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  • Le Grand Tour

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    53. Le tragique nié en pays nanti...
     
    Des pierres glaciaires de Bad Ragaz et de Günter Wallraff. D’une opinion de Daniel de Roulet que je conteste. Où Sean Penn montre le chemin à nos romanciers…
     
    A Bad Ragaz, au bord du Rhin, ce samedi 9 juin. – Les plus beaux galets, il faudrait plutôt dire les plus belles pierres glaciaires de ce pays me sont apparues, pour la première fois, sur les marches d e l'escalier d'accès à la maison, à Cologne, d’un militant allemand mondialement connu pour ses actions de provocateur «entriste», du nom de Günter Wallraff.
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    C’est en effet chez l’auteur de Tête de Turc et d’un fracassant reportage sur les méthodes de la presse d’Axel Springer, dans laquelle il s’est infiltré incognito, que j’ai découvert ces grandes pierres aux formes épurées et de coloris variables, du noir jais strié de blanc au rose ou au bleu translucide.
    J’ai beau en vouloir un peu, à Günter, de considérer la Suisse d’un œil de sectaire gauchiste, ne voyant en elle qu’un vampire au cœur de l’Europe, qui ne serait enrichi que de l’argent des autres : je lui suis redevable de m’avoir révélé l’endroit où il a trouvé ces merveilleux cailloux que je contemple à l’instant, réfléchissant à tout autre chose en regardant couler le Rhin dans les eaux duquel on sent encore filer des relents de moraine brassée.
    C’est à propos d’Engelberg où je me trouvais hier, à propos des géraniums aux fenêtres et de ce que Georges Haldas appelle le meurtre derrière les géraniums, à propos de la prison sans barreaux évoquée par Friedrich Dürrenmatt devant Vaclav Havel, enfin à propos d’une remarque du camarade Daniel de Roulet au Centre Dürrenmatt, lors d’un hommage posthume à celui-ci, que je réfléchis à cette idée, partagée par Alain Tanner, que notre pays ne se prête pas à la fiction du fait qu’il ne s’y passe rien.
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    Je pense au quidam au-dessus de tout soupçon qui a flingué, au Grand Conseil de la riche petite ville de Zoug, en septembre 2001, une quinzaine de personnes et y a fait autant de blessés. Je pense au jeune homme paumé qui a déchargé son fusil d’assaut dans un cinéma porno de Lausanne. Je pense au meurtre plus récent qui a coûté la vie à la championne de ski Corinne Rey-Bellet, pour ne citer que des faits divers sanglants, car il va de soi que les événements significatifs ne se bornent pas à cela, et je me rappelle alors La Promesse de Friedrich Dürrenmatt.
    Avec ses grosses fables de plantigrade bernois, telle La visite de la vieille dame, Dürrenmatt a raconté la Suisse au monde entier, à en faire rêver Raul Ruiz, qui en a tiré un film. Et Sean Penn s’y est mis à son tour, en revisitant La Promesse, devenue The Pledge, qui se passe originairement en Suisse et qui vaut partout.
    La Suisse est riche en documentaristes talentueux, mais il est vrai que la fiction peine à mordre dans le vif de la réalité, qui n’est pas moins réelle qu’ailleurs, mais qui se feutre, se planque en effet derrière les géraniums. Quels films de Tanner, de Goretta ou de Soutter, considérés comme des réalisateurs engagés, ont-ils vraiment mordu dans le vif de la réalité helvétique avec des fictions ? Je n’en vois aucun. Les meilleurs films de ces virulents critiques sont, paradoxalement, des ouvrage de poètes, comme il en va de L’Ame sœur de Fredi M. Murer.
    Quelle conclusion en tirer tandis que le Rhin file son long récit de concert avec ses belles pierres ? J’aimerais bien en parler avec le camarade Daniel de Roulet, qui m’écrivait hier un mail du Cap de Bonne Espérance ? Mais oui, Daniel, je sais qu’il est interdit de cueillir des pierres dans le Rhin…

  •  Michel Onfray égare sa Nef des fous  dans les remous du n’importe quoi…

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    Avec son « éphéméride » réduisant l’année 2020 à une énumération quotidienne de faits et gestes, propos privés et décisions publiques indéniablement délirants ou aberrants, notamment inspirés par le politiquement correct ou la soumission aux «ismes» dominants - à commencer par l’islamisme radical -, Michel Onfray s’érige en Monsieur Propre de l’« élite » intellectuelle et politique  française, en recourant trop souvent, hélas,  aux raccourcis, amalgames et autres généralisations abusives juste dignes d’un humoriste de cantine, à quoi s’ajoute une écriture aussi décevante que sa pensée…        

    D’aucuns le déclarent et le ressassent avec ou sans nuances: rien ne va plus, faites vos jeux, le  monde est fou. Ou plus exactement: les hommes sont fous,  en plein délire, et plus que jamais depuis un an. Donc rien d’étonnant à ce que le « philosophe » français le plus répandu des temps qui courent intitule son dernier livre La nef des fous. Lequel s’inscrit dans ce qui tend à devenir, depuis quelques années, une mouvance dont le politiquement correct est la première cible.

    De fait, le nouveau livre de Michel Onfray fait suite, plus de trente ans après la parution de L’Âme désarmée d’Allan Bloom,  en lequel on peut voir le premier critique sérieux de la political correctness dans les universités américaines, à deux essais plus récents qui ont fait date - d’ailleurs commentés sur Bon Pour la Tête -, à savoir La philosophie devenue folle de Jean-François Braunstein (Grasset, 2018) et La Grande déraison de Douglas Murray (L’Artilleur, 2020), tout en poussant le bouchon plus loin, concluant à la décadence générale et, beaucoup plus discutable, en glissant volontiers de la critique légitime à la délation personnelle…

     

    Entrez, Mesdames et Messieurs…

    Comme un bateleur de foire au seuil de quelque Galerie des Monstres, Michel Onfray en appelle à notre curiosité de concierges virtuels dès la 4e de couverture et l’Avantt –propos de ce qu’il appelle son »petit traité de morale décadente », en nous promettant de lever le voile sur un escroc interbational protégé par l’Etat français, une fillette de huit ans impatiente de changer de sexe depuis sa quatrième année, des égorgeurs islamistes « présentés comme des victimes par les journalistes parisiens » », une féministe  québécoise qui souhaite la vasectomie des hommes dès l’âge de dix-huit ans, des militants végans qui s’opposent à l’usage des chiens d’aveugles, des pédophiles qui achètent des vidéos de viols d’enfants sur Internet, le journal Libération cautionnant la coprophagie et la zoophilie par l’entremise d’un se des collaborateurs transgenre, le pape et Tarir Ramadam pour qui le coronavirus serait une punition divine, une femme écrivain qui a décidé de ne plus lire un seul livre écrit par des hommes,  bref que du lourd pour convaincre ceux qui ne le seraient pas encore: que s’impose décidément, ici, ce «journal du Bas Empire de notre civilisation qui s’effondre», avec un clin d’œil à Voltaire censé rire avec l’auteur et une citation de L’Antéchrist de Nietzsche qui, sortie de son contexte, tombe du ciel comme une prétendue vérité dont chacune et chacun fera ce qu’il ou elle voudra tant elle est pompeusement vague et sans objet défini : « Je prétends que toutes les valeurs qui servent aujourd’hui aux hommes à résumer leurs plus hauts désirs sont des valeurs de décadence». 

    Mais faire dire à Nietzsche des choses apparemment profondes est aussi facile (et tendance, aujourd’hui) que de s’emparer à bon compte d’un des éléments de la critique nietzschéenne de la morale, qui le fait railler la « moraline ». Or Michel Onfray n’en est pas à un geste de récupération près : le voici donc nous annoncer un «traité de moraline». Ce qui serait en effet le bienvenu, sauf que son livre est imbibé de propos moralisants visant à rabaisser les uns et les autres… 

    Quant à savoir de quel «Bas-Empire» il s’agit (la France, l’Europe, l’Occident, la Nef mondiale ?), cela reste aussi vague que cette notion de décadence généralisée, même s’il y a bel et bien de la déraison un peu partout, en ces temps que nous vivons,  et pour tous les jours…

     

    Un moralisme populiste

    Alors qu’il prétend lutter contre la « moraline » des nouveaux vertueux, Michel Onfray se pose, dès le 2 janvier 2020 où il évoque l’affaire Matzneff à propos de la sortie du Consentement de Vanessa Springora, en juge opposé à l’ensemble des intellectuels parisiens  qui ont « défendu la pédophilie dans les années 1970 », et de citer quarante écrivains ou philosophes, d’Aragon à Sartre en passant par Alain Finkielkraut, Jacques Derrida, Bernard Kouchner, Simone de Beauvoir ou Michel Leiris, et de se vanter aussi d’avoir «dénoncé» les peintures de Balthus et le roman Lolita de Nabokov.

    Dans un de ses derniers essais, le philosophe allemand Peter Sloterdijk pointe, très justement, ces terribles raccourcis qui font aujourd’hui la fortune de certains médias et des réseaux sociaux, propres évidemment à jeter le discrédit sur tel personnage ou tel groupe social, ces pourris de politiques ou ces ordures de journalistes, ces artistes, etc.

    Et le père-la-morale Onfray de rappeler dans la foulée qu’il s’est déjà opposé, dans un essai,  à l’oeuvre de  Sade le pousse-au-viol, et d’affirmer, péremptoire que « quiconque se réclame de la gauche a le droit d’être antisémite raciste, racialiste, misogyne, homophobe, phallocrate  pour autant qu’il se réclame de l’islam ! », alors qu’un défenseur actuel de Céline ou de Rebatet le fasciste serait aujourd’hui interdit de parole…

    Enfin, pour en finir avec cet aspect très déplaisant des « dénonciations » de Michel Onfray, que dire de sa façon de taxer son confrère André Comte-Sponville de cupidité parce qu’il accepte d’être payé pour ses conférences, alors que lui-même ne se pointe pas sur un plateau de télé sans « piges » pharaoniques  et qu’il monétise jusqu’à son site Internet ?  Et que dire d’un «philosophe» qui dégomme la femme du président pour ses frais de coiffure ?

     

    De l’exercice actuel du tri des déchets

    Tout n’est pas cependant à jeter du dernier opus de Michel Onfray, dont les indignations procèdent parfois d’un vieux bon sens terrien renvoyant à son cher paternel (on se rappelle le tendre éloge qu’il en fait au début de Cosmos), alors que ses errances de jugement recoupent celles de l’époque et plus précisément du malaise français.

    Comme un Eric Zemmour, Onfray est nostalgique de la grandeur française, et l’on comprend que, même athée militant, il regrette la force du catholicisme, au point d’envier (cela se lit entre les lignes  des 500 pages de Décadencece) la ferveur des musulmans ou de ce qu’il croit le véritable islam. Quant à lui donner raison, nuance…

    Paul Léautaud disait qu’il n’est pas inutile de lire parfois de mauvais livres, et c’est en somme l’aspect hautement symptomatique de cette œuvre surabondante et mégalomane,  aussi confuse que passionnée, vigoureusement polémique mais  dénuée d’humour et de poésie, qui devrait nous intéresser, autant que les gesticulations et palinodies de ce contempteur opportuniste du politiquement correct, à l’heure précisément où cette posture, saine dans les grandes largeurs (d’Allan Bloom à Philippe Muray ou Douglas Murray), devient une sorte de posture obsessionnelle anti-bobo, anti-gauche, revers exact de la médaille gauchiste des «antifas».

    L’époque, depuis le début de la pandémie, est au méli-mélo des opinions qu’exacerbent toutes les incertitudes, où l’on serait en droit d’attendre un peu de recul et de mesure dans la parole d’un penseur. L’exercice consistant à distinguer le bon grain de l’ivraie, pour reprendre les termes, s’impose plus que jamais, et c’est à cet effort que nous oblige, à son corps défendant, notre « philosophe » par  l’usage douteux qu’il fait  des « délires» qu’il consigne tous les jours dans La Nef des fous, cédant de plus en plus à un catastrophisme complaisant frotté de complotisme à la manière du mouvement Qanon (notamment quand il introduit le concept d’État profond, crache sur le pape François après avoir vilipendé le concile Vatican II  en termes dignes des intégristes les plus bornés, ou s’acharne sur le pauvre Macron) et ne voit dans la suite des jours que les «preuves» de la décadence, comme si vous passiez votre temps à feuilleter tel ou tel tabloïd genre Détective réduisant l’activité humaine à toutes les saletés, ragots et autres déchets.

    Bref, et sans regretter d’avoir loupé le coche en m’épargnant la lecture des 670 pages de Sagesse, l’avant-dernier pavé de Michel Onfray, je retourne à la lecture nonchalante des 834 pages du Journal (1983-1988) du compère Roland Jaccard, dont le décadentisme de façade dissimule un personnage aussi attachant que parfois agaçant par ses postures et autres vanités qu’il est le premier à se reprocher, vibrant de curiosité multiples et intéressant autant par ses réflexions originales que par ses cancans, élégant jusque dans sa façon d’égratigner ses amis Matzneff ou Ben Jelloun, bref «trop humain» en son inguérissable folie de vivant – mais j’y reviendrai !  

     

    Michel Onfray, La Nef des fous, des nouvelles du bas-Empire. Bouquins, 238p. 2021.

    Roland Jaccard. Le Monde d’avant. Journal 1983-1988. Serge Safran éditeur,  841p. 2021.