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  • Le Temps accordé

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    (Lecture du monde, 2021)
     
    BONS GÉNIES. – Peu après minuit, après avoir visionné, sur Youtube, un film japonais singulier où il était question de l’adoption d’un petit orphelin par une famille richissime dont le fils, à peu près du même âge que celui du garçon adopté, fait de celui-ci un jouet et plus tard un valet et quasiment un esclave affectif et sensuel, j’ai acquis d’un clic, et pour 5 euros, la version numérique de Trois maîtres, l’essai de Stefan Zweig consacré à Balzac, Dickens et Dostoïevski dont la première partie m’a immédiatement saisi par sa vista historique à large vue (où il établit le parallèle entre la saga napoléonienne et l’émergence de la volonté de puissance chez le jeune Honoré), sa pénétration psychologique, sa capacité de synthèse et plus encore la puissance de son souffle dans son évocation de la tornade balzacienne.
    Et moi qui, jusque récemment, ne voyait en Zweig qu’un littérateur besicleux à petite moustache, produit typique de la Mitteleuropa viennoise fatiguée, alors que je découvre un peintre social à fresque et un poète des sentiments et de la pensée d’une qualité d’intuition exceptionnelle et d’un savoir ébouriffant ; et le début des pages consacrées à Dickens m’a tout autant touché, dans un tonalité complètement différente, intime et quasi «familiale», qui va m’y faire revenir tantôt ( Ce samedi 17 juillet )
     
    PETITE TOMBE. – Ayant voituré ma bonne amie chez nos Américains, à Châtel-Saint-Denis, et cheminant ensuite avec mon escort dog dans un vaste alpage bordé de forêts, j’avise de loin, à la lisière d’un bois, un petit mausolée dont je découvre en m’en approchant, qu’il est dédié à un jeune Cédric dont la photo encadrée jouxte un texte d’un certain Johnny qui rend hommage à l’ami toujours souriant et parti trop tôt. Quant aux détails de cette mort prématurée (les dates précisées fixent celle-ci à l’âge de dix-huit ans), mystère, et je n’ai pas envie d’en savoir plus, comme s’il fallait préserver l’intimité de Cédric en ce lieu dont il émane un sorte de douloureuse magie.
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    AVEC VUE SUR LE LAC. – Il y a plus de soixante ans que je n’étais pas revenu en ces lieux préalpins où nous montions skier en famille, empilés dans notre première VW bleu ciel, et je ne suis pas sûr de raffoler de la transformation de la petite station des Paccots de jadis, aux quelques chalets et auberges où l’on servait l’Assiette du Skieur, en zone super-urbanisée, mais je pousse une pointe, trois cents mètres plus haut, jusqu’à la terrasse de l’auberge du lac des Joncs pour y retrouver, malgré les dîneurs et le vent menaçant d’arracher les parasols, un hâvre de paix qui me rappelle, marchant le long du tout petit lac vert sombre serti dans la verdure, le lago delle Streghe, au Devero, dont j’ai fait l’une de mes peintures que je préfère - image de recueillement intime et de mystère latent ; et là je songe à la fragilité de notre vie partagée de ces jours, où nous ménageons nos dernières forces, à l’embellie relative vécue par Lady L. depuis hier et à la chance que nous avons d’être entourés, comme ces eaux par les grands arbres, par tant de présences aimantes, tant de gestes bienveillants, tant de voix amies nous permettant d’affronter les horreurs de la maladie…
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    TRICOTS. – Dans leur duplex lumineux donnant sur le haut plateau industrialisé et les croupes vertes des Préalpes fribourgeoises, je retrouve nos Américains et ma douce qui s’est remise au tricot à l’instar de notre fille aînée qui, forte de ses deux licences de lettres en espagnol et en arabe, achève à l’instant une paire de jolies petites mitaines à moires argentées que Lady L. pourra chausser à l’intérieur de ses énormes moufles bleues à poches de glace destinées à calmer les onglées veineuses que provoque la chimiothérapie
     
    L’INCONCEVABLE. – Il y a plus de deux ans de ça, un quidam écrivait, dans le courrier des lecteurs de 24 Heures, qu’il fallait impérativement que le gouvernement fédéral «arrête la Suisse» pour des raisons sanitaires, et cela me parut aussi énorme qu’irréalisable, mais c’est bel et bien ce qui s’est passé ensuite, en tout cas en partie : le Conseil fédéral s’est arrogé le droit, par devoir urgent et sans consulter le Parlement, d’arrêter une partie de l’économie du pays, de fermer les hôtels et tous les lieux de rencontre ou d’échanges collectifs tels que les cafés ou les théâtres, les boîtes de nuit et les écoles, les bureaux et même les librairies et les chantiers à ciel ouvert, sans provoquer la moindre émeute, au point que d’aucuns ont parlé de soumission grégaire et même de veulerie; mais nous avons coupé au couvre-feu à la française et à la chasse aux sorcières, nous disons-nous pour ne pas déchoir tout à fait, sans que nous comprenions pour autant aujourd’hui encore, me semble-t-il, ce qui nous est réellement arrivé…
    D’une façon presque analogue, ma bonne amie et moi, autant que notre proche entourage, n’avons pas encore réalisé que ce qui nous est tombé dessus, ordinairement réservé aux autres, comme on croyait naguère que les grandes épidémies ne concernaient que les pays lointains, aux extrêmes insalubres de l’Orient ou du Sud, puisse nous arriver à nous, ici et maintenant…
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    ROMAN D’UNE VIE. – Au terme de ma lecture de la biographie de Balzac par Stefan Zweig, qui l’a occupé pendant des longues années et qu’il n’a pas complètement achevé – ce qui ne se voit d’ailleurs pas du tout -, j’ai en tête un extraordinaire récit romanesque qui a été en somme « écrit » et subi par son protagoniste lui-même, artisan principal de toutes ses tribulations financières et autres « malheurs », lesquels ont paradoxalement coïncidé avec les périodes les plus fécondes du romancier, Zweig démêlant admirablement en outre l’embrouillamini de ses relations sociales ou sentimentales, particulièrement entortillé en ce qui concerne le feuilleton de Madame de Hanska que son soupirant exalté abreuve d’un roman parallèle d’une mythomanie extravagante.
    Lucide à l’extrême, et rendant justice en partie à la grande dame à la fois flattée par l’hommage du génie et toujours condescendante en son snobisme de classe, Zweig n’est pas dupe de la comédie que se jouent les deux personnages, et sa défense de la mère de Balzac, dont il n’est pas dupe non plus du double jeu, relève de la même subtilité psychologique.
    Mais pour l’essentiel, s’il voit les petitesses du cher homme, ses monomanies délirantes et ses obsessions récurrentes, c’est à la hauteur où, à peu près seul, Victor Hugo situait son pair et ami (le bouleversant hommage final cité in extenso), que l’écrivain autrichien replace celui qu’il considère, avec Dickens et Dostoïevski, comme l’un des trois seuls grands romanciers du XIXe siècle à dimension vraiment universelle.
     
    RATÉS DE l’ENSEIGNEMENT. – À Lady L. qui me disait, ce matin, qu’elle avait détesté les lectures scolaires de Balzac, jamais introduites par le prof et réduites au statut de devoirs de vacances, je réponds que ne pas présenter un tel écrivain, le personnage et son œuvre, à des jeunes gens sans expérience, relève d’un défaut d’enseignement largement partagé, mornement conforme à un « programme » inamovible où la passion ne peut-être qu’individuelle et d’exception, et comment jeter la pierre à ces enseignants alors même qu’un lettré aussi éminent qu’Henri Guillemin déclare, de son côté, que la lecture de Balzac l’a toujours « fait crever » ?
    En ce qui me concerne, je ne crois pas qu’aucun enseignant ne m’ait jamais fait aimer Balzac, dont j’ai lu Le père Goriot et La peau de chagrin dans mon coin à l’adolescence, Le chef-d’œuvre inconnu et Illusions perdues dans ma vingtaine, Seraphita sur le conseil de Pierre Gripari et Eugénie Grandet lorsque Dimitri m’a offert les vingt volumes de la Pléiade récupérés de la bibliothèque de Caraco pour me payer de je ne sais plus quel travail, Illusions perdues bis en 1999 et tout le premier volume de la collection Omnibus que j’ai repris depuis mars dernier, donc la septantaine passée, pour avoir enfin l’impression de tout capter de ce que je lis…
     
    AU COMPTEUR. – Si je fais le compte des pages de mes carnets réunies sous le titre de Lectures du monde en cinq volumes publiés à ce jour, de L’Ambassade du papillon (en 2000) à L’échappée libre, en 2017, j’en arrive à un total d’un peu moins de 2000 pages, à quoi s’ajouteront 350 pages avec Mémoire vive et les 300 autres pages actuellement écrites du Temps imparti, qui en comptera peut-être le double si je survis encore un peu.
    En attendant je vois ça comme en perspective cavalière : ces Lectures du monde, de 1972 à 2022 (je touche du bois) constituent, plutôt qu’un journal linéaire, une chronique modulée par un montage particulier, et ce dès Les Passions partagées, qui fait alterner les parties datées (reproduites en italiques) et les fragments thématiques.
    Untel m’a reproché de briser ainsi la suite mélodique du journal d’écrivain ordinaire, dont un Amiel ou un Léautaud sont les meilleure exemples, mais justement je tenais à cette rupture, qui procède des scansions et secousses de la vie même, avec changements de ton et contrepoint passant de l’intime à l’extime, cette pratique me rapprochant plutôt des collages d’un Max Frisch ou, plus fondamentalement, des « feuilles tombées » d’un Vassili Rozanov ou du « carnet de bord » morcelé d’une Annie Dillard captant ombres et lumières avec son incomparable limpidité, poids du monde et chant du monde, etc. (Ce dimanche 18 juillet)
    PeintureJLK: Lago delle Streghe, al Devero.

  • Mémoire vive

     
    (Lectures du monde, 2019)
    Zermatt, on the roof, ce jeudi 23 mai. – Je me trouve à l’instant sur le toit du Charm-Inn, à cinquante mètre de l’église de Zermatt, avec vue sur le Cervin et dans le fracas continu des rotations d’hélicos au travail. Les chantiers lourds étant ici interdits pendant la haute saison, les gars du bâtiment se défoncent; et moi aussi je turbine à la révision, avant son envoi à Guillaume, de mon pamphlet intitulé Nous sommes tous des zombies sympas – à vrai dire plutôt libelle que pamphlet pour sa tournure de joyeux poème assassin.
    Je peinais hier, grinçant des rotules, à remonter la Bahnhofstrasse rutilante de marques à fric, top de la globalisation et conservant pourtant certains traits de vrai vieux bois sous son maquillage de pute, me rappelant en souriant jaune nos corps glorieux de jeunes dieux solaires, il y a cinquante ans de ça, à l’étape de la Haute Route…
     
    PESANTEUR ET GRÂCE. – La pesanteur nous fera tous tomber de hauteurs diverses, me dis-je en revenant une fois de plus au petit cimetière des dérochés du Cervin, mais je me rappelle aussi, avec Simone Weil, que nous pouvons tomber vers le haut sous l’effet d’une grâce méritée ou accordée Dieu sait pourquoi.
    Mais au vrai, que savons-nous ? Je me le demande en lisant Les impardonnables de Cristina Campo, découverte par Guillaume auquel j’ai fait découvrir La Trahison de Zagajewski, et tout à l’heure je lui ferai signe via FACEBOOK de la cafète high tech du petit Cervin, 3883 mètres au-dessus des déchets marins, pour lui réitérer mon affectueuse reconnaissance.
     
    Wuppertal, ce mercredi 6 juin. – Ce n’est pas sur un coup de tête mais un mouvement conjoint du cœur et de l’esprit, et du corps et de l’âme aussi que je me suis décidé l’autre jour à me taper 1500 bornes aller-retour, pour la Beauté que ç’a été ce soir avec la création d’Eros Athanatos de mon cher Aliocha, retrouvé après quarante ans – il en avait onze quand j’ai aimé la Sarrasine sa mère – et dans la musique duquel il m’a semblé véritablement pénétrer, physiquement et émotionnellement, jusqu’au bord des larmes, entre exultation dionysiaque et chocs des contraires, toute douceur et soudain fracas, violoncelle et piano magistralement tenus par Capuçon et Thibaudet, merveille pure sous les dorures de la Stadthalle de cette ville déclarée rasée au soir du bombardement du 29 au 30 juin 1943 - et voilà ce que les artistes répondent.
     
    PERFECTION. – Il n’y a pas un atome de place, dans la musique, pas plus que dans le seul vrai style éternellement neuf, pour la moindre tricherie, et le rôle de la seule vraie critique, exigible en chacun et accessible à tous, ne tient qu’à cela : distinguer ce qui est de la triche et ce qui n’en est pas.
     
    À La Désirade, ce 14 juin 2019. – Je passe aujourd’hui le cap de mes 72 ans, au même jour de la naissance d’Ernesto Guevara, dit le Che, et que la grève des femmes en Suisse démocratique non moins qu’inégalitaire à cet égard, mais cette date ne serait rien sans la tendresse, incommensurable, qui touche aux quatre instances du Corps et du Cœur, de l’Esprit et de l’Âme, toutes liées à la seule Lady L. et dont ce journal ne dira rien que par allusions.
    De notre infante Number One, ces jours présente avant son retour définitif de San Diego, je reçois un patchwork mirifique modulant à sa façon le chant du monde, et demain Number Two donnera vie à son second enfant – ainsi mes trois grâces ne cessent-elles d’alléger ma pesanteur, etc.
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    COMPARTIMENTS. - Dans les trains et les rames de métro, les gens sont compartimentés, ou disons plus précisément que Czapski est attentif à leur solitude compartimentée, cadrée de diverses façons, mais le titre même de cette toile de 1985 (le peintre a donc 89 ans) est explicite à cet égard.
    La dominante des couleurs est au rouge sang de taureau, qu’on pourrait dire aussi, en moins velouté, celui d’une loge de théâtre, sous la lumière d’une seule lampe à l’orange de jaune d’œuf.
    L’apparition compartimentée est celle d’un voyageur au profil difficile à identifier. S’agit-il d’un jeune pirate ou d’une créature de genre indéterminé figurant peut-être la mort ? Rien ne permet de l’affirmer à coup sûr : tout est laissé à l’interprétation de celui ou celle qui regarde, elle ou lui compartimentés à leur tour par leur seul regard.
     
    MÉLANCOLIE. - Repris ce matin mes Riches Heures . Sacré bouquin. Qui me rappelle l’injustice de Dimitri ne m’en disant pas un mot. Pauvre Dimitri, qui a perdu son aura. Et que je ne juge pas pour autant. « Tu ne sais pas à quel point je suis mauvais », a-t-il dit un jour à Slobodan Despot. qui ne l’a sûrement pas inventé ; et de fait je l’ai vu devenir de plus en plus mauvais après nos retrouvailles dont j’espérais tant, et notre fille Sophie, travaillant auprès de lui, a fini elle aussi par le fuir comme on fuit un démon. Quant à moi j’ai trouvé en Pierre-Guillaume, l’interlocuteur idéal qu’à représenté Dimitri jusqu’à la guerre, après quoi tout s’est gâté dès l’apparition du même Slobodan, etc. (À La Désirade, ce mardi 16 juillet)
     
    BON RETOUR. – De mon nouvel ami Pierre Mari, je reçois cette lettre consacrée à mon libelle : « Cher Jean-Louis, il ne fallait pas désespérer : avec moi, grand lecteur de Rabelais, « tout vient à poinct à qui sçayt attendre ».
    Je viens d'achever la belle et forte conclusion de ton livre. (…) J'ai lu ton ouvrage comme j'aurais dégusté un excellent repas accompagné d'un grand cru. Je ne trouve pas mieux, pour l'instant, comme métaphore. Et si je peux me permettre une seconde métaphore culinaire (il me semble, et tu me diras ce que tu en penses, que celle-ci rapproche nos deux textes) : j'ai l'impression que tu as procédé avec une broche aussi acérée que pénétrante pour enfiler les quartiers de viande les plus divers et parfois les plus éloignés. L'unité de ton livre est dans la broche, si je puis dire ! Ainsi tu embroches l'art contemporain, la mondialisation, la poésie, la farce sociale, la technologie délirante, la paresse insondable des schémas intellectuels, etc. Je ne saurais te dire à quel point je me suis retrouvé dans cette réjouissante et féroce cuisine ! Par exemple, la « pitoyable jobardise des intellectuels parisiens » (avec l'invocation de Simon Leys, dont il faut réactiver le souvenir, tant il fut prémonitoire et bouleversant), la distinction fort salubre que tu rappelles entre écrivain, écriveur et écrivant (j'y adhère sans l'ombre d'une réserve, cela va de soi, surtout par les temps des confusionnisme qui nous happent), les « fripouilles abjectes du marché de l'art mondialisé » (ce genre de propos devient de plus en plus difficile à tenir dans les dîners - que je fréquente fort peu, rassure-toi - tant la crainte du procès en obscurantisme tétanise les esprits même les plus déliés), et puis naturellement ce « petit théâtre de marionnettes sociales » où l'on croise à plusieurs reprises, et pour notre plus grand plaisir de bouche, la Douairière, le Glandeur, le Tatoué, et autres personnages satellisés autour du Grand Quotidien. J'adore également (et tu me permettras ce petit accès de jalousie, car j'aurais aimé être l'auteur de la formule) ton « compost égalitaire final », qui trouve très justement sa place dans les toutes dernières pages (…) P.S. Je me rends compte que je n'ai rien dit, dans les lignes qui précèdent, de la tonalité du livre: une férocité goguenarde entrelardée de beaucoup d'accès de tendresse et de nostalgie. On se dit, en achevant le livre, que le registre était celui qui convenait au propos. Ce n'est pas toujours le cas avec les livres contemporains, qui pèchent le plus souvent par une navrante absence de grâce ».
     
    FACTOTUM. - Buddha le népalais débarque ce matin pour nous aider alentour, le physique flamboyant tandis que je me traîne sur mes guibolles, et moins d’une heure après son arrivée la pente d’herbe surplombant la terrasse est nettoyée, olé. (Ce mardi 23 juillet)
     
    COMPÈRE. - Je reprends ce matin la lecture du Journal de Jules Renard, que je lis et relis depuis une cinquantaine d’années, cher compagnon au sourire dans les larmes – et tout à coup je me rappelle que, dans notre enfance, nous avons joué des scènes de Poil de Carotte, mais le Journal aura jeté un autre pont entre nos champs et les forêts où je poursuivais mes lectures solitaires, et la ville où il fallait bien aller…
     
    ALERTE. - Lendemain de crise cardio-vasculaire nocturne, qui m’a terrassé à deux heures du matin, littéralement jeté au sol où je suis resté une heure les pieds en l’air et cisaillé par de violentes douleurs lombaires, craignant l’attaque cardiaque que je pressentais plus ou moins ces derniers jours, et même, à un moment donné, sûr que j’allais y rester, et puis non : ce n’était pas le moment pour ce pauvre cœur de me lâcher, et quand j’écris cœur je pense corps car j’ai eu la sensation que mon corps me submergeais et que j’allais pour ainsi dire le vomir. Or je le prends comme un avertissement, et je vais tâcher ces prochains jours de ménager l’animal avant de consulter. (Ce jeudi 8 août).
     
    DE LA POÉSIE. - Je constate de plus en plus que peu, très peu de poètes me parlent, et que sur ce peu de poètes que très peu de leurs poèmes me touchent. Or je sais très exactement ce qui me touche, ou plutôt je le sens, assez infailliblement si je n’écoute que mon oreille…