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  • Mémoire vive (29)

     

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    À Rome, ce 19 mai 2009. - Il n'y a qu'à Rome qu'une fontaine n'est faite que pour les chiens, et c'est à Rome aussi que s'élèvera la fontaine en mémoire de Pier Paolo Pasolini faite juste pour se laver les mains en passant ou se rafraîchir, juste pour boire en passant de l'eau fraîche ou se refaire une beauté - il n'y a qu'à Rome que le soir, au Campo de Fiori, les gars et les filles dégagent la même sensualité qui est celle, en mai, de notre bonne et belle vie...

     

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    Tout est mélange extrême dans la catholicité païenne que figure l'éléphant de la Minerva portant l'obélisque et la croix sur quoi ne manque que le logo de McDo, et c'est le génie des lieux et des gens qui déteint sur tous qui fait que chacun se la joue Fellini Roma, comme ce matin au Panthéon où l'on voyait deux sans-emplois déguisés en légionnaires romains s'appeler d'un bout à l'autre de la place au moyen de leurs cellulaires SONY - et défilaient les écoliers et les retraités de partout, se croisaient les lycéens et les pèlerins de partout sous le dôme cyclopéen, et le vieux mendiant au petit chien et l'abbé sapé de noir à baskettes violettes, et sept scootéristes soudain surgis sur le parvis du temple des marchands - tout ce too much se mêlait, ce trop de tout, ce trop de vie de notre chère Italie...

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    Guido Ceronetti me dédicace son dernier livre "Nulla, nessuna forza può rompere una fragilità infinita."

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    LUCY2011 023.jpgÀ La Désirade, en juillet de ce bel été. - J'ai été très touché ces jours, comme par une espèce de grâce, de voir ma bonne amie se mettre à la peinture, et y réussir aussitôt avec ce goût instinctif et très sûr qu’elle a toujours montré dans son approche de l’art ou de la littérature. Première huile sur toile : un parapluie vert. Elle travaille avec un tablier de jardinier. Pour enchaîner avec une nature morte que je trouve très vive, et un paysage dont je devrais être jaloux et qui me ravit plutôt, à l’opposé de l’affreux Ramuz qui, dès leur mariage, interdit à sa femme peintre d’exercer son art pour se concentrer sur des travaux plus typiquement féminins…     

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    Celui qui lira Céline jusqu’au bout de la nuit / Celle qui se voit déjà morte à crédit / Ceux qui remettent la féerie à une autre fois, etc.

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    Lisbonne.jpgÀ Lisbonne, ce 30 mars 2010. - On arrive à Lisbonne par le ciel et c’est ensuite à bonnes foulées dans le vent vif qu’on descend l’Avenida da Libertade vers le fleuve là-bas qu’on devine entre les toits et la mer qui s’ouvre au-delà comme s’ouvre la ville à la double évidence claire et plus obscure qu’il n’y paraît, car aussitôt son mystères et ses ruses se ressentent à l’avenant et le premier soir on se tait, comme intimidé par tant de présences et de secrets latents, devant la mer de paille…

     

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    Le sentiment ne m’est apparu qu’avec le temps que le point de départ se situe partout et que c’est tous les jours, comme à l’instant au promontoire de ce jardin dominant leTage, qui me rappelle mes premiers départs d’un balcon en forêt à l’adolescence, dans l’état chantant des appels de Cendrars, vers une vie plus libre et pour écrire là-bas mieux que dans mon quartier de nains de jardin, par exemple à Sienne ou à Cortone, à Venise ou à Rome, et je partais mais n’en ramenais rien que les lumières infuses de Sienne, au déclin du jour orangé sur le Campo, des immatérielles collines de Cortone ou des crépuscules de Rome aux jardins de la villa Borghese.

     

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    Le geste du Léon de Manet de former sa bulle et d’en suspendre l’éclat résume à mes yeux cechef-d’œuvre réalisé du moment pur de l’art, plus fragile et plus inutile on ne saurait imaginer, c’est l’instant absolu qui retient son souffle et pour l’éternité figurée que représentent les objets, car ce n’est qu’un objet mais qui nous fait signe, et voici que nous nous en arrachons avec son secret - Léon nous a dit son bonheur enfantin de former cette bulle, toute la grâce d’une enfance bientôt passée, toute la gravité de se sentir sans âge.

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    Le paradis est sous le drap du ciel. Le paradis est dans tes bras. Le paradis est dans la lumière tamisée de la chambre. Le paradis est dans l’orbe du jour. Le paradis est dans la nacelle du sommeil. Le paradis est ce matin gris suprême. Le paradis est une main sur une joue endormie. Le paradis est un regard qui s’éveille. Le paradis est une femme au petit chien. Le paradis est une paire de  petites filles pestes qui auraient passé la vingtaine. Le paradis serait que tout ça dure sans durer.

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    Il n’est pas vrai que nous ayons tout soumis, il n’est pas vrai que tout mystère soit dissipé, il n’est pas vrai que plus rien ne soit à découvrir - vois donc : il n’est que d’ouvrir les yeux dans le jour obscur et de ne pas désespérer…

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    10405638_10204453290039153_1797371443892251361_n.jpgTristesse de ce jeudi 13 mai 2010 – Ce jour de l’Ascension, je me réveille à 5 heures du matin, songeant aussitôt à Geneviève, lumière de L’Age d’Homme dont nous avons appris la mort par le journal et qui sera enterrée lundi prochain. Je me rappelle ce qu’a été la lumière de Geneviève dans les ombres et pénombres de L’Age d’Homme, de même que je me rappelle ce qu’a été la lumière de L’Age d’Homme dans ma vie parfois sombre, grâce à Dimitri et malgré ses ombres et pénombres à lui. Je suis triste, affreusement, du fait que cette lumière se soit éteinte et comme ça, au  milieu de tant d'ombres et pénombres, mais le seul nom de Geneviève, par delà les eaux sombres, n'en finira pas de nous éclairer. 

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    Celui qui écrit seul dans un phare désaffecté / Celle qui se réjouit d’aborder Plotin avec ses petits crevés / Ceux qui prennent tout leur temps pour faire ce qu’ils aiment dans une maison bien tenue, etc.

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    schlunegger.jpgUne paire de vers me revient tout le temps, qui m’est devenue comme un fragment de psaume se répétant malgré moi presque tous les jours: Merveille des merveilles, sous le lilas fleuri / Merveille, je m’éveille…

    C’est le poète romand Jean-Pierre Schunegger qui en est l’auteur, Schlunegger que je voyais tous les jours, lorsque j’étais collégien, sur la ligne 6 du trolleybus reliant les hauts de Lausanne au centre ville, Schlunegger qui me faisait l’effet d’une espèce d’ours  en canadienne, avec sa serviette de prof et sa pipe éteinte, Schlunegger qui a vécu quelque temps dans le val suspendu de La Désirade, où il écrivit La chambre du musicien, Schlunegger qui s’est jeté d’un pont de la région - Schlunegger dont il ne me reste que ces vers:

    Merveille des merveilles, sous le lilas fleuri /Merveille, je m’éveille.

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    Il m’arrive d’être las des murs immaculés du monastère, ma contemplation se lasse jusqu’aux rives de l’ennui, je laisse donc ma cellule et descends par les rues où Satan ne va même plus tant il se sent abandonné, mais au pied des murs tagués on fait des rencontres, Dieu m’est témoin, j’y ai retrouvé le bleu des cieux dans les yeux d’un voyou et de sa voyelle, on s’est raconté nos chutes, eux dans le doute et moi dans la certitude, et je les ai fait sourire quand je leur ai dit qu’ils étaient confiés l’un à l’autre et que ça me sauvait de les savoir au monde même à moitié crevés par la dope…

  • Mémoire vive (28)

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    Le mot CLAIRIÈRE me revient avec la neige de ce matin, qui éclaire la nuit d’une clarté préludant au jour et dont la seule sonorité est annonciatrice de soulagement et de bienfait - la neige est une clairière dans la nuit, de même que la nuit est une clairière dans le bruit…

                               
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    Une fois de plus, à l’instant, voici l’émouvante beauté du lever du jour, l’émouvante beauté d’une aube d’hiver bleu pervenche, l’émouvante beauté des gens le matin, l’émouvante beauté d’une pensée douce flottant comme un nuage immobile absolument sur le lac bleu neigeux, l’émouvante beauté de ce que ne voit pas l’aveugle ce matin mais qui le ressent les yeux ouverts...

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    À La Désirade,ce 9 février 2009. – Je vis tous ces matins le silence et la solitude du silence sous la neige, la solitude des choses que j’essaie de dire pour les faire se sentir moins seules, qui sait - comme si les choses que je nomme se trouvaient tirées de la nuit pour accéder à une plus palpable présence… 

     

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    L’impression parfois que plus rien n’a de sens pour personne – mais ce n’est qu’une impression.

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    Celui qui se marre tant que c’en devient drôle / Celle qui a une formidable réserve de blagues australiennes mais aucune mémoire hélas / Ceux qui ont le désespoir sémillant,etc.

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    Tu me dis que l’espace est la plus ancienne de toutes les choses, mais c’est la façon dont tu me le dis, à trois heures du matin, en plein nulle part, sur l’autoroute où j’ai longtemps dormi pendant que tu conduisais, encore plus seule que si je n’étais pas là – c’est cette intonation douce de ta voix qui m’a fait penser soudain qu’à cet instant précis nous donnions une chance à l’espace d’avoir moins froid…

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    Ne pas se laisser éteindre par les éteignoirs. Ne pas s'isoler non plus par orgueil.

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    10378142_10205221106273041_7705746167322863561_n.jpgDans le rêve le vieux marcheur me demandait si j’avais bien vu tout ce qu’il y a dans son désert, il disait mon désert et il insistait : mon beau désert, puis il se reprenait : notre beau désert, et pour lui faire plaisir, comme je dormais, je lui disais qu’il fallait bien ouvrir les yeux pour voir notre désert, et qu’alors on voyait un beau désert plein de choses invisibles quand on dormait les yeux ouverts – mais quel beau désert nous avons là, lui disais-je dans mon rêve, sur quoi je me réveillais et je voyais alors tout ce que nous ne voyons pas faute d’ouvrir les yeux…

     

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    À la lecture de Révérence à la vie de Théodore Monod, je me sens en complet accord avec ce que dit le vieil homme de l’esprit évangélique et de la vraie vie chrétienne non alignée. Voilà le type d’hommes que j’admirais en mon adolescence, pacifistes et réfractaires,cultivant la même soif de justice et de liberté d'esprit et de corps, tels le pasteur Pierre Volet de notre quartier des hauts de Lausanne et l’objecteur Louis Lecoin sur lequel je commis mon premier papier à quatorze ans, Morvan Lebesque mon chroniqueur mentor duCanard enchainé et ces autres maîtres à ne pas obtempérer que me furent un Brassens ou un Brel, un Albert Camus ou un Roger Martin du Gard. 

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    AntonTchékhov: "Lui-même se surprenait parfois à être un despote".

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    A l’éveil des ces jours inclinant au redoux on ne trouve pas de mots assez légers ni assez transparents mais qui évoqueraient à la fois le poids des montagnes millénaires et la densité de l’air qui les relie aux galaxies, tout ce lien de temps imaginaire et d’atomes de brume un peu chinoise ce matin - des mots qui dévoileraient en voilant et qui parleraient sans prétendre rien dire que ce qui est…

     

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    10711011_10205199460691915_1495897915257152328_n.jpgCELA  serait le grand mystère de ce que je vois sans le voir, et j’y associe ce matin mon frère mystérieux: dans ce paysage immense qu’on dirait à l’instant de monts de Chine encrés à rehauts de bleu sombre, mon frère est ce personnage à manteau noir qui s’en va seul, là-bas, sur la rive du lac semblant un fleuve, mon frère qui n’est aujourd’hui plus que cendres sans mystère au jardin du souvenir et telle est ma question : qui est cet homme que je vois là-bas qui me fait signe ?        

     

    Tu me disais, grand frère, que CELA ne nous regarde pas, mais ton prénom me rend un corps et c’est le tien : ton corps d’Indien de nos étés, ton corps tatoué de grand frangin que je regarde et qui me regarde, oui CELA me regarde, CELA nous regarde, mais où s’arrête ton corps, ce matin, comment ne pas entendre ta voix de garçon petit et tout blond dans le silence de CELA ? Et qu’est-ce diable que CELA?

             

    Où commence le corps de notre premier enfant ? Tiens, l’odeur de la première merveille n’est pas la même que celle de la seconde. Celle-ci sent plutôt le jasmin, celle-là plutôt l’abricot, comme leur mère sent le matin le jardin et leur père le sanglier.

             

    Le mot CELA est le sempiternel entonnoir de tous mes vertiges de vieil enfant et d’adolescent prolongé: il y a de quoi devenir fou à le scruter, bien plus que le nom de Dieu qui ne se laisse pas regarder en face plus que le soleil ou qu’on affuble de tous les masques.

             

    Dieu tu ne l’as jamais vu. Dieu n’est pas CELA, mais CELA te ramène à ce Nom sans nom. Dieu t’a toujours tenu dans sa main, te dis-tu parfois, mais que diable en sais-tu ? Eux le savent qui en ont fait le Tout-Puissant, Seigneur des armées, mais de celui-là tu ne veux rien savoir. Eux le savent qui en ont fait le Verbe ou l’Absent, le Vengeur ou le Sacrifié, le Glorieux ou le Mendiant, mais de tous ceux-là tu ne sais que dire ce matin alors que le mot CELA t’engloutit, seul et muet, comme si tu te voyais toi-même sans miroir, de dos ou du dedans, seulement visible les yeux fermés...

     

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    10712980_10205190569829649_4706951944167065306_n.jpgDe Dieu mais tu vois ce que je vois ce matin dans les rues de ce matin et sur les places de ce matin et aux guichets de ce matin : j’en crois pas mes yeux, non mais je me pince, et sur les arbres de ce matin, et le long du fleuve et des heures de cette matinée, t’as déjà vu tout ça toi, et là dans les snacks et les cantines, et là-bas dans les hostos de midi et les baraques de l’asile, et l’après-midi les enfants dans les jardins municipaux, non mais dis-moi pas, toi, que t’as déjà vu ça…

     

    Images: Lady L. en Thaïlande et au Cambodge.