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Voisard le grappilleur

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Alexandre Voisard égrène l'or de ses Riches Heures poétiques : sur ses chemins d'homme des bois, dans les trains, par les rues ou les rêves, le poète filtre la substance qu'il absorbe par les mots et leur admirable musique.

Ce sont homme d'abord des carnets d’un homme des bois qui n'en finit pas de consigner les menus événements survenant au long de ses promenades solitaires, et maintes gens sans doute, dans ce pays, se reconnaîtront dans ce contemplatif saluant le renouveau printanier que symbolise la «tache folle» d'un premier papillon hardi sur la neige ou l'apparition de la «tête douce» du «camarade» Orpin Reprise, «petite plante au nom claudélien», le «bai tout frais» d'un chevreuil qui ranime dans son œil «une gamme oubliée», avec ce «privilège de tout recommencer sans cesse» que se partagent le poète et la brodeuse invisible aux vitres de l'hiver: «Amour de l'art, humour du givre».

Humilité

C'est cet amour de l'art, et cette humilité devant la nature, qui fait dire au poète que «Le plus insoupçonnable / Frise l'extraordinaire /À la surface des choses». Saluer la «Véronique, tendre, nuptiale, impatiente», ou le «tussilage à la barbe d'or» pourrait certes n'être qu'une aimable diversion de littérateur aux champs n'ayant rien à dire, tandis que chaque piécette vibrante de ces carnets se relie à un noyau vivant et vibrant où le tout-venant de l'observation se transforme en or fin.

Dans la foulée, Voisard suggère lui-même que «la bonne poésie pourrait être celle qui impérativement ramène au réel». Et de fait, la première vertu de ces notations elliptiques ou plus amples, oscillant entre l'aphorisme à la René Char («La transparence d'un chant d'oiseau à elle seule fait la légèreté du ciel et la liberté de l'air») ou le haïku («Soulève la pierre de tes paupières / Sors de l'âge de granit /Sois truite avant d'être /La paume qui l'étreint») et le chant ou le récit plus développés, tient à leur capacité à tout rendre plus réel, parce que redéfini sous un regard neuf, dans une langue cristallisant avec autant d'acuité sensible que d'humour («les orties de mes amis ne sont pas mes amies») ou de vérité («que de chemins perdus sous l'entêtement des feuilles mortes»).

La forêt est aussi bien forêt de signes. Lorsque sont évoqués trois chênes constituant «un seul être qui se prolonge sans cesse en atomes et en intelligence avec le ciel et la terre», nous vient l'idée que le monde vu par le poète se résume aussi à «un seul être» dont chaque partie serait reliée au tout par de multiples correspondances.

L'âme des chanterelles évoque ainsi le caractère du père du poète, une grive musicienne est rencontrée comme un véritable personnage, l'imperceptible mouvement des herbes annonce le vent qui se lève sur le monde, bref tout communique, les ombres du bois «tout mystère» disent l'angoisse du flâneur, et la clarté de l'azur rafraîchit l'âme, de multiples sensations sont ressaisies avec un bonheur rare comme dans ces évocations d'un merle qui «élève une fonction naturelle au rang d'art énigmatique» ou de l'automne dont les couleurs annoncent que le «livre se referme dans un froissement d'ailes», et c'est «Ainsi que passe une vie entière / Lentement sous vos yeux /Une vie d'aquarelliste frivole /Une vie de commérage /Sauvée par une soif d'absolu».

La musique de chaque instant

Cependant notre quêteur d'absolu est aussi un homme de désir, un amateur de trains aux belies voyageuses et de villes vivantes, un amoureux impénitent (la scène étonnante de ses Carnets furtifs, où une femme le remercie d'un poème par l'offre d'un sein nu), un rêveur abondant à la mémoire saisissante, un troubadour reconnaissant envers tel maître (ses rencontres de René Char aux Busclats, et l'épilogue d'une fâcherie décevante), un homme comme les autres enfin qui sent les années dans ses artères — et toutes ces facettes se combinent en kaléidoscope mouvant, dans une suite de variations et de reprises substituant le temps du poète à la chronologie ordinaire.

«Ce n'est pas assez de lui donner du temps, c'est toute la place qu'elle demande, tout notre temps», écrit Voisard à propos de la musique, dont il dit la nostalgie, «toujours, en tout lieu, comme une blessure lancinante», et qui pourtant «ne cesse d'être proche, accessible, fraternelle».

Et de même pourrait-on dire, du dernier livre d'Alexandre Voisard, constitué par la substance cristallisée de ses Riches Heures, qu'il requiert tout le temps du lecteur, pour le vivifier cependant par sa constante musique également proche et fraternelle.

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Alexandre Voisard, Au rendez-vous des alluvions. Carnets 1983-1998. Editions Bernard Campiche, 474 pp.

 

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