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  • Ceux qui passeront l'hiver

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    Celui qui dit ne pouvoir conduire qu’avec des gants fourrés à l'agneau doux / Celle qui milite pour la préservation des tapirs / Ceux qui ne savent même pas à quoi ressemble un Comorien / Celui qui visite tous les cimetières / Celle qui s’est offerte à Dieu fin 1977 / Ceux qui se flattent de lire de l'Heidegger sur la terrasse du chalet Edelweiss / Celui qui se shoote au chant grégorien / Celle qui compte les heures durant lesquelles son conjoint téléphone à sa mère / Ceux qui se retirent dans la pièce de derrière pour hiberner / Celui qui mord sa cousine Bluette dans le train fantôme / Celle qui pose nue dans l'atelier surchauffé donnant sur la Meuse / Ceux qui ont décidé de se séparer sans se le dire / Celui qui se flatte d’avoir fait tous les 4000 des Alpes occidentales sans avoir jamais commis l'Acte / Celle qui enchaîne ses amants au même radiateur / Ceux qui raffolent du goût de la colle de timbre / Celui qui en pince pour les casseroliers de moins de 25 ans / Celle qui sait (dit-elle) pourquoi elle allait chaque année à Djerba à l'époque mais présent tu oublies / Ceux qui se vantent d’être absolument indifférents aux appels du Ciel / Celui qui pense que c’est plaire à Dieu que de dénoncer « le vice » dans les courriers de lecteurs / Celle qui n’aime rien tant que les enfants au jardin public / Ceux qui se réjouissent de voir l’expo Boudin à Vancouver / Celui qui ne peut renoncer au Pauillac qui le démolit (à ce que dit le Dr Gallopin) / Celle qui adore son collègue Lucien Martineau pour la délicieuse mollesse de ses mains / Ceux qui se plaignent d’Untel toujours de bonne humeur / Celui qui s’imagine obligé « par les circonstances » de manger son chat / Celle qui en veut aux Albanais du sud par tradition familiale / Ceux qui espèrent quand même que leur fils finira par se lancer dans le mariage pour tous / Celui qui dit qu’il n’y a que l’Opel Rekord de fiable / Celle qui a pris en horreur la liberté de sa sœur aînée / Ceux qui collectionnent les photos de la face cachée de la lune, etc.

    JLK, La Savoie enneigée. Huile sur panneau.

  • Ceux qui rebondissent

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    Celui qui change de millésime comme de chemise / Celle qui fait visiter le loft du 2016 Happy Avenue à ses futures victimes / Ceux qui prennent 666 résolutions / Celui qui affirme que rien ne sera comme avant dans le couloir de la mort transformé en espace convivial donnant sur le champ d’avocats / Celle qui repart à Zorro / Ceux qui changeant l’eau du mainate / Celui qui dans son pyjama rayé dort à l’abri / Celle qui répète que plus loin la mauvaise herbe ne stocke pas le DDT / Ceux qui positivent dans leur boudoir boudiste / Celui qui oublie le soir ce qu’il a décidé le matin / Celle qui procrastine non sans effort eu égard au Surmoi de l’hoirie / Ceux qui pèchent par modestie dans le confessionnal du père Sigmund de l’Eglise du ça / Celui qui bat de l’aile dans le miroir aux alouettes / Celle qui fait la liste des objets à refiler aux Roms venus de tous les chemins / Ceux qui relisent La chasse aux vieux de Dino Buzzati / Celui qui dans le passage clouté se fait crucifier entre deux larrons / Celle qui ne s’excuse pas de s’en aller un 1er de l’an vu que les premiers seront les derniers et qu’à la fin tout s’arrange / Ceux qui se rappellent soudain que les chats à dents de cimeterre et les paresseux géants (six mètres de hauteur à la belle époque) ont disparu avec la mégafaune des plateaux dits plus tard américains et ce dès la survenue de Sapiens descendu de l’Alaska / Celui qui affirme que ce n’est pas Sapiens qui a domestiqué le blé et la patate mais le contraire / Celle qui admet avoir été cueilleuse de baies dans la région d’Arcachon / Ceux qui ont notablement rectifié leur vision matérialiste de l’Histoire en prenant en compte la découverte du site de Göbekli Tepe (environ 9500 ans avant notre ère) dont les monuments géants échappent à tout raisonnement économiste réducteur / Celui qui s’obstine à prétendre qu’il n’y a aucun rapport entre les mégalithes de Stonehenge et les têtes de pioches galloises / Celle qui lance perfidement à sa guenon bonobo qu’elle manque d’erre / Ceux qui pensent que les temples de Göbekli Tepe ont été construits après le village du site et celles qui pensent le contraire / Celui qui estime que les sandales d’Empédocle ont été laissées par celui-ci sur le rebord du cratère afin de lui éviter de se cramer les pieds / Celle qui regrette parfois la période cool de la récolte des tubercules avant la fuite en avant du jardinage intensif / Ceux qui n’ont jamais apprécié les moutons que leur curiosité éloignait du troupeau / Celui qui est né par hasard fils de Lazare le berger pastorialiste des hauts plateaux silencieux où tu te relèves volontiers pour jouir de la vie même quand t’es mort / Celle qui a lu quelque part que les poules mondiales constituaient actuellement une troupe virtuelle de 25 milliards d’individus alors qu’il y a 10.000 ans elles n’étaient que 10 millions dans les niches afro-asiatiques / Ceux qui constatent objectivement que le poulet domestique est aujourd’hui la volaille la plus répandue de tous les temps sans vouloir flatter les collaboratrices et collaborateurs du LAPD, etc.

    (Cette liste procède partiellement de la lecture de Sapiens, « brève histoire de l’humanité » racontée non sans captivante alacrité dans la sagacité par Yuval Noah Harari et parue en traduction français chez Albin Michel)

  • Mémoire vive (93)

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    À La Désirade ce 1eroctobre 2015. – Six heures du matin. Réveillé par une vague angoisse psychique à foyer physique précis : là-bas au triangle inférieur du ventre où se concentrent, 144 secondes par jour, les tirs de l’accélérateur linéaire. Sensation diffuse de calcination, ou peut-être n’est-ce qu’une idée puisque je ne ressens aucune brûlure réelle ? Puis je me lève et cela va mieux. Mais une nouvelle sensation plus profonde d’urgence me taraude : plus une pinute à merdre.

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    Je suis très intéressé, depuis quelque temps, par la re-lecture de Ni Marx ni Jésus de Jean-François Revel, quarante-cinq ans après sa parution originale.

    C’est un essai, à certains égards, de visionnaire, dont les quatre décennies passées ont avéré certains aspects de sa vision, en divergeant en revanche de l’utopie qu’il appelait de ses vœux, consistant en une gouvernance mondiale qui se substituerait aux Etats-nations. La seule Révolution à venir qu’il voyait alors de ses yeux, découlant des bouleversements sociaux et culturels survenus aux Etats-Unis au tournant des années 60, a tourné court durant lesdécennies suivantes, alors que l’Empire ne cessait d’étendre son hégémonie et de contribuer un peu partout au chaos ; et la tragédie du 11 septembre a précipité les choses pour le pire…

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    Titre de couverture du Courrier international. « L’ONU peut-elle sauver le monde ? »

    On en doute en ce qui concerne   le jeune Ali qui attend d’être décapité par les Saoudiens, dont l’un d’eux brigue la présidence du Conseil des droits de l’homme de la même Organisation...

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    Reprenant la lecture du Livre des Baltimore pour vérifier que je n’ai pas fait preuve de myopie par rapport à d’éventuelles qualités qui m’auraient échappé, je constate que ce roman n’est pas que décevant : qu’il est bonnement écoeurant de complaisance et de superficialité satisfaite.

    Ai-je péché par aveuglement, complaisance ou naïveté en accueillant La vérité sur l’affaire Harry Quebert avec tant de générosité ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt que j’ai parié pour le meilleur du talent de Joël Dicker bien avant que le succès, de toute évidence, ne l’égare.  

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    Les premiers mots qui nous restent en mémoire relèvent autant de la recomposition, voire de l’invention a posteriori, que du souvenir direct.

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    2551226573.jpgLire et commenter La Divine Comédie m’amène, progressivement, à distinguer plus précisément ce que j’en apprécie vraiment de ce qui m’en semble daté ou même irrecevable aujourd’hui. L’idée de coupler, alors, cette lecture avec celle de Montaigne, pourrait peut-être ajouter du sel à l’exercice, me dis-je à l’instant.

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    Le problème de Joël Dicker, c’est qu’il veut plaire à Maman. Pacte dangereux pour un écrivain. Le cher Marcel l’avait rompu en dépit de l’amour inconditionnel qu’il vouait à sa mère; mais Proust était un type aussi courageux qu’orgueilleux et conscient de son génie, et son environnement n’avait rien de comparable avec le climat de Star Ac’ qui prévaut aujourd’hui et crétinise un peu tout lemonde.

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    Dois-je accepter la règle « démocratique » selon laquelle, après avoir publié un long texte argumenté à propos de tel ou tel sujet, sur mon blog ou sur Facebook, n’importe qui, sous anonymat, puisse en dire n’importe quoi ?

    Il y a quelques années, je me suis fait traiter de fasciste, sur mon propre blog, parce que je me permettais de virer des commentaires insultants non signés, alors que c’est, précisément, ces attaques masquées qui relèvent, sinon du « fascisme », accusation ridicule, du moins de la muflerie la plus lâche.

    Or le « jeu » est moins sournois sur Facebook, où l’échange se fait à visage découvert, mais c’est alors la jactance qui menace de tout diluer…

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    736512979.jpgLa lecture (ou plutôt l’écoute) de la Recherche m’est un viatique sensible quotidien. Je descends tous les jours à La Providence pour ma séance quotidienne de radiothérapie, qui dure exactement 144 secondes, et descendant puis remontant j’écoute les fragments de Du côté de chez Swann ou du Temps retrouvé, dont je connais déjà la plupart quasi par coeur mais que je réécoute, comme je réécouterais un concerto ou un opéra, sur le mode répétitif voire obsessionnel qui a été le mien durant mes années de solitude, capable d’entendre La Bohème ou Tosca cent fois (au Grand Chemin, puis aux escaliers du Marché), cent fois la Rhapsodie pour altsolo de Brahms ou le concert pour violon de Sibelius, et mille fois Simon Boccanegra ou la Sonate posthume de Schubert.

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    La peinture est à mes yeux un art éminemment érotique, par les couleurs. Le sujet n’y est pour rien, qui ne fait que dire la volupté, tandis que les couleurs l’incarnent. On ne peint plus aujourd’hui tel ou tel sujet : on peint en somme de la peinture.

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    La notion de littérature romande a-t-elle encore un sens ? Je me le demande. Ce qui est sûr est que les nouvelles générations de quadras et de trentenaires n’ont presque plus rien à voir, du point de vue des mentalités, avec la nôtre, et beaucoup moins encore avec celles de nos aînés.

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    En couverture de L’Obs de cette semaine,on lit : « La troisième guerre mondiale a-t-elle commencé ? » 

    Or il me semble que les médias nous ont déjà fait le coup deux ou trois fois. À croire que la troisième guerre mondiale recommence chaque année et chaque fois ailleurs, comme refleurissent les marronniers...

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    12369036_10208220494816918_5325400035265526465_n.jpgEn relisant ce soir le chapitre des Plaisirs de la littérature consacré à Dante, je me dis que personne, aujourd’hui, ne propose de synthèses aussi claires et profondes, si pénétrantes et si libres d’esprit que celles de John Cowper Powys dans ce livre inépuisable.

    En France, je ne vois personne qui parlerait aujourd’hui de Dante avec la finesse et la justesse qu’a montrées un Etienne Gilson, à l’exception de Philippe Sollers, ici et là, par fulgurances, quand il ne ramène pas tout à son cher lui-même…

     

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    Je me suis procuré cet après-midi La seule exactitude d’Alain Finkielkraut pour me faire une idée « sur pièce« de ce livre éreinté récemment sur deux pages de L’Obs, d’une manière qui m’a semblé ruisseler du fiel parisien le plus douteux.

    Le livre serre l’actualité de près, dès 2013, et la première chronique consacrée au mariage pour tous, nuancée et pénétrante, ne me semble pas du tout d’un « réac » borné mais procède d’une réflexion sur la filiation tout à fait légitime.

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    Unknown-3.jpegJ’ai de la peine à parler de « mon cancer » sur un ton dramatique, et d’autant moins que j’ai commencé à lire Sable mouvant de Henning Mankell, récit entrepris en 2013 au lendemain de l’annonce de « son » cancer à lui, déjà largement propagé en métastases et ne lui accordant que peu de mois à vivre (il est mort tout récemment) avec un sentiment de reconnaissance particulière tant ce livre est encore « du côté de la vie ».

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    Je me sens de plus en plus distant, par rapport à l’eschatologie chrétienne (je ne parle pas du rabbi Iéshouah, que j’aime plus que jamais) et de plus en plus proche de l’humanisme souriant d’un Rabelais ou d’un Montaigne, lequel écrit ceci : « Je veux qu’on agisse et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait.»

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    On a parlé, dans les journaux, d’un « coup de maître » à propos du premier roman de l’auteur alémanique Jonas Lüscher, intitulé Le printemps des barbares, où je vois plutôt, pour ma part, un coup d’épée dans l’eau. 

    De fait, en dépit d’une certaine élégance d’expression, frottée d’un certain chic littéraire ostentatoire (avec salamalecs convenus à Nabokov, Bowles ou Sebald), cette prétendue « formidable satire de notre époque » me semble plutôt anodine dans ses deux premiers tiers, par invraisemblance gratuite dès la scène de la collision d’un car plein de touristes et d’unecaravane de chameaux dont treize d’entre eux restent sur le carreau. Le tableau se veut allégorique, mais il est aussi caricatural que, par la suite, le récit du mariage de deux jeunes Anglais trèsfortunés entourés d’une clique de yuppies londoniens dans un palace tunisien en plein désert,genre oasis de Nefta, s’achevant en chaos babylonien qui se veut représentatif de la décadence occidentale sur fond de crise financière. 

    Or, autant le Montecristo de Martin Suter me semblait intéressant, en rapport avec le monde financier, malgré le paradoxe de son argument narratif, autant ce Printemps des barbares m’a ennuyé par son manque de base crédible et sa visée par trop édifiante en son manichéisme à gros traits.

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    medium_ogre.2.jpgJules Renard en son Journal : « Les morts de l’amitié ».

    Ou encore : Les nuages passent sur la lune comme les araignées auplafond ».

    Et ceci sur Dieu : «Je croirai à tout ce qu’on voudra, mais la justicede ce monde ne me donne pas une rassurante idée de la justice dans l’autre.Dieu, je le crains, fera encore des bêtises : il accueillera les méchants au Paradis et foutra les bons dans l’Enfer ».

    Ou cela : « J’ignore s’il existe,mais il vaudrait mieux, pour son honneur,qu’il n’existât point ».

    Et enfin : « Faire une conférence sur Dieu, avec projections ».

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    Je n’ai plus envie de me forcer à quoi que ce soit. Un peu fatigué par mon traitement de radiothérapie, je n’en garde pas moins d’énergie et de vivacité d’esprit. Surtout, je suis plein de projets, et c’est à cela seul que je dois penser. À savoir plus précisément : La Vie des gens, Les Tours d’illusion, Mémoire vive et La Fée Valse. Après quoi je reviendrai, peut-être, au roman. Ou peut-être pas…

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    La lecture de Sable mouvant de Henning Mankell me passionne et me touche à la fois. L’homme est mort le 5 octobre dernier, mais son livre reste « du côté de la vie » à mes yeux.

    À divers égards, il m’évoque la démarche de Christoph Ransmayr dans son Atlas d’un homme inquiet, pratiquant une sorte d’observation panoptique ouverte à la fois sur le monde et, s’agissant du regard rétrospectif de Mankell à travers les années, sur le temps que nous avons vécu et qui nous reste à vivre.

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    En lisant les Conversations d’un enfant du siècle  de Frédéric Beigbeder, j’apprécie le talent et la verve du lascar, tout en me disant que nous n’appartenons pas au même monde ; et pourtant je lui trouve plus de sérieux et d’intelligence critique, de fantaisie et de justesse qu’à maints commentateurs moins « branchés » ou « à la coule »…

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    dantzig-coupc3a9.jpgJ’aimerais essayer d’exprimer, au plus près de mon sentiment personnel, ce que m’inspire la lecture de l’Histoire de l’amour et dela haine de Charles Dantzig, dont les réponses littéraires, ou je dirais plutôt : poétiques, à des questions assez triviales, m’intéressent et me touchent sans que lesdites « questions triviales » ne m’intéressent ni ne me touchent à vrai dire plus que ça.

    De fait, la question du mariage pour tous, dont le débat furieux qu’il a suscité en France constitue le fil rouge narratif du roman, pas plus que la question de l’homophobie, ne m’intéressent ni ne me touchent « au fond ». 

    Bien entendu, je suis partisan du mariage pour tous, ou disons qu’il me semble juste et bon que toutes les unions conjugales bénéficient des mêmes droits, et l’homophobie, autant que le racisme ou la misogynie, m’ont toujours choqué sans que je n’en fasse jamais un thème de réflexion ou de polémique. 

    Bref, c’est essentiellement l’amour, la haine, les personnages de ce roman, et plus encore sa « musique », la musique de Paris et des conversations, la musique d’une pensée et d’une rêverie qui m’ont touché dans ce roman singulier qui,pour moi, s’inscrit naturellement dans la constellation des autres livres de Dantzig – ou du moins ceux que je connais, car je n’ai rien lu de sa poésie -,à commencer par l’Encyclopédie capricieuse du tout et du rien dont certaines pages de ce roman prolongent l’inventaire.

    Parlant d’amour dans ce roman (le premier roman que je lis d’ailleurs de lui), Dantzig relance à sa façon les approximations du Stendhal « étudiant » l’amour, exemples à l’appui, avec autant de justes intuitions et plus de porosité au sens de la « sensation vraie», selon l’expression de Peter Handke, mais en moins pointilliste hypersensible et moins névrosé que celui-ci.

    Je n’ai pas souvent lu, de nos jours, de pages évoquant l’amour des cheveux de tel ou tel personnage, ou le langage des yeux et des mains (ou même des dos) avec autant de bonheur que dans cette suite de fragments liés ensemble par une narration qui structure à la fois un décor (Paris, la lumière de Paris, l’asphalte des rues de Paris, les fenêtres éclairées des premiers étages des appartements de Paris, les bistrots de Paris où se retrouvent les jeunes gens de Paris) et son ambiance générale momentanée (le moment des manifs et contre-manifs), enfin tout un ensemble de composantes produisant la masse et les volumes aérés, il faudrait plutôt dire la tonne musicale du roman.

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    Ferons-nous encore de grands voyages ? En ce qui me concerne, je n’entrevois pour le moment que la Californie, pour rendre visite à nos enfants. Sinon, je doute que je remette jamais les pieds en Afrique, et l’Orient ne m’attire plus guère, ni le Moyen ni l’Extrême, sauf peut-être Shanghai.

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    La tendance au nivellement est massivement accablante, mais la stupidité et la vulgarité n’ont pas encore tout contaminé. Preuve en est que nous sommes là, qui lisons et publions encore de bons livres, apprécions de bons films, voyons s’épanouir de bons et beaux enfants.

    Bref, tout n’a pas encore été gâché et sali. Mais non : pas tout.

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    Très intéressé par les propos d’Alain Finkielkraut dans son entretien avec Frédéric Beigbeder transcrit dans les Conversations d’un enfant du siècle de celui-ci.

    Finkielkraut s’en prend notamment à la falsification des propos qui caractérise certaines opérations médiatiques, la nouvelle mentalité qui se répand sur l’Internet etqu’il estime « atroce », et ceci encore qui me parle vivement :qu’il affirme n’avoir point d’opinions, mais que des convictions

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    4784493_7_77a7_l-ecrivain-boualem-sansal-a-paris-le-4_0bdf7cc333484f14fb1e5549215bbb89.jpgUne horreur glaçante et croissante saisit le lecteur de 2084 dès les premières pages de ce roman d’anticipation catastrophiste faisant écho à Orwell même si le climat du début, dans unsanatorium de l’Atlas lointain, évoque plutôt Le désert des tartares de Buzzati, avec un autre type d’angoisse cependant, liée à la paranoïa islamique.

    Comme dans Le Serment des barbares, du mêmeBoualem Sansal, un mélange immédiat de noirceur panique et de comique imprègne le récit des tribulations du jeune Ati, sur fond de théocratie à la foisinsidieuse et écrasante. Cette ambiance m’a rappelé mon dernier séjour à Tunis,en bien pire évidemment, et le rejet épidermique qu’elle suscite me fait aussipenser à la rage de Rafik envers les islamistes, que je croyais exagérée – mais j’avais tort. 

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    finkielkraut.jpgAlain Finkielkraut parle de l’Internet comme d’une réalité « atroce », et je lui donne à la fois raison et tort, comme j’ai donné raison et tort àDimitri qui y voyait un enfer sans prendre la peine d’y aller voir. 

    Hélas,L’Enfer d’Internet, que Dimitri apublié en 2008 à l’Âge d’Homme, signé par un jeune webmaster dégoûté de lachose et trouvant refuge dans les bras de Notre Seigneur, m’avait paru bien superficiel et moralisant, juste bon à conforter les préjugés de ceux qui ne sesont pas vraiment aventurés dans le Labyrinthe ni n’en ont vu, avec les tares,les indéniables apports.

    Finkielkraut a raison de fustiger la rupture d’un pacte de communication, à l’enseigne d’échanges masqués par un anonymat délétère ou faussés par une novlangue débile, mais il y a autre chose sur laToile, comme il y a autre chose, à la télé, que des émissions imbéciles.   

    Je suis le premier à déplorer le règne de la stupidité et de la vulgarité qui découle de l’ouverture des vannes mondiales de la parole vaine, mais je n’envois pas moins, et d’abord pour mon propre usage et exercice, dans monlaboratoire panoptique, l’intérêt de ce nouvel espace de perception etd’expression relevant à la fois du champ d’expérimentation et du terrain de jeuaux ressources infiniment renouvelables par la créativité de notre imagination.

     

    Ce jeudi 22 octobre. – C’est aujourd’hui que je vais subir la trente-neuvième et dernière séance de radiothérapie à l’hôpital de la Providence, après quoi, disons-le tranquillement :advienne que pourra.

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    Je me disais ce matin (vers six heures) que je devrais désormais m’efforcer de serrer de plus en plus près ce que je ressens comme la vérité. Non la Vérité avecun grand V et qu’on voudrait absolue, mais ce que je perçois comme vrai, non seulement juste et bon mais vrai, proprement ou salement vrai, vérité de corps et d’esprit, vérité des faits établis et vérité multipliée par notre créativité imaginative.  

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    11202822_10206652673982377_8613001836907619020_o.jpgMa bonne amie a toujours été ma boussole, qui m’a empêché de perdre le nord en maintes occasions. Je me garderai de la magnifier ou de l’idéaliser ; simplement je l’ai constaté à d’innombrablesoccasions : Lady L. a des antennes qui lui permettent de discerner le faux, le simulacre, l’hypocrisie sociale ou la frime morale, parfois avant même que ma lucidité réaliste ne prenne le pas sur ma naïveté ou ma crédulité.

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    À propos de boussole, j’ai commencé de lire ces jours le nouveau roman de Mathias Enard, précisément intitulé Boussole et que d’aucuns donnent pour le prochain Goncourt. Or je ne saurais dire que cette histoire de lettré à la fois mitteleuropéen et cosmopolite, sur fond austro-oriental, très ornée et saturée de références culturelles, tout intéressante et raffinée qu’elle soit, me saisisse, au contraire : après cinquante pages, avec passage obligé au musée des écorchés du Josephinum de Vienne (mauvais souvenir personnel,puisque j’y ai été insulté par une gardienne hystérique), j’ai commencé d’éprouver autant de lassitude que de cet ennui que m’ont toujours inspiré les visites guidées.

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    HESNARDAËRCU0001.jpgLe vert de la couverture de ce livre de poche, posé par hasard sur cette pile du dernier de mes innombrables rangements, m’a tapé ce matin dans l’œil, donc j’ai pris l’objet en question et, lunettes dûment chaussée, j’en ai découvert le titre en allemand, Das Unheimliche,en lettres blanches sur fond vert, puis, juste au-dessus, le titre en français d’Inquiétante étrangeté surmonté du nom de l’auteur, Sigmund Freud. 

    Mais que diable Sigmund Freud, que j’ai si peu fréquenté depuis tant de décennies,a-t-il donc à me dire ce matin ? La réponse à cette question est exactement du genre que j’attendais sans le savoir à ce moment précis, offerte en triptyque.

    Et d’une : « Cela nous a toujours puissamment dérangés nous autres profanes, de savoir où cette singulière personnalité, le créateur littéraire, va prendre sa matière ». 

    Et de deux : « Le psychanalyste n’éprouve que rarement l’impulsion de se livrer à des investigations esthétiques, et ce même lorsqu’on ne limite pas l’esthétique à la théorie du beau, mais qu’on la décrit comme la théorie des qualités de notre sensibilité ».

    Et de trois : « Le créateur fait donc la même chose que l’enfant qui joue : il crée un monde imaginaire, qu’il prend très au sérieux,c’est-à-dire qu’il dote de grandes qualités d’affect, tout en le séparant nettement de la réalité ».

    De même que je suis tombé ce matin « par hasard » sur L’Inquiétante étrangeté, j’ai repris non moins « fortuitement », hier, le livre le plus personnel de DinoBuzzati, En ce moment précis, quitient à la fois du journal extime morcelé et du recueil de pensées-amorceshantées par les grands thèmes mélancoliques du conteur-poète face à la maladieet à la mort, dont la première notation m’a accompagné depuis tant d’années, de mes antres solitaires du Grand Chemin et des Escaliers du Marché, jusqu’à notre balcon en forêt de La Désirade : «LA FORMULE. De quoi as-tu peur,imbécile ? Des gens qui sont en train de te regarder ? ou de la postérité, par hasard ? Il suffirait d’un rien ; réussir à êtretoi-même, avec toutes tes faiblesses inhérentes, mais authentique,indiscutable. La sincérité absolue serait en soi un tel document ! Qui pourrait soulever des objections ? Voilà l’homme en question ! Un parmi tant d’autres si vous voulez, mais un ! Pour l’éternité les autres seraient obligés d’un tenir compte, stupéfaits »…  

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    6d0f3e86.jpgC’est aujourd’hui la clôture de la rétrospective consacré à Marius Borgeaud à L’Ermitage, que nous sommes allés voir l’autre jour avec Lady L. au milieu d’une dense foule défilante et trépignante.

    En ce lieu gris et froid exhalant le calvinisme bourgeois, pesante demeure dans son merveilleux environnement naturel des hauts de Lausanne, l’exposition, très intéressante à divers égards – je ferme les yeux sur le prohibitif prix de l’entrée, la multitude de gardiens sourcilleux et l’immense pancarte déclinant tous les interdits frappant le visiteur, qui me rappelle qu’au Rijksmuseum on peut photographier des chefs-d’œuvre à tout-vat en mâchant de la réglisse -,enrichie de quelques œuvres passables de contemporains utiles à la comparaison (de Sisley, Pissaro ou Vallotton), m’a conforté dans le sentiment que MariusBorgeaud, fils de bourgeois né coiffé et tard venu à la peinture, ne fut que tardivement accompli en son art, - contrairement à des Pissaro ou Vallotton,précisément -, plutôt du genre amateur-imitateur qui décanta progressivement et développa son indéniable vision personnelle marquée par un sens de l’espace et de la lumière sans doute inné, avant l’acquis d’une poésie méditative sereinedont les intérieurs bretons des dernières années rejoignent la peinture dusilence, moins épurée que celle d’un Morandi mais pas moins vibrante.

    borgeaud-georges-1913-1998-swi-ete-en-provence-2486055.jpgLe génie est (parfois) affaire d’obstination, disait à peu près Proust, et c’estce qu’on se dit en suivant ici le parcours d’un honnête second couteau del’impressionnisme, en ses débuts, qui ne cesse ensuite de se dépasser lui-mêmeavant de se « rejoindre », si l’on peut dire, dans la limite de sesmoyens. Parce qu’il y a des gradations, évidemment, dans ce qu’on peut appelerle « génie », et Marius Borgeaud n’atteindra jamais, me semble-t-il,la dimension « classique » d’un Pissaro ou d’un Vallotton – encore eux -, mais l’art de Borgeaud n’en est pas moins éminemment original et attachant, imposant finalement, sans artifices ni virtuosité trop brillante, sa vision sans pareille.

    Ce mardi27 octobre. J’ai achevé tout à l’heurela lecture de 2084 de Boualem Sansal, qui ferait un beau Prix Goncourt. C’est en effet un livre sérieux et inspiré par une sorte de prophétisme visionnaire, lucide en diable et restituant admirablement le mélange de paranoïa et d’absurde d’un monde plombé par une caricature de religion érigée en dictature totalitaire.

    S’agit-ild’une caricature de l’islam ? Oui et non, mais il faut alors préciser quel’islam lui-même, ou plus exactement un certain islamisme furieux, wahabbite, ou salafiste, ressortit déjà à la caricature en inspirant des théocratiesrétrogrades dont le pétrole est le seul garant du pouvoir.

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    J’apprends à l’instant que l’Académie Goncourt a écarté 2084 des finalistes du Prix. Tant pis pour ces pleutres. Je présume que certains d’entre eux, dont un Ben Jelloun, doivent frémir de jalousieautant que de crainte de heurter « nos amis musulmans », mais l’Académie française a déjà rendu justice à l’écrivain, dont le roman fait enoutre « un tabac »…

    Ce mercredi 28 octobre. Au Bout du monde où je me trouve àl’instant, je commence à lire les Œuvres de Svetlana Alexievitch, et tout de suite je suis saisi, ébranlé par cettevoix. D’elle je n’avais rien lu jusque-là, à part les bouleversants Cercueils de zinc ; comme avec Alice Munro il a fallu le Nobel pour que j’y revienne, mais je sens que cette lecture va marquer mes temps prochains,autant que celle de Boualem Sansal. Tous deux me semblent en effet,aujourd’hui, des auteurs importants pour les temps que nous vivons.

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    734737821.jpgSvetlana Alexievitch, dans Les cercueils de zinc, transmet ce témoignage d’un grenadier russe revenu d’Afghanistan :« Quand une balle rencontre un homme, ça s’entend, c’est un bruit caractéristique qu’on ne peut pas oublier, une espèce de claquement mouillé. Un gars que vous connaissez tombe face contre terre dans la poussière, brûlante comme des cendres. Vous le retournez : il a encore entre les dents lacigarette que vous venez de lui donner…Encore allumée… La première fois on agit comme dans un rêve :on court, on traîne, on tire, mais on ne retient rien,on ne peut rien raconter après le combat. C’est comme si tout se passait derrière une vitre…Comme dans un cauchemar, quand on est réveillé par la peur sans se souvenir de rien. En fait, pour éprouver vraiment une terreur, il faut s’en souvenir, s’y habituer. Au bout de deux ou trois semaines, il ne reste plus de vous que le nom, vous n’êtes plus du tout la même personne. Tel que vous êtes devenu, la vue d’un mort ne vous fait plus peur, vous réfléchissez calmement ou avec agacement à la façon dont vous allez le descendre de son rocher ou le traîner en pleine chaleur sur plusieurs kilomètres. Ce nouvel homme que vous êtes n’imagine plus, il connaît l’odeur des entrailles en pleine chaleur, il sait que l’odeur des excréments et du sang humain ne peut être éliminée par aucune lessive… Il sait ce que sont des crânes grimaçants et brûlés dans une flaque boueuse de métal fondu, comme si pendant quelques heures ses compagnons n’avaient pas crié mais ri en mourant. Il connaît ce sentiment aigu du soulagement, jamais éprouvé auparavant, à la vue d’un tué : Ce n’est pas moi ! Ca se produit si vite, cette transformation. Très vite. Presque pour tout le monde ».

    Ce jeudi 29 octobre. –  J’ai passé cet après-midi à Chênes-Bougeries, avec mon cher Alfred Berchtold, auprès duquel je suis resté une petite heure. Le vieil homme, nonagénaire depuis juin dernier, très émacié et ne se déplaçant plus qu’au moyen d’un déambulateur, reste pourtant très vif d’esprit. Je lui ai parlé de Marius Borgeaud et de mes lectures récentes, nous avons bien ri une fois de plus des cuistres universitaires faisant subir leurs outrages au pauvre Ramuz, et lui m’a évoqué ceux qui, au cours de sa longue existence de grand humaniste franc-tireur, lui ont voulu du bien, dont il prétend que je suis le benjamin, avant de revenir sur la fin, qui m’a ému aux larmes, de sa chère épouse.

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    Emerson :« L’imagination est le matin de l’esprit, la mémoire en est le soir. »

    11053050_10207965600684724_7699797825190323705_n.jpgCe samedi 31 octobre. – Il a fait ces soirs de sublimes crépuscules, exaltant les couleurs flamboyantes et les moires d’or et de pourpre de l’automne, pour s’achever en lentes fusion d’indigo et d’orangés, jusqu’à fondre au noir final.

     

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    Rousseau sur ses besoins essentiels : « Il me faut un ami sûr, une femme aimable, une vache et un petit bateau »...

  • Cosmos

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    Quand je te dis que Marelle a le ballon, ce n’est pas vulgaire du tout, tu me piges mal, même si ça fait populo comme langage c’est pile ce que c’est : le ventre de Marelle est rond comme un ballon d’enfant, tiens j’ai envie de le palper et d’écouter ce qui se passe là-dedans en y collant la joue, enfin quoi Marelle a le ballon et celui-ci va rebondir dans la vie, on ne sait pas encore s’il ou elle s’appellera Dominique ou Dominique et s’il ou elle préférera le foot ou la brasse coulée, c’est le mystère de la Création; mais bon c’est pas tout ça, maintenant raconte, accouche: es-tu d'accord avec le Sage inconnu quand il affirme que se reconnaître vivant dans les sphères équivaut à habiter le subtil commun en visant la case Paradis ?

    Image : Philip Seelen

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Ceux qui (re)lisent Montaigne

    Montaigne02.jpgCelui qui prétend sur Facebook qu'il "relit les Classiques" avec l'intention velléitaire de s'y mettre une fois s'il a le temps mais en tout cas pas maintenant vu que la lecture de Dan Brown va lui prendre des plombes avant la parution du best-seller annoncé de Marc Levy et Guillaume Musso réunis à quatre mains sur un roman dont l'héroïne est asexuelle et le héros gay tu te rende compte le défi Maguy ! / Celle qui pense qu'elle DOIT lire La Boétie comme l'a recommandé Michel Onfray sur France-Info / Ceux qui sont venus à Montaigne par Erasme qu'ils ont bien connu à Bâle avant qu'il n'arrête de fumer / Celui qui est sensible à la mélancolie de Montaigne plus qu'à la tristesse sépulcrale de Pascal dont le style surclasse parfois celui de l'autre ça c'est clair / Celle qui remarque que la mort sereine d'André Gide (Roger Martin du Gard notant: "Il faut lui savoir un gré infini d'avoir su mourir si bien") fut aussi désespérante et réconfortante à la fois que celle de La Boétie relatée par son ami en ces termes sobres: "Etant sur ces détresses il m'appela souvent pour s'informer seulement si j'étais près de lui. Enfin il se mit un peu à reposer, qui nous confirma encore plus en notre bonne espérance. De manière que sortant de sa chambre, je m'en réjouis avec Mademoiselle de La Boétie. Mais une heure après ou environ, me nommant une fois ou deux et puis tirant à soi un grand soupir il rendit l'âme, sur les trois heures du mercredi matin dix-huitième d'août, l'an mil cinq cent soixante-trois après avoir vécu trente-deux ans,neuf mois et dix-sept jours" / Ceux qui pensent naturellement à Stendhal lorsque Montaigne écrit du bon écrit selon lui qui est "un parler simple et naïf, tel sur le papier qu'à la bouche; un parler succulent et nerveux, non tantdélicat et peigné quevéhément et brusque, éloigné d'affectation, court et serré, décousu et hardi" / Celui qui a noté quelque part cette sentence selon laquelle "tout jugement en gros est lâche et imparfait", qui le conforte dans l'évitement souple des abus de généralités / Celle qui prononce Montagne pour rappeler qu'elle a estudié le vieux françois après que son père l'eut autorisée à couper ses nattes / Ceux qui ne se parlent plus depuis que le plus catholique de deux à option souverainiste a crié à l'autre qu'il fallait choisir entre Montaigne et Pascal point barre / Celui qui se rappelle les jugements de Barrès sur Montaigne en lequel il voyait essentiellement un crypto-youpin (langage d'époque) manquant de courage devant la peste et décriant les moeurs très-chrétiennes genre égorger un protestant ou un mahométan / Celle qui aime bien la façon qu'avait Montaigne d'admirer son père qui "parlait peu et bien" / Ceux qui lisaient Tintin au Congo à l'âge (sept ans) où Montaigne savait déjà par coeur Les Métamorphoses d'Ovide en latin / Celui qui ayant emporté le Journal de voyage en Italie a relevé sur le Campo de Sienne en laissant froidir son capuccio: "J'ai honte de voir nos hommes s'effaroucher des formes contraires aux leurs; ils semblent être hors de leur élément quand ils vont hors de leur village. Où qu'ils aillent ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères" / Celle qui trouve bien plates les considérations artistiques de ce cher Montaigne qui de Sienne ne voit que le Campo jolient incurvé et rien des fresques de Simone Martini ou d'Ambrogio Lorenzetti / Ceux qui rappellent au taxidermiste anti-sceptique que Montaigne déposa une médaille votive en pensant à son épouse et sa fille en une chapelle de Lucca où il écrit qu"il y a là "plus d'apparences de religion qu'en nul autre lieu" / Celui qui compatit rétrospectivement (ce qui lui fait une belle jambe) aux douleurs subies par Montaigne sous l'effet de la pierre / Celle qui affirme que la détestation des médecins professée par Montaigne annonce celle de Molière qui n'a pas connu pour sa part les colites néphrétiques / Ceux qui rappellent volontiers que Montaigne traite explicitement de liberté de conscience  à l'époque où le concile de Trente recommande l'instauration de l'Inquisition en France tandis que Calvin fait brûler Michel Servet / Celui qui apprécie particulièrement le goût de Montaigne pour les nuances et détails qui lui font voir divers aspects d'une même réalité - ainsi: "N'oserions-nous pas dire d'un voleur qu'il a une belle jambe ?" / Celle qui estime très sots ceux-là qui ne veulent lire que Bossuet et pas Les Essais ou que Rousseau et pas Voltaire / Ceux qui voient en Monsieur de La Boétie un crypto-protestant coincé mais ça aussi ça se discute / Celui qui considère Les Essais comme une vaste campagne à explorer sans cesse en de brèves excursions le long des rivières ou par les allées ombragées /  Celle qui sait gré à Montaigne de n'avoir jamais été dupe de la nouveauté non plus que d'aucune utopie fauteuse de désordre en cuisine / Ceux qui ont appris de Montaigne "que philosopher c'est apprendre à mourir" / Celui qui reconnaît que d'un Michel (de Montaigne) à l'autre (Houellebecq) on ne s'est pas trop élevé / Celle qui remarque qu'au contraire des cathos enragés et des protestants Montaigne considère que Dieu est essentiellement bon comme le pensait aussi Jeanne de Lestomac sa nièce canonisée en 1949 / Ceux qui ont toujours Les Essais à portée de main dans lesquels ils piochent au hasard et sans suite comme ils le font du Zibaldone de Leopardiou des Notizen de Ludwig Hohl, etc.

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    Montaigne03.jpgMontaigne. Les Essais, édition de 1595, suivis de  Vingt-sept sonnetz d'Etienne de La Boétie, de Notes de lecture et de Sentences peintes. Bibliothèque de la Pléiade, 2007.

     

    Roger Stéphane. Autour de Montaigne. Stock, 1986.

     

    Jean Lacouture. Montaigne à cheval. Seuil, 1997.

      

  • Mémoire vive (92)

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    À La Désirade, ce mardi 1er septembre. – Je repars aujourd’hui dans mes grandes lectures, dont j’ai établi une liste pour le mois à venir, en commençant par La Zone d’intérêt, le roman de Martin Amis consacré à Auschwitz où, d’emblée, j’ai senti le sérieux de la vraie littérature.

    Cela commence très fort, sous le regard des bourreaux, avec un jeune colosse obsédé par la baise, qui tourne autour de la femme du commandant du camp, lequel est en train de « recevoir », sur la fameuse Rampe, un train de déportés français dont il redoute qu’ils fassent encore « des histoires », ce qui ne manque d’arriver au moment où un camion se renverse, en ce lieu même, avec tout un chargement de cadavres. De quoi énerver ces sacrés Français…

    Je suis curieux de voir ce qui a fait que Gallimard, l’éditeur français habituel de Martin Amis, autant que l’éditeur allemand, ont refusé de prendre ce livre. Or la postface de celui-ci, par Amis lui-même, a plutôt de quoi inciter à la confiance, tant les bases documentaires de l’auteur semblent solides, et de conclure au probable mauvais procès…

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    Quatrième séance de radiothérapie aujourd’hui. Un quart d’heure à tout casser, mais l’énorme machine qui me tourne autour ne laisse de m’impressionner. Je me demande d’ailleurs comment fonctionne cet « accélérateur linéaire », et qui règle le « tir », de l’ordinateur ou du jeune technicien aux yeux de gazelle m’accueillant avec une prévenance presque excessive…

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    C’est l’honneur de la littérature que de traduire la beauté du monde, et ce l’est autant d’éclairer l’abjection de l’homme, comme s’y emploie Martin Amis dans son dernier livre. Honte à Gallimard qui a refusé de publier ce livre nous plongeant, littéralement, au cœur du mal. D’aucuns s’exclameront peut-être : ah mais, assez de livres sur la Shoah ?, ce qui, bien sûr ne fonde pas le rejet des éditeurs français et allemands ; mais ceux-ci incriminent probablement le fait que le romancier ose parler, dans l’enceinte du camp, des menées sexuelles des officiers et de la vie de leurs familles, comme dans La Chute on reprochait au réalisateur d’avoir abordé les aspects « humains du Führer, lors d’une autre polémique franco-allemande des plus ridicules. Or il est important, justement (ce qu’a aussi fait Jonathan Littell dans Les Bienveillantes, attaqué lui aussi pour cette raison par un Lanzmann) de rappeler à tout un chacun que les « monstres » nazis sont, hélas, des hommes comme les autres , etc.

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    Le poète Adonis se prononce très clairement, dans un entretien diffusé sur Internet, à propos de la régression et du déclin de la culture arabe actuelle, selon lui en grand retard sur la culture contemporaine, en tout cas dans les pays soumis au Diktat politique de la religion. Il va sans doute encourir la fureur des bigots islamistes, mais il a le courage de dire tout haut ce que de nombreux intellectuels du monde arabo-musulman pensent en leur for intime sans oser l’exprimer haut et fort. Par conséquent : respect.

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    La façon dont on présente la littérarure dans les médias, à propos de la rentrée littéraire, est dominée par l’obsession du chiffre, du succès et du « carton ». Quant au contenu des livres : néant.

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    Dans un entretien de ce jour publié dans Le Temps, le brave Joël Dicker affirme qu’il a envie d’être lu comme on regarde une série télé « en famille », et que ce qui le frappe, dans le monde actuel, est « le manque d’amour ». On tombe des nues devant tant de pénétration perspicace et d’originalité… 

    Suter7.jpgÀ La Désirade, ce dimanche 6 septembre. – Je viens d’achever la lecture de Montecristo de Martin Suter, entreprise hier soir, et qui m’a captivé. On y retrouve le storyteller formidable de Small World, qui a révélé l’auteur en 1998, et qui, depuis lors, a acquis la maestria d’un grand pro de la narration populaire, au bon sens du terme, avec des degrés de densité et et d’intensité variables.

    Montecristo est un thriller sans faille, qui revisite la Suisse au-dessus de tout soupçon du camarade Jean Ziegler dans la foulée d’un journaliste vidéaste cachetonnant dans la télé people tout en rêvant de tourner un vrai film dont le scénar s’inspire du roman fameux de Dumas, impliquant un jeune Helvète piégé en Thaïlande pour possession de drogue glissée par des tiers dans ses bagages. Parallèlement, le protagoniste se découvre par hasard en possession de deux billets de 100 francs suisses absolument identiques, qui l’engagent dans une investigation aux implications énormes.

    Comme dans les meilleurs romans de Martin Suter, l’intérêt de Montecristo tient à la fois à la rigueur de son observation de plusieurs milieux (ici, la banque, les médias et le cinéma), fondée sur la connaissance et l’expérience de l’auteur (on sait qu’il fut un chroniqueur économique pertinent voire mordant avant de passer au roman), la qualité de sa dramaturgie et la fine psychologie qu’il montre dans le développement de ses personnages, enfin la swiss touch de son univers qui relance les fables d’un Dürrenmatt en plus soft et en plus glamour avec, en l’occurrerence, une Marina plus qu’avenante. Bref, c’est de la toute belle ouvrage que Montecristo, dont l’intrigue se dénoue d’une façon propre à rassurer tout le monde, non sans ironie cinglante…

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    À propos de l’Etat islamique et de l’impuissance de l’Occident, autant que du double langage des autorités arabes à son égard, je lis ceci, dans Marianne, qui me semble clair et juste, notamment à propos de l’Arabie saoudite : « C’est donc avec ces gens qui décapitent, violent, traquent et persécutent les femmes, que nous frappons des gens qui décapitent, violent, traquent et persécutent les femmes »…

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    Vision d’enfer : ceux qui s’ennuient et s’en veulent mutuellement de se faire chier. Souvenir de ce couple entre deux âges et deux eaux plates, au café Diglas de Vienne, que j’ai vu se faire face pendant une heure sans se dire un mot, se regardant avec quelle intensité assassine.

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    J’ai commencé ce matin de lire le roman de Charles Dantzig, Histoire de l’amour et de la haine, dont les premières pages, évoquant la masturbation, ne m’ont pas vraiment transporté. C’est une manière d’essai-roman rappelant à la fois Kundera, Quignard et Sollers, avec quelque chose de très Français ou, plus précisément, de très Parisien qui m’a paru un peu trop chic au premier regard ; mais je réserve tout jugement sérieux puisqu’il me reste plus de 400 pages pour le fonder.

    Quant au mariage pour tous, il me semble aller tellement de soi que même le nôtre, entre une divorcée et un inclassable, se passe de tout débat, autant que le mariage ou le non-mariage de nos enfants…

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    L’idée de la perfection, dont parle un Matthieu Ricard, la pratique de la méditation et autres « techniques » d’acquisition de la sérénité : tout cela m’ennuie à vrai dire.

    De fait, je suis bien plus intéressé, et naturellement attiré, par l’imperfection et les difficultés quotidiennes que par je ne sais quelle harmonie, si sublime qu’elle soit

    Je respecte certes les moines et les bonzes, les nonnes et les saintes, mais là n’est pas ma voie.

    C’est aussi ce que je me dis en lisant et en annotant Le Purgatoire de Dante, dont la visée et l’enjeu – à savoir le salut de notre âme - m’importent bien moins que les observations faites en chemin et les constantes inventions verbales du trouvère…

    Comme disait l’autre, plus que le but, c’est le chemin qui compte ; en outre, l’idée d’une rétribution liée au mérite du pécheur battant sa coulpe et psalmodiant des hymnes, m’a toujours paru signaler un marché douteux, à base de chantage et de calculs. - notre mère y avait recours et cela me hérissait, surtout lorsqu’elle a entrepris nos enfants…

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    C’est un bon exercice que de distinguer, dans les séries américaines, ce qui relève du kitsch ou du stéréotype, de ce qui mérite l’intérêt pour sa qualité documentaire ou dramaturgique.

    Je m’ y suis appliqué depuis que j’ai découvert ce nouveau genre, que j’imaginais sans le moindre intérêt, avec les six saisons de The Wire, formidable aperçu des coulisses de Baltimore, à tous les étages de la société, la série « culte » de Twin Peaks et ensuite des réalisations plus récentes comme Breaking bad ou Six feet under, suivies de vingt ou trente autres. 

    Ce mardi 15 septembre. – Jérôme Meizoz se fend, aujourd’hui, d’une chronique dans Le Temps, à propos du prétendu renouveau de la littérature romande et du boom publicitaire que celle-ci provoque dans les médias et sur Internet. Il a raison à certains égards, et notamment quand il oppose la recherche du coup médiatique au développement patient d’une œuvre, mais il fait preuve de simplisme quand il prétend que ce qui caractérise cette nouvelle donne se caractérise par son recours aux techniques littéraires américaines visant à la fabrication de best-sellers. Comme s’il y avait une recette du best-seller, et comme si les romans des jeunes auteurs parus ces dernières années en Suisse romande appliquaient la même recette. Evidemment, ce qu’on peut dire « l’effet Dicker » brouille les esprits, et les médias ont amplifié le malentendu en reconnaissant soudain une littérature qui « cartonne », ce qui est évidemment stupide et plus encore relatif.

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    Jules Renard : « À voir un Chinois, on se demande ce que peut bien être le masque d’un Chinois ».

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    Je suis réellement épaté, et crescendo, par la lecture de l’Histoire de l’amour et de la haine de Charles Dantzig, dont la rare finesse de perception et la merveilleuse fluidité du style m’enchantent bonnement.

    On retrouve ici la meilleure veine des moralistes et prosateurs français, de La Bruyère à Stendhal, en passant par Joubert, mais pas que, vu qu’il y a là-dedans uneveine anglo-saxonne du meilleur aloi.

    On n’est pas loin non plus, question narration romanesque, d’un Philippe Sollers, en plus attentif à autrui, par le truchement d’une frise de personnages bien individualisé et beaucoup plus autonomes que ceux de Sollers, toujours voués au rôle de faire-valoir (les femmes sur les genoux du Maître) ou de repoussoir.  

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    ob_cd401d_manifeste-4-pajak.jpgJ’ai commencé de nous lire, en voiture, le quatrième volume de la série du Manifeste incertain, de Frédéric Pajak, toujours aussi intéressant et ici en crescendo, pourrait-on dire. Mais cela part déjà très fort, avec une charge carabinée contre la malbouffe et, plus généralement, l’obsession gastronomique assez dégoûtante qui sévit actuellement. En tout cas il prêche un converti en mon humble personne, moi qui ai horreur de cette profusion d’émissions télévisées et de reportages, d’article des portraits de « grandes toques » qui envahissent bonnement les médias.  

     

    Ce dimanche 20 septembre. – Un jour des dernières semaines de sa vie, mon ami R***, sur le quai de la gare de Lausanne où nous nous étions rencontrés par hasard, m’a répondu, après que je lui eus demandé comment il allaait, qu’il était entrain de mourir et qu’il allait à Berne voir je ne sais plus quelle expo, comme j’y allais moi-même, mais comme je pensais que nous allions voyager ensemble et que je m’en réjouissais tout amicalement, il me répondit d’un sourire aimablement distant – ce qui me choqua en me rappelant tout ce que nous avions partagé pendant ces dernières années -, précisant qu’il avait pris de la lecture et que moi aussi sûrement comme-il-me-connaissait, sur quoi il me décocha un autre sourire un peu moins froid mais plus triste et me planta là comme s’il me renvoyait aux vivants qu’il allait quitter bientôt, sans que j’imagine évidemment, alors, la façon qu’il choisirait de quitter ce monde en se perfusant, avec son ami D***, en pleine santé à ce qu’on m’a dit – tous deux nous laissant une lettre d’adieu pleine de reconnaissance et d’allégresse…

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    Jules Renard : « Balzac est peut-être le seul qui ait eu le droit de mal écrire. »

    Dürrenmatt30001.JPGCe lundi 21 septembre. – Je suis parfois gratifié du don spécial de faire des rêves à caractère féerique, comme celui de la nuit dernière, qui s’est développé comme une prodigieuse vision en trois dimensions, richede couleurs et de sensations.

    Je me trouvais d’abord sur une espèce de très vaste mappemonde circulaire de plastique multicolore, évoquant une sorte d’immense ballon de plage dégonflé aux motifs encore indéchiffrables mais très harmonieux dans leur organisation esthétique, du genre des particules visuelles constituant les mobiles gracieux d’un Kandinsky, de la série Bleu ciel, avec quelque chose aussi des dessins que Friedrich Dürrenmatt conçut pour ses enfants en bas âge.

    Tout cela était déjà bien beau, sans atteindre pourtant le caractère féerique de la suite du rêve.

    Un mot cependant, avant d’évoquer celui-là, à propos du terme de particule, qui m’a rappelé le traitement que je suis en train de subir par radiothérapie, consistant, par accélérateur linéaire, en tirs groupés de particules, précisément, visant à brûler certain foyer cellulaire infinitésimal repéré par l’imagerie par résonance magnétique. Tout se tient-il ainsi par en dessous ?

    Ce qui est sûr, c’est que la féerie de cette nuit aura tenu à un souffle, dont l’effet visible fut le déploiement soudain de la surface multicolore en sphère gonflée aux dimensions d’une montgolfière géante, ou plus exactement d’un duplicata de planète bien ronde et bien chatoyante de couleurs, avec ce défi personnel de m’y accrocher puisque, sous l’effet du souffle continu, le formidable ballon commençait de s’élever au-dessus du sol solide, m’évoquant maintenant quelque géante balle-bulle aux rondeurs colorées d’une nana de Niki de Saint-Phalle.

    Or j’avais remarqué, durant le lent gonflement de la sphère, que le rêvem’avait pourvu d’un équipement spécial à baudrier de tergal et mousquetons de téflon, qui me permettraient de m’accrocher aux innombrables boucles visibles aux flans ce l’OFNI (Objet Flottant Non Identifié) dont se précissait à l’instant l’envol.

    La sensation de voler, fûtce durant l’espace-temps restreint de deux ou trois secondes qu’aura duré le rêve, procède –telle d’un ordre métabolique subtil. Comme celui qui préside à la floraison des ancolies ou des campanules, ou n’est-ce que le résultat aléatoire non concerté d’un désordre physique ou psycghique ?

    En clair : d’où vient cette nom de Dieu de féerie ? Et par quel souffle, ou coup de pouce techno-scientifique, subitement accélérée ?

    La boule de gomme du mystère a ce matin un goût et une fragrance de chlorophylle qui me rappelle nos enfances hollywoodiennes. Let’s have a dream…

    Post scriptum : et ne pas louper, demain, le rendez-vous au service de radio-oncologie de La Providence…

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    Il y a, chez Frédéric Pajak, un mélange de sens commun et d’originalité, de complète indépendance d’esprit et de justesse dans le choix des mots et le cadrage de ses peintures, qui est d’un auteur accompli. Il peut aller n’importe où : ce sera toujours intéressant, jamais convenu, toujours personnel et valable pour son lecteur – et sa lectrice ; il faut le préciser désormais, comme à la police : nos collaborateurs et collaboratrices, etc.  

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    Les gens qui ont appris que j’avais le cancer – je ne sais comment ce genre de bruit se répand – me parlent sur un ton légèrement différent, mélange de sollicitude un peu plus tendre que d’ordinaire, et, je le note sans aucune nuance de reproche, de curiosité. Ah bon ? Eh oui. Voilà voilà. Et à part ça, ça va ? Mais comment donc !

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    Georges Dumézil : « Le désespoir est manque d’imagination ».  

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    La nouvelle relative à la prochaine décapitation du jeune Saoudien dont le seul « délit » relève de son opposition présumée à la politique du gouvernement, ou plus exactement (d’après ce que j’ai compris) au fait qu’il a un parent dans le collimateur du régime, me touche comme si je connaissais ce garçon. Il faut dire que l’abjection et la sauvagerie de ces potentats m’atteint comme si c’était le genre humain que ces ordures déshonoraient, et la menace que le corps décapité de ce jeune homme soit ensuite crucifié et livré aux charognards achève de me solidariser avec ce frère humain dont le sort fait protester les « nations civilisées », lesquelles continuent de faire commerce avec ce régime d’assassins.

    Ce vendredi 25 septembre. J’ai consacré ce soir un long papier au livre de Jacques Vallotton, Jusqu’au bout des apparences, évoquant sa carrière de journaliste, en développant une réflexion sur le « métier » en question et ses divers aspects.

    Or je me pose ce soir la question : ai-je jamais été, moi-même, ce qu’on peut dire un journaliste ? J’ai certes écrits des milliers d’articles, travaillé treize ans en free lance pour divers journaux et revue, sans parler de la radio ; j’ai exercé pendant six ans le poste de chef de rubrique, à La Tribune-LeMmatin, et ensuite j’ai rejoint l’équipe de la culturelle de 24 heures, mais journaliste ? Je ne sais pas.

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    En lisant ce que Charles Dantzig écrit à propos de l’humour et du comique, et plus précisément sur le manque d’humour des Français et leur peu de sens du comique, je constate que ses vues recoupent exactement mon propre sentiment à cet égard, dont j’excepterai une paire de Marcel, Aymé et Proust, et Rabelais cela va sans dire, et Molière, et Céline dans ses meilleurs moments quand il oublie d’être salaud, et Michel Houellebecq évidemment.

    Charles Dantzig a pour lui la vista cosmopolite de l’anglophile et le sens de la catastrophe de l’enfant déçu, que je partage depuis l’âge de trois ans, plus précisément lorsque, creusant dans la pelouse paternelle un trou destiné à rejoindre l’autre bout de la Terre dont les habitants sont appelés Têtes Bêches, notre père m’a tancé doucement avant de me confisquer (dur, dur) ma pelle.  

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    Sous la plume d’Oscar Wilde : « Nothing that is worth knowing can be taught ». Ce qui vaut aussi dans notre langue en dépit des pédants et des cuistres: « Rien de ce qui mérite d’être su ne peut être enseigné ».

    Ce dimanche 27 septembre. – En revenant à Ni Marx ni Jésus de Jean-François Revel, je suis surpris d’y retrouver le climat de nos années de jeunesse, perçu en Amérique pré-révolutionnaire comme l’étaient les notes californiennes d’un Edgar Morin, que j’ai rencontré à Paris au tout début des années 70. Revel pensait alors que la seule Révolution encore envisageable viendrait des States, et ses observations restent bien plus lucides, vivaces et généreuse que celles de tant de commentateurs de l’époque, plus à gauche ou plus à droite. Venu du socialisme réformiste, c’était un esprit libre et moins austère qu’un Raymond Aron, et je me suis également régalé, l’autre jour, de ses Contre-censures, qui n’ont pas pris une ride. Lorsque, en 1972, je suis allé interviewer cet horrible facho de Lucien Rebatet, à propos des Deux étendards, et que l’intempestif m’a classé « libéral » à l’américaine, alors que lui-même, s’il avait eu mon âge, eût été maoïste (nous avions bu pas mal de scotch en cette fin d’après-midi, mais il pensait sûrement ce qu’il disait), je ne savais trop ce que ce « libéralisme » américain signifiait, mais à présent je le vois un peu mieux, me reconnaissant volontiers dans les positions d’un Gore Vidal ou d’un Oliver Stone, tout en récusant toute forme de classement.

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    Que pense réellement Bernard de Fallois, grand lettré vieille France qui a publié tant d’auteurs de premier rang, relit Proust chaque année et m’a fait connaître ou rencontrer tant de beaux et bons esprits (de Jacqueline de Romilly à Léon Poliakov en passant par Benoist-Méchin, Fabre-Luce, Debray-Ritzen et bien d’autres), de cette romance insipide et niaise que représente Le Livre des Baltimore de Joël Dicker, et qu’en aurait pensé Dimitri, qu’en disent vraiment un Marc Fumaroli ou un Bernard Pivot après le bon accueil (selon moi justifié) qu’ils ont réservé à La Vérité sur l’affaire Harry Quebert ? L’on me dit que l’ambiance, à la rue de la Boétie, est au délire. Est-ce à dire que le succès rende fatalement aveugle, voire stupide ?

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    2551226573.jpgMa lecture de La Divine Comédie, que je distille irrégulièrement sur la Toile depuis plusieurs années, et qui aborde ces jours Le Purgatoire, n’aura de sens que si elle devient de plus en plus personnelle et spontanée, sans gêne. À propos du poème en question, John Cowper Powys en souligne l’aspect fondamentalement daté , par opposition à d’autres grands textes classiques tels L’Illiade ou les livres de Rabelais. La « tapisserie » poétique de Dante est sans pareille, mais une chose la plombe évidemment, et c’est la théologie.

    Or, me rappelant la lecture « morale », voire moralisante, de notre cher vieux François Mégroz, je me dis que ce Dante-là, catholique ultra et césaro-papiste à outrance, devrait me faire réagir de plus en plus naturellement contre, comme je réagirais contre je ne sais quel ayatollah furieux mais poétiquement génial…

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    L’inflation médiatique suscitée par le nouveau roman de Joël Dicker est tellement disproportionnée, par rapport à l’objet en question, qu’elle en devient ridicule, voire comique, essentiellement liée à deux chiffres : 2 millions d’exemplaires vendus et 42 traductions. Ce qu’on observe alors de nouveau, c’est l’anticipation du lancement de l’objet par des journalistes, devançant même la pub, impatients d’être les premiers à en parler et de recueillir les propos exclusifs ( !) du prodigieux Barbie Mec mal rasé, qu’on ne saurait critiquer sans passer pour jaloux ou incapable de « savourer son plaisir ».

    Quant à lire un seul commentaire élogieux, structuré et argumenté, qui nous explique pièce en main pourquoi ce roman est « encore meilleur » que le précédent, je l’attends évidemment avec toute mon attention de gâte-sauce craignant, hélas, de ne point être démenti…

      

    Ce mardi 29 septemnbre. – Vingt-troisième séance, ce matin, à compter jusqu’à 144 pendant que l’énorme accélérateur linaire me tourne autour. Ensuite vu ma chère Marie-Laure, après bien des mois sans se rencontrer. Bonne conversation comme toujours. Le penchant croissant d’une certaine Suisse égoïste et pleutre vers le repli xénophobe nous désole, mais notre amitié se nourrit surtout de belles et bonnes choses. Je lui parle de nos filles si ouvertes au monde. Elle m’évoque le courage de notre amie M*** amputée à hauteur de la hanche et ne cessant de chantonner, puis elle m’évoque l’homme de sa vie, une fois de plus, dont la disparition l’a bouleversée. Elle représente le seul lien amical fort que j’aie gardé avec mes anciens collègues de 24 Heures. Je lui offre l’Histoire de l’amour et de la haine de Charles Dantzig et lui promet l’Atlas d’un homme inquiet. Nous sommes un peu tristes à l’idée que « notre » table, au Buffet de la Gare, soit promise à la disparition dès la fin de l’année. Plus grave : qu’aucun de nos amis serveuses et serveurs, tous virés, ne soit sûr de retrouver un emploi. Plan social zéro. Société de merde.

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    Simone Weil : « On dégrade les mystères de le foi en en faisant un objet d’affirmation ou de négation, alors qu’ils doivent être un objet de contemplation ».

    Prodhom_image.jpgCe mercredi 30 septembre. – La lecture des Marges de Jean Prod’hom me touche à un point rare, et surtout ne cesse de relancer ma propre rêverie. Je me revois dans les bois à quatorze ans, Sur le chemin de terre aujourd’hui coupé par l’autoroute, où je me suis aperçu tout à coup – vertige pour ainsi dire métaphysique – que j’étais moi et pas un autre. Or il y a de ça dès les premières pages de Marges, dans ce texte intitulé J’ai vécu de bien mauvais moments où il est question de ce qui est attendu d’un écolier dont on attend qu’il fasse preuve d’originialité dans ses composition, qui s’en reconnaît incapable et qui découvre plus tard que sa vraie voie et sa vraie voix sont ailleurs, « loin de l’école et des médecins », toutes choses que j’ai vécues tout pareillement quoique tout autrement, dans le préau de l’école primaire de Chailly, quand je me sentais autre que les autres. Et Jean Prod’hom : « Il convient poeut-être de rester modeste en la circonstance et de se cointenter, plume à la main, de ce qui est là jour après jou, sous nos yeux, le ciel d’opale, le chant du coq ou ce rayon de bibliothèque sur lequel des livres aux habits d’Arlequin, blottis les uns contre les autres, se tiennent compagnie jour et nuit pour dessiner l’arc-en ciel de la mémoire des hommes, avec la conviction que l’inouï est à notre porte ».

    12002541_10207794832655630_6747880051450184974_o.jpgJean Prodh’hom tient à la fois de l’écolier dissident prolongeant la récré pendant des années et de l’instituteur à l’ancienne, il me fait penser à Gavillet pourchassé dans nos campagnes à l’été 1953 et à Gaston Cherpillod pêchant dans une rivière en égrenant les noms de lieux genre Donneloye ou Promasens, Prévondavaux en descendant de Denezy ou Correvon au couchant, ainsi de suite dans la foulée des aiguiseurs de naguère et des vanniers de jadis…  

    3768120043.jpgQuand je remontais en danseuse la côte du Chianti direction Arezzo, sur mon vélocipède à multisacoches,  j’ai noté des tas d’impressions que je retrouve dans ce qu’écrit Jean Prodhom de Pozzuoli dont le front de mer évoque le décor de Mains basses sur la ville, « mosaïque de sacs-poubelles, baignades interdites, horizon glauque, odeurs douteuses, plages jonchées des restes de la cuisine du monde », et tout en haut de ma côte toscane il y avait des mômes de pas treize ans qui vendaient de la limonade et que j’ai payés en coupures roses et bleues de lires pourries de l’époque, ainsi de suite.

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    CINGRIA5 (kuffer v1).jpgEt Charles-Albert de préciser en se penchant sur la terre romaine assez rouge à cet endroit-là : «  ça a beau être immense, comme on dit : on préfère voir un peuple de fourmis pénétrer dans une figue »…