russe à outrance, mais l'essentiel est là, contrairement à ce qu'ont prétendu les philistins américains ou français à la sortie de ce film "maudit" , et l'essentiel n'est pas moins totalement ressaisi par Akira Kurosawa dans Le château de l'araignée.

    10 Macbeth1.jpg
    La réception de Shakespeare selon les époques en dit plus long sur celles-ci que sur celui-là. Je ne dirai pas que je donnerai tout le puritanisme anglais pour une pièce de Shakespeare, pas plus que celui-ci n'est anticlérical au sens des nouveaux réducteurs de têtes, mais le fait est qu'une terrible chape a pesé sur cette œuvre à mes yeux vitale et même "sainte" en sa profonde bonté, comme le calvinisme en nos régions, avec l'appui massif du Pasteur et du Pion, a congelé les imaginations et surveillé les conduites publiques et privées jusqu'à brûler des corps et traiter des âmes à l'électrochoc. Shakespeare, pas plus que Rabelais d'ailleurs, n'est pourtant obscène ni subversif sauf à s'opposer moralement et politiquement à l'obscénité et au terrorisme étatique des hypocrites et des imposteurs.

    _44893232_0fece3ca-c732-4cda-96f3-09b9fec2f54a.jpg

    Il m'a fallu à peu près un demi-siècle, durant lequel j’aurai vu des quantités de versions de nombreuses pièces du Barde, pour découvrir la simplicité profonde d'une œuvre ressaisissant la complexité humaine dans un langage que ses multiples registres font parler à tous au gré de ses degrés, et sa communicative vitalité. Oui, comme le dit Denis Podalydès, “la lecture des pièces de Shakespeare est un voyage odysséen” et demain je passerai des tragédies aux comédies, à la rencontre à Venise de Shylock, tout en ne cessant de multiplier les regards latéraux sur le théâtre du monde...

  • Pour tout dire (81)

    14520579_10210714233158818_465051496764755982_n.jpg

    À propos d'un mot de la Pompadour qui nous plombe l'horizon et la mémoire, dont Peter Sloterdijk a fait le titre de son dernier livre, Après nous le déluge. Des tenants variables de la bâtardise, du fils de Dieu aux rejetons du ressentiment mondialisé, en passant par les traitres de Shakespeare...


    Plus on avance en âge et plus on est tenté de recourir à la formule traduisant par excellence le désenchantement ou le repli dans la seule jouissance du présent: après nous le déluge...
    Or plus j'y pense et plus l'expression me révulse, et particulièrement quand elle émane d'anciens progressistes idéalisant leur jeunesse et crachant sur le monde à venir, sans parler des cyniques pour lesquels le profit immédiat seul compte et qui par exemple, s'agissant de l'avenir de notre planète, se contentent de balancer à l'instar des Trump de tout acabit: après nous le déluge...

    2864.jpg


    Le sentiment que traduit cette expression remonte sans doute à des temps anciens, mais c'est la marquise de Pompadour qui en a fait un mot quasiment historique après la défaite des troupes françaises à la la bataille de Rosbach, anticipant une bascule de la société française dont la maîtresse de Louis XV, bâtarde née Poisson et devenue l'incarnation de la parvenue aussi brillante que jalousée, aura peut-être pressenti la fin avant le déclin personnel de sa success story, et par conséquent carpe diem en attendant les soviets: après nous le déluge...

    Peter-Sloterdijk.jpg


    Peter Sloterdijk est l'un des penseurs contemporains les plus attentifs au monde tel qu'il est ( et non tel qu'on le fantasme à droite autant qu'à gauche), mais c'est souvent par des détours inattendus, voire par quatre Chemins, qu'il va droit au but.
    La réflexion marquant l'ouverture de son dernier essai , précisément intitulé Après nous le déluge, mais dont le contenu dit plutôt que c'est maintenant que ça se passe et qu'on ferait bien de se rafraîchir la mémoire avant de se retrousser les manches, porte précisément sur l'espèce de révolution privée vécue par la fille du peuple devenue "reinette" comme une voyante l'avait prédit à sa mère, quelque décennies avant le grand chambardement dont sortira la "révolution permanente" et la nouvelle représentation du progrès amnésique des "temps abyssaux " que nous vivons en attendant qu'un Donald Trump le répète à tous les ennemis de sa nouvelle nation de marshmallow contaminé : après nous le déluge.

    3.jpg


    Quand les sorcières prédisent à Macbeth qu'il va devenir roi, elles ne font en somme qu'exprimer un désir qu'il y a en lui, de même que la mère de la petite Jeanne-Antoinette Poisson, quand celle-ci entama sa neuvième année, ne demandait qu'à croire la prédiction de la diseuse de bonne aventure lui soufflant que la gamine conquerrait un jour le cœur du Roi.
    "Je grandis, je prospère / Allons dieux, tenez pour les batards !", s'exclame le fils illégitime de Gloucester dans Le Roi Lear, révolutionnaire "privé" à sa façon dont Sloterdijk cite d'ailleurs l'invective en exergue de son livre.
    On sait l'énigme à multiples couches qui entoure la personne réelle de Shakespeare, dont l'œuvre m'apparaît aujourd'hui comme la cristallisation d'une sorte de génie poétique collectif qu'il serait vain de réduire à la vanité d'un copyright strictement individuel. Comme Dante conclut le Moyen Âge dans sa Commedia à triple couche, Shakespeare y va à grandes louches sans loucher sur la Trinité bricolée, brassant tous les passés pour déchirer nos illusions paradisiaques à bon marché.
    Dans le chapitre vertigineux intitulé Le bâtard de Dieu, la césure de Jésus, Peter Sloterdijk pose la question que le bon Joseph, ouvrier du bâtiment, n'a cessé d'éluder, cela faisant de lui le premier croyant de la chrétienté à multiples couches et retouches.
    Or il y a du sage et du bouffon shakespearien chez l'extravagant penseur allemand s'interrogeant sur l'Europe et l'impôt, l'étrange relation du jeune Jeshua Ben Josef avec son père de substitution et l'exaltation picturale à multiples couches de la sainte famille, l'urgence de dépasser lentement Freud et Marx et Nietzsche et Deleuze et Guattari quitte à requalifuer la notion de Degree conçue et développée par Shakespeare dans ses tragédies politiques - avec des exemples toujours valables aujourd'hui, qu'on retrouvera dans Troïlus et Cressida autant que dans Coriolan -, et qui devrait nous aider à réfléchir hic et nunc sur l'abâtardissenent chaotique du monde où Nabilla relance, le génie en moins, le rêve de carton pâte de la Pompadour et du clown Donald...

    a2.jpg

  • Pour tout dire (80)

    14260785.jpg

    À propos de l'influence de Shakespeare sur le cinéma et les séries anglaises. De l'horreur de Happy Valley et de l’irradiante bonté de la revêche sergente Cawood. De l’anti-biographie du délicieux Bill Bryson et du pétrole trouvé dans le jardin du chercheur shakespearien Charles Wallace...


    Il a fait cette nuit dernière nuit une tempête qui martelait nos monts dans un chaos de vent glacialement brûlant, sur fond de sourdes clameurs ou j'ai cru reconnaître les voix des trois sorcières à barbes annonçant à Macbeth son noir destin, et dans les vociférations de l'une d'elles surgissait soudain le nom d'Alep...

    3.jpg

    C'est dire que Shakespeare est partout quand on est attentif au monde tel qu'il est dans son apparence incessamment mouvante, à l'image d'un océan déchaîné, et tout à l'heure le roi fou balancera sa réplique fameuse où il est question du nonsense de la vie, qui ne rend compte à vrai dire que d'un aspect de la vision du Barde, lequel module aussi la bonté et la féerie, la douceur et la fantaisie.


    Shakespeare est resté omniprésent en Angleterre élargie (via les landes écossaises et les bordels des paroisses irlandaises, les pubs indiens pleins de vieux punks et la jungle malaise aux tigres rugissant avec l’accent cockney), comme le Brexit le rappelle à sa façon politiquement incorrecte et comme on le vérifie dans le cinéma et jusque dans les séries de l'univers shakespearien élargi (incluant les saisons terribles de Broadchurch ou de Vera et plus encore de Happy Valley, sans oublier les films de Ken Loach et Stephen Frears), lequel univers n'est que la réfraction panoptique de l'univers universel plein de bruit et de fureur au fond de la nuit duquel chante le rossignol.

    happy-valley-saison-2-fin.jpg

    Happy Valley atteint, dans sa 2e saison, un summum d'atroce beauté qui n'a d'égale, à mes yeux, que l'esthétique panique du cinéaste autrichien Ulrich Seidel, auquel il manque juste un zeste de bonté pour être vraiment shakespearien.
    La blonde sergente de Happy Valley, au contraire, est shakespearienne par la lumière de son sourire irradiant sa sale tronche de flic dont la fille s'est suicidée, et qui protège son petit-fils des atteintes encore possibles de son père psychopathe pour le moment en taule. Traversant les 6 épisodes de cette deuxième saison de Happy Valley, deux autres personnages illustrent la part d'ombre de l'univers shakespearien, sous les dehors effrayants du perpétuel souffre-douleurs devenu criminel maniaque à rituels répétitifs, et de l'inspecteur adultère étranglant sa maîtresse et faisant porter au tueur en série la responsabilité de son meurtre.

    11979458.jpg


    C'est entendu, Monsieur le pédant grave et Madame la docte pincée: les séries alignent les stéréotypes et les clichés, mais on pourrait le dire aussi des pièces de Shakespeare ou des romans de Dickens sans entrer dans le détail que se disputent le Diable et le bon Dieu comme chacun sait .
    Or le détail de Happy Valley, du point de vue plastique (un composé de brumes brunes traînant sur les landes grises à nuances vertes ou vieux rose, et d’intérieurs saturés de rouges sanglants et de verts non moins passionnels) autant que sous l’angle sociopathique ou métapsychique, est formidablement significatif quant au signifié et au signifiant, à cela s'ajoutant des dialogues d'un constant humour plus ou moins vache et une interprétation collective sans faille, là encore avec des acteurs shakespeariens, du môme génialement candide à la soeur poivrote de la sergente (la monumentale et hypersensitive Sarah Lancashire) , en passant par la déchirante figure de la mère du serial killer flinguant son propre fils...

     cool-shakespeare.jpg

    Shakespeare n'en remet pas plus que la vie qui, à ses heures, est si jolie. Aux dernières nouvelles (détail privé), le vent fait une pause sur le tarmac de Genève Airport tandis que je reprends la lecture de l'anti-biographie de Shakespeare du délicieux marcheur américain Bill Bryson dont Lady L. se régalait ce printemps des récits d'arpenteur de l'Angleterre.
    S'agissant du Barde, Bill Bryson montre la même alacrité curieuse en relevant d'abord, pièces en mains ce que tout le monde sait par ouï-dire, à savoir qu'on sait très peu de chose de la vie du mystérieux "Willm Shaksp" dont on ne garde que quatorze mots écrits de sa main sur les neuf cent mille de ses écrits homologues, et qui a déjà rendu mabouls d'innombrables chercheurs , tels l'impayable prof américain Charles Wallace, flanqué de sa savante moitié Hulda qui passèrent à Londres des années à éplucher des milliers de documents pour en tirer deux ou trois information biographiques décisives.

    9782228914376.jpg

    Or comme une découverte peut en cacher une autre à venir, ainsi que le montre surabondamment le théâtre du Big Will et le rappelle malicieusement Bill Bryson, le chercheur Wallace, revenu au Nebraska, finit par trouver du pétrole dans son jardin au point de devenir "immensément riche et médiocrement heureux"...

  • Cinglantes malices et merveilles de Saki

    Unknown-4.jpeg
    9782882506832_1_75.jpg
    Sous les dehors d’un dandy super snob au redoutable humour «very british», H.H. Munro (1870 - 1916), alias Saki, était un satiriste tendrement impitoyable, un moraliste apparemment amoral, un tigre de papier fait à tous les feux de la société anglaise puritaine et colonisatrice, à laquelle il tendait le miroir kaléidoscopique de ses féroces nouvelles. Que voici complètes, à quelques exceptions, traduites et présentées avec maestria par Gérard Joulié à l’enseigne de la Bibliothèque de Dimitri.
     
    Le regard terrible d’un enfant sur la société des gens comme il faut, le grain de sel qu’y ajouteraient tel chat doté de parole ou telle loutre aux palmes peu académiques, le dieu Pan moqueur dans son buisson, un dandy à la Oscar Wilde passant par là non sans se dédoubler en joyeux flandrins terreurs des familles, une flopée de tantes guindées comme des oies à binocles, quelques oncles gravement allurés, des militaires revenus des Indes ou en partance pour les tranchées, l’angélique et démoniaque Ariel de Shakespeare, les orphelins de Dickens au fond d’un poétique Jardin où les animaux de Kipling feraient la sieste au long des après-midi de l’enfance éternelle: telles sont les présences volatiles et multiformes qui hantent l’univers enchanteur quoique truffé de pièges et d’embûches d’un des plus réjouissants auteurs comiques qui soient, certes anglais et à outrance mais à la fois «universel» de portée, dans la lignée de Swift en plus smart et faisant en somme le joint entre celui-ci et les modernes Chesterton ou Evelyn Waugh - mais foin de références littéraires puisque c’est au bain moussant et gloussant de la bonne vie que Saki nous invite à nous plonger entre deux garden parties et autres chasses au lapin ou au mot d’esprit…
     
    Un punk à Downtown Abbey…
    Une société hautement organisée, structurée, codifiée à l’extrême dans ses rites et usages, où tout est prévu de la base au sommet, où la loi du groupe est enseignée à son moindre rejeton dès son premier rot: c’est le monde de Saki, qui aurait d’autres castes s’il était indien, d’autres étiquettes s’il était chinois ou français.
    Mais la Providence fantaisiste, et parfois même facétieuse, a fait naître Hector Hugh en Birmanie, troisième enfant d’un Inspecteur général de la police impériale indienne, du nom d’Augustus Munro , époux d’une aimante Mary Frances hélas décédée en 1872 à la suite de la charge brutale d’une bête à cornes – cette fin qu’on dirait inventée par son fils aboutissant à la mise en pension de celui-ci en Angleteree, chez une aïeule stricte et de non moins sourcilleuses tantes.
    Une éducation très puritaine suffit-elle à faire de vous un dynamiteur des familles et de la société (edwardienne, donc post-victorienne en pas plus cool) du moment ? Ce serait exagéré de le prétendre, mais la préfacière de ce volume, Nelly Kaprièlian, a raison de qualifier Saki de punk, pour autant qu’un tel rapprochement avec un mouvement culturel souvent délabré soit intégré à la filiation la plus radicale de l’extravagance anglaise, qui fait du Puck de Shakespeare un punk à la même enseigne que Reginald ou Clovis – deux figures emblématiques de l’insolence à la Saki, surgissant soudain dans un épisode de Downtown Abbey…
    L’auteur de Sredni Vashtar, chef-d’œuvre de six pages où s’accomplit la vengeance sacrée d’un petit garçon maladif en butte à la haine mesquine de sa cousine et tutrice, l’auteur de Laura, la mourante bien décidée à se réincarner dans une loutre pour ne cesser d’importuner ses proches survivants, l’auteur de La musique sur la colline décrivant ce qui arrive à une écervelée chrétienne se moquant du dieu Pan, relève bel et bien de cette «punkitude» aux paradoxes à la fois provocants et révélateurs, mais tout Saki n’est pas dans cette attaque du conformisme, car H.H. Munro, qui mourra dans les tranchées en 1916, est lui aussi un anglais à part entière, un grand voyageur familier de l’Europe autant que de l’Asie, un observateur à large spectre du monde politique dont il brocarde la langue de bois des «perroquets» dans un hommage charmant au Mowgli de Kipling (Une histoire de la jungle), un polémiste abordant d’innombrable autres thèmes et situations ressaisis et épurés par ses nouvelles – jusqu’à sa désopilante mise en boîte des «adultes responsables» offrant à Noël des jouets éducatifs à leurs mômes qui n’ont de cesse, évidemment de les transformer en armes de guerre…
    Bref, et si tout n’est pas du même niveau de densité dans cet immense corpus, sa (re)découverte ne cesse, au degré le plus immédiat, de nous divertir «au coin du feu», non sans nous révéler de multiples nouveaux aspects du talent du conteur et de son esprit critique à la fois débonnaire et impitoyable, défense manifeste d’une douleur remontant à l’enfance et que ravivent les faux semblants – et lire Saki peut alors nous servir, aujourd’hui, de salutaire contre-poison…
     
    Saki. Le parlement infernal. Nouvelles intégrales. Traduction et avant-propos de Gérard Joulié, préface de Nelly Kaprièlian. Les Editions Noir sur Blanc, collection La Bibliothèque de Dimitri, 842p.

  • Murmure de l'aube

    271244565_10228186886964243_8282873534585405123_n.jpg
     
    (Ce que nous dit L. à l’éveil)
     
    Prends garde à la douceur:
    elle ne fait que passer;
    sans le bruit de la pluie,
    tu l’entendrais en toi
    comme la mélodie
    de ton cœur au fond de la nuit
    où toute douleur passe -
    prends garde à la couleur
    des choses de la vie...
     
    (Patchwork 2021: Sophie K.)