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  • Le Temps accordé

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    (Lectures du monde, 2021)
     
    À LA PÊCHE. – Sans en attendre rien «au fond», car tout «retour» m’indiffère désormais dans les grandes largeurs faute de véritable interlocuteur (Dimitri, Christian Bourgois, Maurice Nadeau, Jérôme Lindon, Gérard Bourgadier, Dominique de Roux et mon cher Pierre-Guillaume, Bernard de Fallois, tous les éditeurs selon ma tripe ou mon âme sont morts…), j’ai envoyé ces jours, à vingt éditeurs «de francophonie et environs», un triptyque documentaire personnel contenant ma bio résumée, une liste de la vingtaine de livres que j’ai publiés et un inventaire des dix ouvrages prêts à l’édition ou en cours de composition qui m’occupent ces temps, avec la proposition à chacune et chacun de me signifier son éventuel intérêt. L’expérience aura valeur pour moi de test. Qui prendra seulement la peine de me répondre ? Ce dont je suis sûr, et qui fait tout mon plaisir, est qu’il me reste quatre livres à parachever si possible, de mon vivant, et ensuite bonsoir: au bon cœur et plaisir éventuel de nos filles et de nos petits-fils…
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    Firme JLK – Inventaire des écrits d’ores et déjà publiables ou en voie de l’être.
     
    1. Czapski le juste. Essai sur le peintre et écrivain polonais. Achevé. 150p. Copie papier ou numérique disponible.
    2. Mémoire vive. Carnets 2013-2019. Lectures du monde VI, Environ 350 pages. Achevé. Index éventuel à ajouter. Copie papier ou numérique disponible.
     
    3. Le Temps accordé. Carnets 2019-2021. En travail.
     
    4. Prends garde à la douceur. Suite méditative et poétique en trois parties : Pensées de l’aube, Pensées en chemin et Pensées du soir. En voie de finition. Environ 150 pages.
     
    5. Le rêveur solidaire. Sélection de chroniques 2017-2021. À formater et à réviser.
     
    6. Le Grand Tour. Carnets de voyage sur une cinquantaine d’années, en Italie, à Paris, en Europe, en Tunisie, aux Etats-Unis, au Japon, au Congo, en Suisse. 250 pages. Achevé. Copie papier ou numérique disponible.
     
    7. La chambre de l’enfant. Poèmes. Achevé. 75 pages.
     
    8. Le chemin sur la mer. Poèmes. Achevé. 100 pages.
     
    9. Les Tours d’illusion. Roman panoptique. Pendant du Viol de l’ange. En voie de finition. Environ 300 pages.
    10. Panopticon. Listes et morceaux. En chantier.
     
    TURN IT UP. – En attendant Lady L. qui subit sa énième prise de sang de contrôle avant de descendre au sixième dessous du Service d’oncologie pour subir sa perfusion hebdomadaire au Paclitaxel, je prends des nouvelles, sur un tabloïd traînant par là, du rappeur américain Oliver Tree «passé aux Russes» pour y réaliser son prochain clip alors que son dernier tube, Turn it Up, commence «à grimper en flèche dans les charts», ce qui n’est guère étonnant puisque Oliver l’a conçu avec le « déjanté » groupe russe de punk-pop-rave Little Big et le soutien du rappeur-designer estonien Tommy Cash.
    «Je suis devenu comme un prince russe », déclare Oliver Tree désormais installé à Moscou où il s’apprête à lancer Cowboy Tears qu’il qualifie de «plus grand opus » de sa vie », etc.
    Que l’Amérique et la Russie fusionnent en nos lendemains qui chantent à l’enseigne du punk-pop-rave ne me paraît pas moins fou que les circonstances sanitaires que nous vivons, mais nous le prenons en souriant.
    Tout à l’heure j’ai dû produire mon passe numérisé et ma carte d’identité à l’entrée de l’hosto, et ensuite répéter la procédure à la cafétéria d’une façon qui m’a semblé aberrante, et cela m’exaspère mais je n’ai que le Système à vitupérer, personne n’y est pour rien et je n’en pense pas moins sans pointer aucun complot particulier puisque celui-ci est généralisé depuis longtemps et pour longtemps encore sans doute, notamment à l’enseigne du capitalisme monopolistique en vigueur à Wall Street autant qu’à Singapour, Moscou et Pékin, «objectivement» nous sommes pris au piège d’une façon plus globale et de cela nous commençons à peine de nous aviser -, et les illusions idéologiques ou les mesures politico-sanitaires n’y changeront rien – donc je souris à l’imbécillité apparente de tout ça et ne me soucie que de faire bien ceci et cela dans notre microcoms humaniste en attendant de rejoindre ma bonne amie au sixième dessous à la fin de ses putains de soins. (Au CHUV, ce jeudi 16 septembre)
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    CARACO. – J’ai beaucoup lu (et relu) ces jours les écrits de Caraco, ayant récupéré à L’Âge d’Homme ses archives personnelles et quelques inédits majeurs dont le Journal de l’emmuré, remontant aux années 1959-60 et dont la sombre litanie obsessionnelle, quasi paranoïaque, alterne avec des vues saisissantes de lucidité en matière d’histoire et de politique, qui font de lui une espèce de Voltaire contemporain proche des gnostiques, plus encore prophète que philosophe, furieux ennemi des chrétiens après avoir été catholique ardent, connaissant Joseph de Maistre et Pascal par cœur et s’opposant à eux en affirmant que, Français de souche, il eût été reconnu et placé plus haut que Cioran.
    Ainsi écrit-il au début de 1959 : « Vivrai-je assez de temps pour être le premier, le premier écrivain de ce pays ? Je me sens tel, l’estime des Français me laisse indifférent et s’ils l’accordent à des imposteurs, je n’irai pas les détromper et ne me mêlerai de leurs amours, les pauvres gens ne sont pas difficiles, n’importe quoi les ravit en extase. L’Eglise fera de la France une autre Espagne, ce peuple a résolu de s’abêtir, jamais il n’aura mieux déçu les rares amis qui lui restent et jamais sa frivolité ne lui joua de tour plus ruineux : il s’est coupé de l’avenir et s’il ne se retrouve, il sera bientôt dans les oubliettes. L’Église est un cancer, il ne s’agit plus de la mépriser, mais d’extirper un mal dont le mépris ne vient à bout et que la tolérance achèvera par fomenter », etc.
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    Albert Caraco vitupère la foi de Pascal après avoir placé les Provinciales au sommet de la littérature française du XVIIe siècle, il voit en Sade un génie presque à son goût pour sa célébration de la Raison, et en Rimbaud et Bernanos des «pornographes», Mauriac est à ses yeux un nain grêle, il vomit Maurras et Barrès mais Proust trouve grâce à ses yeux au titre du mysticisme juif, il ne comprend visiblement rien à la peinture ni à la musique qui ne soient «classiques», Rouault et Messiaen lui semblent d’un art inférieur – entre autres énormités selon mon goût à moi.
    Bref, c’est un bel exercice de discernement que la lecture de Caraco, génial et génialement difforme «à l’espagnole», absolument irrecevable aujourd’hui pour ses théories sur l’organisation raciste de l’espèce à venir et la manière violente qu’il préconise contre la surpopulation de la planète, les injures qu’il fait au Chrétien, au Noir, au Musulman ou à la Femme, entre autres rebuts de la «masse de perdition», et son délire prophétique évoquant le rôle providentiel à venir des Juifs me semble tourner à vide alors même qu’il ne cesse de prôner de prôner l’Ordre et la Mesure, cependant l’œuvre reste extraordinaire et rien que Post mortem, en manière noire, ou l’Abécédaire de Martin-Bâton, par manière de résumé de sa pensée, font de lui un prince de notre langue comme il n’y en a pas un à l’heure qu’il est…
    LETTRE AU MARQUIS. – « Cher Gérard, Merci pour vos messages divers, toujours aussi amicalement illisibles. Du moins suis-je arrivé à déchiffrer le nom de Valery Larbaud dans le dernier, et ce que vous nous dites de gentil, enfin je vous répète que vos poèmes dédiés au petit garçon ont la grâce d’Ariel.
    Je vous écris d’une terrasse du bord du Haut-Lac où s’achève ma balade quotidienne avec mon escort dog, friand lui aussi d’antipasti. Mon seul regret est de n’y être que nous deux, sans notre chère malade, qui s’est choisi avant-hier matin une perruque d’apparat au salon de coiffure de l’hôpital. Ainsi ne ressemblera-t-elle plus à un bonze tibétain ou au vieil Henri Miller à Big Sur, pour retrouver sa coupe garçonne à la Louise Brooks blonde de madone rhénane - ainsi que la qualifiait le peintre Omcikous quand il a réalisé notre double portrait à l’impasse des Philosophes.
    Nous en sommes à la dixième perfusion de poison homéopathique, et l’examen par scan tomodensitométrique est relativement rassurant, puisque la Bête semble tenue en respect, ni plus ni moins. Bref nous survivons assez sereinement avec l’encouragement discret mais quotidien de nos filles et de leurs deux jules très estimables en dépit de leur pilosité faciale excessive, de quelques amis via Whatsapp (vous ne savez pas de quoi il s’agit, mais c sans importance) ou en 3D si « ça se trouve »...
    J’ai lu ces jours pas mal de Caraco, ayant récupéré ses archives pour en transmettre une partie à un jeune hidalgo prof de lettres lancé dans une première biographie de l’énergumène en langue espagnole, et en même temps que je lisais le Journal d’un emmuré, longtemps annoncé mais toujours inédit, je suis arrivé au bout de ma troisième lecture d’Illusions perdues, ce matin dans la scène inouïe de la rencontre de Lucien de Rubempré tout décidé à se suicider, comme un Roland Jaccard las de jouer au ping-pong, et du démoniaque abbé Herrera dont l’effarante leçon de cynisme équivaut à un dépucelage « on the road », ou plus précisément au déniaisage définitif du poète se la jouant désespéré alors qu’il n’est en somme qu’un adorable et vil arriviste...
    Après la lettre de Daniel d’Arthez sur la frivolité française, le programme de conquête du succès que le pseudo-chanoine (sous l’habit duquel on repère les couilles de Vautrin en qui j’identifie à la fois le double noir de Balzac et la préfiguration d’un certain Charlus) propose à Lucien rejoint en somme, par défaut, le tableau apocalyptique brossé par Caraco des mœurs actuelles du monde littéraire et médiatique, entre autres scènes de la recherche du Pouvoir, sacrifiant tout à l’Effet et au Succès.
    À cela nous avons assez miraculeusement échappé, vous et moi, au milieu de nos bibliothèques à dédales, également mélancoliques et gentils (ou faisant semblant de l’être par politesse ou simple paresse, histoire qu’on nous foute la paix), et nous voici comme deux vieux anges en savates, tous deux attentifs à la beauté des animaux et des enfants, mais bordel quand nous revoyons-nous ? Faites-moi donc signe espèce de vilain satrape»…

  • Adieu Roland, je t'aimais bien...

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    Notre ami Roland Jaccard a mis fin à ses jours, comme il se le promettait et nous répétait qu'il le ferait à la fin de la belle saison, la fiole fatale toute prête à sa portée. Permission de le pleurer, comme il le faisait au cinéma quand les larmes ne se voyaient pas dans le noir...
     
    Hier encore, je lui reprochais gentiment sa légèreté et son inconséquence, quand il se disait aussi résolu à en finir avec ce qu'il estimait un affreux monde, à l'instar d'un Albert Caraco, suicidé à l'âge de 52 ans, dont il admirait les écrits autant que ceux de son ami Cioran. Et voilà : Roland a voulu et réussi sa mort, à l'imitation de ses parents.
    Comme il l'exprime à merveille dans son dernier livre paru, On ne se remet jamais d'une enfance heureuse, le monde actuel ne lui plaisait plus. Son monumental journal, faisant écho aux mémoires de Stefan Zweig, autre grande admiration de notre austro-Vaudois, s'intitulait d'ailleurs Le monde d'avant, paru au début de l'année. Matière et style: tout Jaccard est là. L'agréable commensal n'est plus: ses écrits restent.
    Si j'avais été en meilleure santé, je l'eusse rejoint ces jours prochains au Lausanne-Palace le jour de ses 80 ans, pour lui offrir du chocolat et renouveler sa dotation de Stilnox. Hélas...
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    Roland Jaccard au Lausanne-Palace: ce sera son dernier mythe, dont j'ai éventé un aspect secret dans un journal japonais, à savoir que le séjour à demeure de l'écrivain dans cette auberge de grand luxe était financé par les "casses" auxquels il participait l'hiver, sur la Côte d'Azur, en compagnie d'un autre de ses amis de chez Yushi, le redoutable Alain Caillol, malfrat revenu de longues années de prison après l'enlèvement du baron Empain, devenu docteur en lettres, spécialiste de George Sand et n'aimant rien tant, en ancien marxiste compagnon de Mesrine, que de braquer les villas de la haute bourgeoisie de gauche en compagnie de Roland le passe-muraille...
    Il me semblait que Roland Jaccard et moi n’étions pas, à la ménagerie des lettres de la même espèce: lui maigre et sec, se la jouant cynique voire nihiliste, moi plus tendre et sensible; lui très proche de Cioran et de Matzneff, moi contemplatif et poreux, me réclamant plutôt de l'apollinien Cingria et du bon docteur Tchekhov. Cependant nous partagions le goût des journaux d'écrivains (Amiel, Léautaud, Barbellion, Benjamin Constant)et des solipsistes géniaux de la pensée et de la littérature, de Weininger qu'il avait préfacé à Caraco dont il disait partager le combat...
    J'avais rencontré Roland Jaccard à la fin des années 60 du "monde d'avant", quand il publia Un jeune homme triste à L’Âge d’Homme, avant de tâter des gaîtés parisiennes et de publier un best-seller psy intitulé L'exil intérieur. Des années durant, il m'avait envoyé ses livres dédicacés, dont je parlais parfois. Puis, début 2019, il me transmit un entretien sur Youtube où il parlait de cinéma avec une casquette chinoise et un blouson américain, en un lieu où j’ai reconnu le bureau de Dominique de Roux; je lui ai offert deux volumes de mes carnets qu’il m’a dit apprécier; nous nous sommes retrouvés au restau japonais Chez Yushi, rue des Ciseaux, dans le VIe arrondissement de Paris, où il a une chaise à son nom comme un metteur en scène, et tout de suite le courant a passé: je me suis avec lui senti libre de pensée et de parole comme avec presque personne.
    La dernière fois que j'ai vu Roland en 3 D, il m'avait invité au Lausanne-Palace pour m'y remettre un cadeau. Lorsque j'arrivai, il me dit qu'il allait me laisser son chien en souvenir avant de mettre fin à ses jours, puis il disparut. J'ignorais qu'il avait un chien sous le manteau, mais moi j'en avais un, brave et fort jaloux de notre affection exclusive. D'abord effrayé à cette perspective, je fus rassuré de voir Roland revenir de sa suite avec Le Monde d'avant, trop volumineux pour être emmené avec mon chien dans nos balades, mais qui n'en porte pas moins la rituelle dédicace d'Amitié fidèle...
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