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  • Un plaidoyer salutaire

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    À la Désirade,ce mardi 17 février. – J'ai reçu de matin, des éditions Albin Michel, cePlaidoyer pour la fraternité du philosophe Abdennour Bidar, auteur de L'islam sans soumission et d'une remarquable Lettre ouverte au monde musulman largement diffusée.

    Amorcé dans l'urgence le 12 janvier 2015, ce texte d'intervention, que j’ai lu en une heure, devrait être distribué largement dans toutes les écoles et les bibliothèques. Je reviendrai sur son contenu mais j’en retiens, ce soir, trois citations importantes :

     

    « Tout ce qui monte converge, disait Teilhard de Chardin. Cette invitation supérieure à répondre au mal par le bien est le point de convergence de toutes les sagesses de l’humanité, qu’elles soient religieuse ou profanes. On l’appelle communément la règle d’or humaniste, présente sous des formes diverses aussi bien dans le bouddhisme, l’hindouisme, le confucianisme, que dans les monothéismes et les philosophies ou les morales athées. Ce n’est pas seulement « : Ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. » Ce serait trop peu ! C’est : « Fais à autrui tout le bien que tu voudrais qu’il te fasse. »

     

    °°°

    « La France doit donner aux musulmans des lieux de savoir, des lieux de culture…au lieu de chercher encore et toujours à leur donner des chefs religieux comme ceux du Conseil français du culte musulman ! Quand donc arrêtera-t-on de considérer les musulmans de France comme un troupeau gardé par des bergers – des gardiens du culte ! Même si l’urgence est de s’assurer de la formation des imams à nos valeurs, de marginaliser voire de réprimer ceux qui racontent n’importe quoi dans leurs prêches du vendredi en contradiction avec ces valeurs, le problème de fond est au-delà. Beaucoup de nos concitoyens de culture musulmane cherchent à élaborer un rapport libre à leur culture, à leur religion – et non pas à être sempiternellement encadrés par des clercs, même éclairés. Ils en ont assez des prêchi-prêcha ! »

     

    °°°

    Je suis croyant. Mais je ne crois pas plus ni moins en un Dieu qui serait celui des musulmans que celui des juifs, des chrétiens ou des hindous. Je crois que tous les chemins mènent à l’homme – c’est-à-dire au divin en l’homme, en tout être humain, et là on n’est pas très loin de la fraternité. Je crois en philosophe et en mystique, c’est-à-dire en étant critique à l’égard de la religion au nom d’une expérience intérieure. Une expérience spirituelle à la profondeur de laquelle la religion conduit rarement, et dont trop souvent elle prétend pourtant détenir lemonopole. Je n’ai rien contre l’athéisme parce que j’ai rencontré des athées plus mystiques que bien des croyants.

     

    Unknown-4.jpegAbdennour Bidar.Plaidoyer pour la fraternité. Albin Michel, 106p.

     

    Nota Bene : ce Plaidoyer, contient un hommage fraternel ( !) à l’essayiste érudit et poète Abdelwahab Meddeb, animateur pendant des années de l’émision Cultures d’islam sur France Culture. Abdennour Bidar en est le successeur après la mort du grand passeur Meddeb dont il faut lire, absolument, La Maladie de l’islam et les Contre-prêches, parus au Seuil..

  • Je ne suis pas MUSULMAN

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    Flash-back sur une rencontre et un entretien avec Rafik Ben Salah, en 2011

    Le dernier roman  de l’écrivain tunisien établi à Moudon, en dessus de Lausanne,   évoque, sous les dehors d'une truculence débridéede conteur,  les terribles caves de Ben Ali.  L’auteur a vécu le  printemps arabe avec espoir, mais reste vigilant. Nous l'avons accompagné en Tunisie en juillet dernier...

     « Je suis écoeuré par l’islamisme ! », s’exclame Rafik Ben Salah dès que nous lançons la conversation sur les bouleversements récents du monde arabo-musulman, qu’il a suivis jour après jour. « Ce qui me frappe, d’ailleurs, c’est que la plupart des fanatiques que je rencontre ne connaissent pas le Coran. Moi je l’ai lu de A à Z, et j’ose dire que je ne suis pas musulman. Je l’ai dit, adolescent, à ma mère analphabète, lorsque j’ai refusé la première fois de célébrer le ramadan. Ce qu’elle a accepté, pourvu que je me cache, et c’est ainsi que, pleine de bons sens,  elle m’a nourri à l’insu des autres. Cela étant, dire qu’on n’est pas musulman continue de choquer. L’an dernier, ainsi, dans une université de Tunis, j’ai senti le froid glacial et même réprobateur qu’a provoqué cette affirmation claire et nette, de ma part, chez des lettrés évolués qui ne sont pas plus religieux que moi. Comme si cela faisait de moi un traître !»  
            Rafik7.jpgÀ cette table du Major Davel, à Cully, où il a écrit une partie des Caves du Minustaire, Rafik Ben Salah voit aussi rouge que la couverture de son douzième livre : un roman truculent d’apparence où le conteur satirique s’en donne à cœur joie, mais  dans lequel la dictature de Ben Ali est montrée, par le détail, dans sa férocité mafieuse. Ses sœurs et frères restés au pays doutaient d’ailleurs, il y a quelques mois, qu’il puisse jamais y remettre les pieds. Mais le vent de l’Histoire a tout chamboulé et voici que le rebelle de la première heure, plusieurs fois menacé de mort pour ses écrits, se sent rejoint et conforté par la jeunesse tunisienne. « Ce qui me réjouit surtout, c’est que les religieux ne sont pour rien dans ce mouvement d’émancipation ! Reste à espérer que celui-ci ne soit pas récupéré».  Pour le vérifier sur le terrain, l’écrivain a déjà en poche son billet d’avion pour Tunis le 24 juillet prochain, jour des élections… »
    Les coups au bâton d’âne
    Sa révolte, Rafik Ben Salah l’a vécue dans sa chair. Né en 1948 à Moknine – dont l’étymologie du nom évoque un pays de collines, comme celle de Moudon ! -, il fut battu tout au long de son enfance par un père instituteur ne tolérant pas la moindre contestation. Aîné de dix enfants, donc supposé donner le bon exemple, le turbulent garçon n’en faisait qu’à sa tête.  Châtié un jour par son maître d’école pour un devoir mal fait, roué de coups au bâton d’âne, rentré en sang à la maison et soigné par sa mère, il reçut ensuite triple volée supplémentaire de la main du père, auquel il en aura toujours voulu, autant qu’à la religion justifiant cette violence.
    Autre expérience douloureuse : l’internat de mille garçons dans lequel il fut placé de 11 à 14 ans, où il dit avoir découvert tous les aspects de la bassesse humaine; et le lycée huppé de Sadiki où il fut ensuite casé, par souci disciplinaire, ne lui laisse pas un meilleur souvenir.
    « Tout était interdit dans notre jeunesse, sauf aux gosses de riches. Nous écoutions Europe 1 et savions bien ce qui se passait dans le monde, mais interdiction de recevoir le téléphone d’une fille, interdiction de sortir, interdiction de tout… ce qui me forçait à sortir le soir par la fenêtre pour me réfugier dans les bars italiens où je retrouvais mes copains… »
    Autant dire que le mouvement de contestation de la fin des années 60 ne pouvait trouver meilleur adepte que le jeune Rafik, qui assista cependant personnellement, à l’université, à la sévère  mise en garde du Président Bourguiba: « La politique, c’est moi, et vous êtes là pour étudier ! »
    Mais la politique, chez les Ben Salah, avait un relent particulier. Ce qu’il faut préciser, alors, c’est que l’étudiant Rafik est le neveu d’une des grande figures de la politique tunisienne de l’époque, en la personne d’Ahmed Ben Salah, qui mena une politique agricole de type socialiste vouée à une croissante opposition, jusqu’à sa disgrâce, en 1970, sa condamnation à dix ans de prison, son évasion, l’exil et le retour tardif au pays. Or ledit ministre, sans faveurs particulières, aidera du moins son neveu à obtenir une bourse d’étude de cinéma à Paris, à l’époque même où l’IDHEC suspendait son activité pour cause de Révolution – et la bourse de lui passer également sous le nez…
    Trois mois durant, tout neveu de ministre qu’il était, « prenant sur lui » avec fierté, l’étudiant allait donc manger de la vache enragée jusqu’au coup de pouce d’un ambassadeur qui l’aida  à s’inscrire à une école de journalisme parallèlement à des études de Lettres en Sorbonne – son rêve tellement inaccessible que, présentant son premier travail de séminaire, le brillant sujet, follement impressionné, en tomba dans les pommes !  


    RaFIK4.jpg« La peur de ma vie »…
    Fort d’une licence de lettres et d’un diplôme de journalisme, mais bien plus riche, encore, d’une expérience humaine exceptionnelle, nourrie par la révolte autant que par l’amour des gens et de la vie, Rafik Ben Salah a débarqué sur les rives du Léman en 1972 où il commença d'enseigner, et c'est par la lecture de Ramuz que fut satisfait, une première fois, son besoin d'intégration. « J'ai trouvé, en Ramuz, un frère humain dont l'approche des êtres et l'écriture, aussi simple qu'essentielle, m'a profondément touché. Grâce à Ramuz, je ne me suis jamais senti seul dans mon exil, et depuis lors je n'ai cessé de le faire lire. » 
    Pour autant, il n’a jamais rompu non plus avec sa culture d’origine, dès son premier récit intitulé Retour d’exil, qui lui valut un premier prix et dont son père ne lui dit pas un mot. C’est qu’il y exprimait, notamment, la vie difficile faite aux femmes en pays musulmans, et la misère sexuelle plus largement partagée. « Tu ne devais pas parler de ça aux étrangers ! », lui reprochera son oncle proscrit de passage à Lausanne : « Tu n’avais pas le droit ! » 
    Or cette conquête de  la liberté individuelle semble aujourd’hui encore, à l’écrivain, loin d’être acquise. Un épisode de sa vie récente, entre beaucoup d’autres, l’illustre violemment. Invité  à l’université de Mulhouse à un colloque sur la peur, et amorçant son exposé par l’affirmation que la religion musulmane est fondée sur la peur, il fut immédiatement interrompu par les hurlements d’un doctorant syrien flanqué de deux femmes voilées, qui le traita de « salaud » et de « traître » avant d’être circonvenu et tenu en respect par les hôtes de l’écrivain.
    « Je n’en ai pas dormi », confie-t-il aujourd’hui comme si cette explosion de violence avait fait remonter en lui une peur ancienne exorcisée par des années de lutte personnelle, d’exil, de partage avec son ex, ses deux fils Hakim et Nessim et les élèves auxquels il s’efforce de transmettre ce qui l’a aidé à devenir lui-même…        
    Rafik Ben Salah. Les Caves du Minustaire. L’Age d’Homme, 220p