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  • Mémoire vive (71)

     

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    À La Désirade, ce jeudi 15 janvier. – Après une dernière étape sans encombre, agrémentée par la lecture du Joueur d’échecs de Stefan Zweig, nous faisant renouer avec la grande littérature européenne, nous avons retrouvé nos pénates avec reconnaissance. De fait, quel lieu mieux accordé à notre vie que celui-ci ? Pourtant nous ne souscrivons pas vraiment à la pantouflarde pensée de Jules Renard, selon lequel le voyage serait embêtant du fait qu’il oblige à se déplacer, ou alors ce serait renier ingratement les 7000 bornes que nous avons parcourues l’an dernier à travers la France, l’Espagne et le Portugal, y faisant des quantités d’observations et de découvertes que nous n’aurions pas assimilée de la même façon en restant plantés devant la télé, comme Lady L. aura vécu la Thaïlande et le Cambodge, et moi le Dorsoduro de Venise, plus récemment, en nous déplaçant bel et bien.   

     

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    Ramuz2.jpgÀ propos de la défiance que Samuel Belet, le personnage de Ramuz, manifeste envers la rhétorique politique et l’idéologie révolutionnaire, j’ai retrouvé le passage du roman rapportant les discours enflammés de son ami Duborgel, et  sa réticence de terrien toute pareille, d’ailleurs, à celle de Ramuz.

     

    Il y a d’abord ceci, marquant un premier recul de Duborgel par rapport à son compère vaudois qu’il ne sent pas assez engagé :«Tout ça était venu de ces discussions politiques qu’il continuait à avoir chez le marchand de vin. J’étais effrayé de l’entendre. Confraternité des peuples, indignité des gouvernants, suppression des frontières : il n’y avait pas de mots qui lui parussent trop gros. Ca ronflait terriblement, mais c’était le creux du tambour »... 

     

    Quand Duborgel demande à Samuel s’il est de son avis, Belet lui répond : « Pas tant ». 

     

    Duborgel l’ardent : « Qu’est-ce que nous attendons ? N’avons-nous pas la force pour nous ? Ne sommes-nous pas mille contre un ? La réponse est facile : nous n’osons pas, voilà tout. Chacun de nos gestes est dirigé contre nous-mêmes ; nous sommes nos pires ennemis. Seulement attendez un peu (alors il posait la main sur sur son cœur et il étendait le bras droit), le jour viendra bientôt où chacun d’entre nous sera appelé à montrer de quoi il est capable ; nous passerons des paroles aux actes, et l’aspect du monde changera. Travailleurs,opprimés, pensez à vous-mêmes, tâchez de prendre conscience de vos droits :quand vous y serez arrivés, vous n’aurez plus qu’un geste à faire pour mettre en fuite l’exploiteur. »

     

    Et Samuel de poursuivre son récit :« Les applaudissement éclataient. Tout le monde applaudissait, même ceux qui étaient loin de partager ses idées. C’est un goût qu’on a à Paris. On aime l’éloquence pour elle-même. On ne s’inquiète pas du contenu des phrases, si elles sont bien faites. »

    Et parlant de son ami Duborgel :« Il ne supportait plus la contrtadiction. Il s’irritait de voir que je ne le suivais pas dans ses raisonnemsnts, mais ils étaient trop compliqués pour moi, et puis je les trouvais un peu vides. J’ai le goût des bases, moi. Quand on construit un mur, j’aime qu’il soit d’abord bien enfoncé en terre, bien assis sur ses fondations ».

     

    Voilà précisément l’écrivain Ramuz face au « bon français » de l’Académie. On l’a dit lourd voire « traduit del’allemand ». L’excellent Jean Dutourd n’a rien vu de « ses bases » et l’a réduit aux dimensions d’une sorte de provincial pataud, alors que les « bases » de Ramuz, bien plus que paysannes au sens régionaliste, sont d’une humanité fondamentale mieux comprise par Henry Miller ou Dino Buzzati que par le docte académicien, et Céline, fondateur d’une langue, a vu en lui un auteur selon sa sensibilité musicienne et sa tripe. 

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    Olivier.JPGÀ propos de la récente consécration de Ramuz par la Pléiade et du « chantier » à millions qui a mobilisé une armada de spécialistes universitaires plus ou moins auto-proclamés, et surpayés, pour l’établissement de l’édition critique, l’ami JMO se demande si ce pactole n’aurait pas pu être mieux employé vu que les Oeuvres complètes, achevées chez Slatkine après l’édition de La Pléiade, semblent destinées essentiellement à des lettrés ferrés tant elles sont plombées par un appareil critique envahissant et souvent illisible en son jargon pseudo-scientifique – nous nous en sommes fait des lectures hilarantes avec mon vieil ami Alfred Berchtold, imaginant le pauvre Ramuz confronté à ce déploiement de cuistrerie digne des femmes savantes ou des sorbonnicoles de Rabelais.

     Tout ça pour un Ramuz qu’on ne lit d’ailleurs plus, à en croire le même JMO. Mais le lit-on moins que « de notre temps » ? Je me souviens d'être arrivé au bac sans que notre prof, le cher Georges Anex, nous en fasse lire une seule ligne, et je ne crois pas que nos filles en aient été plus régalées par leurs enseignants. Telle étant la vérité : que les profs de nos régions sauf exceptions rares (le Tunisien Rafik Ben Salah, et peut-être JMO et sa moitié...), ne lisent plus Ramuz sauf obligation et ne savent pas le faire aimer comme j’ai eu le bonheur d’apprendre à l’aimer avec un vrai ramuzien du nom de Moreillon, en mes douze ans de collégien saisi par la « peinture » de ces mots…

     

    Bref, ma conviction reste qu’aucun chenapan amateur de rap, ni aucune Lolita crochée à Facebook, ne viendront à Ramuz par La Pléiade ou par l’édition-parpaing de Slatkine, mais bien plutôt par communication de ferveur ou par conseil d’ami, comme mon poulain camerounais Max Lobe  a croché à Aline, puis à Jean-Luc, puis à La Grande peur dans la montagne, n’y trouvant ni la misogynie ni la lourdeur qu’on reproche à l’auteur incomparable de Jean-Luc persécuté et de Circonstancesde la vie, de Vie de Samuel Belet et des essais magistraux rassemblés dans La pensée remonte les fleuves, entre autres romans plus encombrés de poésie métaphysique, après le virage décisif d’Adieu à beaucoup de personnages,  où Ramuz fait de plus en plus « du Ramuz » et « creuse » au ravissement, bien entendu,  des belles âmes de la paroisse littéraire romande qui n’aiment rien tant qu’on « creuse » pendant qu’elles scrutent le ciel profond…

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    La lecture « en croix » des journaux accumulés pendant notre absence, ou des magazines que j’ai ramenés (Marianne,L’ObsLe Canard et Valeurs actuelles pour me faire une idée de ce qui se dit de CHARLIE à gauche et à l’extrême droite) me vaut une sorte de debriefing,comme on dit par les temps qui courent.

    À la UNE de l’édition de 24 Heures du 12 janvier, sur fond de place de la République noire de monde, se détache le titre qui doit forcément faire date : UNE MARCHE POUR L’Histoire. Quant au titre de l’édito (d’ailleurs excellent) du compèreThierry Meyer, rédacteur en chef, De cette communion inouïe créer de l’espoir en agissant, il laisse un peu songeur même après quelques jours, tant la « communion inouïe » s’est vite fissurée, notamment sous les attaques de la droite dure désignant les musulmans de France comme le nouvel « ennemi intérieur » et présentant l’islam sous les traits d’une résurgence du fascisme.  

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    Jules Renard en son Journal :« Poëte nouveau. Retenez bien ce nom, car on n’en parlera plus ».  

    Ce qui me rappelle tant de  révélations passées aux oubliettes des saisons littéraires se suivant comme les clients du bordel de Brel.

     

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    En revenant une fois de plus aux inépuisables Choses vues de Victor Hugo, toujours instructives quand on voyage autour de sa chambre sans se déplacer, je note que « le membre sexuel du morse est un os », que « le premier guillotiné s’appelait Léotaud » et que « l’haleine des baleines est fétide, à tel point qu’elle incommode les navires près desquelles un baleine passe », la chose tenant « à des millions de parasites qui rongent intérieurement la gueule de ces monstrueuses bêtes et qui y font des ulcères dont l’infection se répand au dehors ». Ce qui rivalise d’enseignement positif avec le fait que « les sauvages de la Nouvelle-Zélande appellent les Françaisles Oui-Oui » et que « la lettre R manque à l’alphabet des Chinois » au motif qu’ elle leur est presque impossible à prononcer ».

             
    Houellebecq44.jpgÀ La Désirade, ce vendredi 16 janvier.– 
    J’ai achevé, tôt ce matin, la lecture de Soumission de Michel Houellenecq, sur une impression meilleure qu’à mi-parcours et cependant mitigée, comme si ce livre restait d’une importance secondaire, voire anodine par rapport aux événements récents. Le  talent pince-sansrire de l’auteur y est sans doute, et en crescendo après une première partie parfois ennuyeuse, mais l’enjeu de cette fable conjecturale reste limité, me semble-t-il, en somme, terriblement littéraire dans son développement, coupé de la réalité et d’autant plus que celle-ci postule un avenir relevant plus de la fantasmagorie que de l’extrapolation crédible,voire éclairante. Comme il s’agit d’une fable, on ne demandera pas à la chose d’être sociologiquement plausible, comme l’était l’uchronie de Philip Roth, dans Le complot contre l’Amérique, mais le gros défaut du livre est tout de même qu’on ne sent absolument pas, dans une France qui reste celle de Coppé et de Vals, ou de Bayrou que le protagoniste conchie plus qu’aucun autre, ce qu’on pourrait dire l’épaisseur de l’Histoire.

     

    Sans entrailles physiques, résigné à n’être plus qu’un has been intellectuel,   juste frémissant du bout du zob (et encore, si peu) et confinant ses autres raisons de ne pas se suicider entre fumée et gastro bas de gamme, le protagoniste François  cite Huysmans, Léon Bloy (dont il ne dit que des sottises), Nietzsche (qu’il qualifie de « vieille pétasse »), l’excellent Chesterton (pour sa doctrine économique) ou René Guénon (le contempteur de la décadence occidentale rallié à l’islam) mais comme en effleurant chaque thème, ramenant tout finalement à une sorte  d’éloge de l’islam soft couvant les élites intellectuelles mâles (François aura sa chaire surpayée dans la Sorbonne saoudite et trois mousmées au moins) et ramenant les femmes à leur juste place, en cuisine ou à la nursery. 

     

    Et pour dire quoi tout ça ? Qu’en 2022 la France mahométane se portera mieux qu’en se disant massivement CHARLIE,aujourd’hui, pour ne pas voir la réalité réelle ?  J’ai beau me dire que « tout ça » relève du deuxième degré et de la rêverie conjecturale, et qu’on ne saurait identifier l’écrivain à son pleutre cynique sanglotant sur lui-même et enjambant les cadavres (deux Maghrébins flingués, sa mère ou son père) sans la moindre compassion, mais tout de même…