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  • Pour tout dire (70)

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    À propos des droits humains et de la fausse parole qui fait dire aux grands mots (LIBERTÉ, EGALITÉ, FRATERNITÉ, DÉMOCRATIE, etc.) le contraire de ce qui est. Des contradictions de Rousseau et de Jean Ziegler. Qu'il n'y a plus rien à accomplir au nom d’aucune idéologie, mais tout à faire pour cultiver le jardin du monde...


    Je lis à l'instant, sous la plume de mon ami Jean le fou, alias Jean Ziegler, un éloge vibrant de Jean-Jacques Rousseau, ce bienfaiteur supposé de l'humanité qui fut aussi un père nul et un homme assez détestable.

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    Le dernier livre de Jean Ziegler, Chemins d'espérance, nous confronte à tout moment à ce genre de contradictions entre un idéal humaniste et son incarnation "trop humaine", en décrivant de l'intérieur le fonctionnement d'une immense machine capable en même temps de produire de l'espérance et d'en bloquer l'application. Jean Ziegler lui-même, converti au catholicisme, se dit toujours et encore communiste alors que la grande et généreuse idée de Marx et consorts a justifié une partie des crimes les plus monstrueux du XXe siècle, et ses contradicteurs ne manquent pas de rappeler qu'il fut aussi l'ami des révolutionnaires Khadafi et Castro en fermant pieusement les yeux sur les atteintes aux droits de l'homme en Lybie ou à Cuba, alors qu'il les défend dans le monde au plus haut niveau institutionnel, etc.

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    Je regardais l'autre soir le vieux lutteur tiers-mondiste sur le plateau de l'émission Infrarouge de la Télé romande, dialoguant avec la formidable Carla Del Ponte , ancienne procureure de la Confédération qui fit tomber l'immunité parlementaire du député socialiste après la parution de La Suisse lave plus blanc, mais devenue aujourd'hui sa collègue aux Nations unies, et je repensais à l'injonction de l'auteur de Retournez les fusils, dont le sous-titre n'est autre que "choisir son camp".
    Ah bon, et lequel ? Celui de Rousseau larguant sa progéniture à l'assistance publique ou de Voltaire spéculant sur la traite des Noirs ? Celui d’Obama ou celui de Poutine ? Celui de Staline ou du banquier Safra ?
    À propos de Voltaire, je me suis souvent demandé ce qu’il voulait dire à la fin de Candide, quand il conclut, après moult turpitudes et tribulations vécues par son héros, qu'il faut cultiver son jardin ? Est-ce de résignation individualiste qu'il s'agit, ou plutôt de permaculture futuriste visant à l'amélioration du jardin planétaire ?

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    Notre fille Julie, qui vient de fêter ses trente-et-un ans, me demande un texte de réflexion sur les droits humains pour le site de la nouvelle association qu'elle vient de fonder, avec quelques jeunes amis, en faveur des orphelins du Cambodge.
    Or le peu de lumière personnelle que je puisse apporter à cette question des droits humains portera d'abord sur la terrible logomachie qui règne dans ce domaine, qui fait que les mots censés désigner les plus nobles aspirations (Liberté, Egalité, Fraternité, Démocratie, Tolérance, Droits de l’homme et tutti quanti) sont devenus des baudruches vidées de leur sens, ainsi d’ailleurs que Ziegler en donne de multiples exemples.
    Si Jean le fou me demande de choisir mon camp entre capitalisme et communisme, Hamas et Likoud, Trump ou Clinton, libéralisme ou gauche de la gauche, je me sens aussi incapable d’adopter aucune posture publique qu’en mon for intérieur de me répondre clairement à moi-même. Je sens intimement ce qu’est la justice et l’injustice, l’honnêteté ou l’imposture, le juste et le faux, le bien et le mal, mais choisir mon camp dans le chaos des choses et la confusion des mots me semble impossible.
    J’admire le combat inlassable de Jean Ziegler contre les faux-semblants d’une Suisse au-dessus de tout soupçon, les multiples complicités de nos banquiers sans visages et de nos juristes vénaux avec le crime organisé, ou l’abominable cynisme des multinationales entretenant la faim dans le monde, mais son idéologie ni son histoire personnelle ne sont les miennes, et je me sens libre de l’envoyer promener s’il m’enjoint de choisir mon camp.
    Il y a cinquante ans de ça, au lendemain du bac, j'ai lu de mes yeux l’atroce inscription ARBEIT MACHT FREI au fronton de l’ancien camp de la mort d’Auschwitz, en Pologne socialiste où nous trouvions avec un compère. Je me croyais communiste en débarquant dans ce pays dont j'ai bientôt entrevu la chape de plomb qui l'écrasait, et les mots dont je me grisais ont perdu de leur éclat comme les expressions de la novlangue inventée par Orwell dans son roman 1984 où le « Ministère de la Vérité », le « Ministère de la Paix » et celui de « l’Amour » enseignent que « la guerre est la paix », que « la liberté est l’esclavage » et que « l’ignorance est la force ».
    Dans la confusion des temps qui courent, le Prix Kadhafi des droits de l'homme (sic) attribué à Nelson Mandela, puis à Jean Ziegler (qui l'a à vrai dire refusé) est-il plus monstrueux que le Nobel de la paix honorant un Henry Kissinger ou que l'Axe du Bien désignant la stratégie du chaos de l'Amérique impérialiste ?
    Telles sont les questions que je ne cesse de me poser en me gardant de toute résignation et plus encore de tout cynisme.
    Cultiver son jardin consisterait peut-être alors, pour d'honnêtes jeunes filles et autant de jeunes gens de bonne volonté, à retrouver le sens premier des mots et à évaluer leur adéquation aux choses qu'ils désignent, avec un surcroît d’attention et de sens critique, avant de faire quoi que ce soit. Travailler rend libre en effet, mais reste à savoir de quel travail il s’agit, et de quelle liberté...

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    L'association solidaire de Julie et ses amis s'intitule Sign4change, dans la langue de Rousseau: signez pour que ça change. Ainsi donc, cultiver son jardin pourrait consister en cela aussi: signer de son nom la promesse de parrainer concrètement Lucky l'orphelin cambodgien trouvé il y a quelques mois dans un sac poubelle, le long d’une rue de Phnom Penh, recueilli et confié aux soins de l’association khmère SFODA (Sacrifice Families and Orphans Development Association) avec laquelle Sign4change a établi son premier partenariat.
    Or la liberté de signer de mon nom cette promesse, vitale pour Lucky et tant d’autres enfants perdus, m'est particulièrement précieuse à l'instant de me rappeler que Rousseau ne donna même pas un prénom à aucun des cinq enfants qu'il abandonna, etc.