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  • Pas de quoi rire ?

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    (Notes d’hosto Vl)

    19. Nous avons bien ri, avec le sémillant Docteur M., qui m’appelait son plus joyeux cancéreux après les premières des 55 séances de tir à l’accélérateur linéaire qu’il m’avait prescrites, à la fin desquelles il m’ordonna, malgré notre vive sympathie réciproque, de ne plus jamais me pointer en son pavillon de radiologie oncologique. Ce garçon qui aurait pu être mon fils m’appelait jeune homme, bon point, et ne prenait pas à la légère mes conseils liés à sa santé physique et surtout spirituelle: ne pas s’exténuer à la tâche mais beaucoup lire, enfin prendre le plus grand soin de ses enfants - ce qui allait de soi pour ce véritable humaniste lecteur de Montaigne et de Tintin .

    20. Le soir de mon admission au service des urgences de l’hôpital où je survis depuis une pleine semaine, j’annonçai sur Facebook que, pressenti pour un rôle de défunt regretté dans la relance de la série Six feet under, j’avais finalement décliné l’offre en dépit d’un cachet à six chiffres; et le lendemain je répondis avec plus encore de détermination, au médecin me demandant si, en cas d’arrêt cardiaque , j’autorisais l’utilisation de tous les moyens pour me ramener à la vie, que non seulement j’autorisais mais que j’ordonnais, au risque d'être achevé pour la bonne cause...

    21. Mais le plus farce est de ce matin, lorsque la très belle, et douce, et futée Docteure G., m’ayant demandé l’origine de la longue cicatrice verticale marquant mon noble thorax - hernie hiatale signée au scalpel du Dr Meyer, en 1988 -, je lui expliquai sans ciller que c’était là un souvenir du temps où j’étais mule du cartel de Don Epifanio, dont les hommes m’avaient ouvert le ventre au couteau pour récupérer les 22 doses de coke de mon dernier transport - et la belle Docteure, d'abord médusée, d'éclater ensuite d'un de ces rires cristallins non dénués d’érotisme qui aident à se sentir bien du côté de la vie...

    (À suivre au prochain numéro)

     
  • Cris et chuchotements

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    (Notes d’hosto VI)

    16. L’avant-dernière fois que j’ai entendu des cris de femme signalant tout à coup ce qu’on dit vulgairement un pétage de plombs, ç’était il y a un mois dans le métro de Paris; de la rame bloquée par l’alarme on ne voyait de loin qu’une gesticulante jeune femme entourée de mecs et d’une foule croissante de curieux, nous ne savions pas ce qui s’était passé mais les cris disaient bien que ce n’était pas rien, dont l’éclat dramatique lancinant s’accordait en somme avec le décor du métro, tout autre évidemment que celui d’un box d’urgences ou tout soudain éclate, comme l’autre jour, dans la salle de cathétérisme où je venais de suivre en «live», sur petit écran, la pose de deux stents dans mes artères coronaires, ces vocifération frisant la démence assez inattendues dans la rumeur plutôt feutrée d’un hôpital...

    17. Il est cependant un type de chuchotements presque aussi redoutables que des cris, et ce sont ceux de la visiteuse intarissable essentiellement intéressée par le récit de ses propres maux dont l’inventaire ne s’arrêtera même pas à l’épisode le plus marquant de la saga («alors là, Jean-Paul, ils m’ont tout enlevé »...), mais rebondit à n’en plus finir, («et là, Jean-Paul, je lui dis que non, à Suzanne, et tu sais ce qu’elle me répond à propos de la cure de phosphate ? Tu vas pas le croire, mais moi je lâche pas le morceau, enfin tu me connais »), et vous vous réfugiez sous votre casque mais même avec les coups de feu du film noir dans lequel vous vous êtes replié ça jacasse encore en coulisses («et tu sais, Jean-Paul, comme elle est, la Janine, depuis qu’elle s’est fait refaire les seins »), etc.

    18. Les nuits en prison, je ne les connais encore que par la télé, mais a l’hôpital ça a un son particulier, un silence jamais absolu, surtout dans un établissement comme celui-ci ou tout communique à l’horizontale et en dédale à multiples échos proches ou lointains, et ça chuchote donc un peu partout et tout le temps; mais hier soir là-bas, très loin (le bâtiment fait 800 mètres de longueur) ça été de la folie avec une querelle qui s’est prolongée vers minuit entre deux voix de vraies furies juste atténuées par la distance, et tout à coup plus rien - dans une prison ça se serait soldé par du sang sur le carreau, mais à l’hôpital les cris sont assez vite étouffés à ce qu'il semble - avec des oreillers ?

    (Suite au prochain numéro)

     
  • Aléas de métier

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    (Notes d’hosto V)

    13. Durant mon premier transfert en ambulance, d’un hosto tout neuf mais pas encore appareillé en matière de coronarographie, à l’autre oùje devais subir une angioplastie, trimballé couché à travers les coteaux enchanteurs de Lavaux classés au Patrimoine de l'Humanité, j’ai appris, par l’ambulancière quinqua sympa qui m’accompagnait , que, vingt-cinq ans plus tôt, ses journées de jeune mère (deux enfants) s’étaient partagées entre ceux-ci et les accidentés de la route: «C’est sûr que c’était des fois dur dur, mais on s’y fait, et quand on a la vocation, ma foi on y va»...

    14. Mon amie Hélène, enceinte de Léo avant d’avoir fini sa médecine, me disait qu’elle avait appris à se «dédoubler plus ou moins», comme elle disait, en disséquant les enfants morts-nés à l’institut d’anatomie pathologique, et je me souviens que l’activité en question était appelée le «décadage», et qu’elle avait donc droit au titre de «décadeuse»...

    15. La nuit précédant notre course à l’arête des Papillons, sous la tente de bivouac que nous avions dressée au Plan de l’Aiguille, Reynald m’a parlé de ses expérience de chef de clinique au service de chirurgie dirigé par le professeur Saegesser, et notamment du paradoxe qui faisait que les suicides étaient rares chez les patients les plus mal barrés, alors que l’un d’eux, auquel il venait d’annoncer qu’il allait s'en tirer, s’était jeté par la fenêtre du huitième la nuit suivante - et Reynald s’est tué un mois après dans les séracs du Mont Dolent bien nommé, fracassant du même coup la vie d'Hélène, de Léo et de Mélanie la petite dernière...

    (Suite au prochain numéro)

  • Pudeur et distance

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    Unknown-2.jpeg(Notes d’hosto IV)

    10. Le journal intime en langue française le plus bouleversant, à ma connaissance, est celui de Jean Colin d’Amiens, tenu par ce jeune peintre au fil des dernières années de sa courte vie, où il parle beaucoup de son travail, de plus en plus perturbé par la maladie dégénérative incurable dont il souffrait (sclérose latérale amyotrophique, dite maladie de Charcot), beaucoup des maîtres de la peinture qui enrichissaient sa vision personnelle, beaucoup aussi mais en toute discrétion du seul et dernier amour qu’il connut pour une jeune Polonaise qui l’épousa à l’article de la mort. Admirable de délicatesse et de courage, ce journal évoque aussi la présence amicale de Julien Green et, surtout, celle du tendre mentor que fut, pour Jean Colin, le peintre polonais Joseph Czapski qui avait passé la cinquantaine en ces années 50 finissantes et considérait lui-même le jeune homme comme son seul confident digne d'une absolue confiance.

    11. Le journal de Czapski , comptant 270 cahiers, se distingue du «diarisme» ordinaire par sa forme éclatée d’immense patchwork de texte et de dessins, mais une voix tout à fait personnelle s’y fait entendre, et la part intime passe aussi par les dessins, notamment les portraits d’hommes endormis dont les premiers datent de la captivité dans les camps soviétiques, et qui reviennent en motif émouvant.78267352_10221590258412652_3665714540860932096_n.jpg

    12. Travaillant un jour à un autoportrait, Jean Colin s’impatiente tout à coup en parlant de «pornographie» à propos de sa démarche et de son résultat, alors même qu’il n’y avait pas chez lui trace du moindre narcissisme ni d’aucun trouble de type auto-érotique ; cependant son exigence ascétique , sa haute spiritualité, et sa fragilité physique croissante lui rendant chaque geste de plus en plus difficile , l’auront amené à ressentir son regard sur lui-même comme une indécence - le comble pour une âme aussi pure...

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    (Suite au prochain numéro)