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  • Les crades et la gracieuse

     

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    (Dialogue schizo)

     

    Sur L’Enlèvement de Michel Houellebecq , la rentrée littéraire et le décolleté d’Alisa Weilerstein

     

    Moi l’autre : - Donc finalement, on a croché, toi et moi…

    Moi l’un : - Il s’en est fallu de peu, mais c’est vrai que cet Enlèvement de MichelHouellebecq valait, contre toute attente,  d’être vu jusqu’au bout…

    Moi l’autre : - Je t’ai pourtant senti à la limite de taxer ça de foutaise et de laisser tomber après un quart d’heure…

    Moi l’un : - Durant le premier tiers du film, c’est vrai que ça m’a paru vide et complaisant, dans le genre minimaliste intello. Je m’ennuyais et je trouvais Houellebecq cabot…

    Moi l’autre : - Cela t’a pas rappelé le début de Pater, d’Alain Cavalier ?  

    Moi l’un : - Comment ça ? Je ne vois pas…       

    Moi l’autre :  - Cavalier propose à Lindon de jouer au Président et au Ministre, et c’est parti. Avec Guillaume Nicloux, ça devient : et si on se faisait un enlèvement ?

    Moi l’un :- Ah oui ? Ah bon: non, vraiment, je n’avais pas fait le rapprochement. Mais il faut dire que l’image soignée de Cavalier n’a rien à voir avec l’esthétique à la Deschiens de Nicloux…   

    Moi l’autre : - C’est vrai. Et le rapprochement avec les Deschiens tombe pile. Ensuite, le foutoir prend forme.

    Moi l’un : - C’est ça : grâce à l’humour qui filtre bientôt, toujours au second degré s’entend.

    Moi l’autre : - Quand M.H. achète une carotte à une Noire qu’il embrasse ensuite…

    Moi l’un :- Au niveau docu c’est quand même un plus : Houellebecq qui achète des carottes...

    Moi l’autre : -  Ensuite ça devient plus culturel : il parle de Mozart. Et de Janis Joplin, il m’a semblé…

    Moi l’un : - Ce qui est sûr est qu’il a essayé ensuite un maillot rayé que lui offrait une dame d’un certain âge (sa tante ?) et s’est inquiété de savoir si ça ne faisait « pas trop gay »...

    Moi l’autre : - C’est normal : en Belgique aussi tu as des mecs qui se le demanderaient…

    Moi l’un :-  Et puis c’est l’enlèvement. Il y a là trois beaufs, l’un genre Gitan adipeux à longs tifs, les autres à dégaine de bodybuilders, et hop on bâillonne le Michel avant de le conduire dans un pavillon en banlieue.

    Moi l’autre : - Alors commence le calvaire…

    Moi l’un : - Tu parles d’un Golgotha, vu que c’est tout de suite le syndrome de Stockholm qui prévaut.

    Moi l’autre : - Ce qu’on remarque alors c’est le voussoiement et le respect des gros bras pour l’écrivain. On se sent en France, République de profs: même camionneur on se découvre devant un Prix Goncourt.

    Moi l’un :- Aussi Michel se montre patient avec ses ravissants ravisseurs…

    Moi l’autre : - J’aime beaucoup la séquence du bodybuilder qui se dénude pour faire rouler ses pectoraux. Où l’on voit que le narcissisme de l’artiste n’épargne pas le prolo.

    Moi l’un : - Tu ironises, mais on sent bientôt une certaine tendresse au niveau relationnel...

    Moi l’autre : - C’est que les garçons sentent la fragilité de l’écrivain. Le poète est une âme délicate, c’est connu…

    Moi l’un : - Ensuite il y a ce dialogue d’anthologie entre l’haltérophile soucieux de processus stylistique et l’écrivain qui dit que non : qu’écrire un roman c’est juste éviter de s’emmerder et dire n’importe quoi mais comme on le sent vraiment.

    Moi l’autre : - Et ce n’est pas ça l’écriture ?

    Moi l’un : - Honnêtement, e tJulien Green l’a dit à son confesseur : il y a de ça…

    Moi l’autre : - Puis on est à table et la fièvre monte avec le Gitan qui cherche M.H. sur une question liée à sa biographie de Lol Craft.

    Moi l’un : - Le conosaure croit avoir lu quelque chose que l’écrivain n’a pas écrit, mais il n’y a pas de raison de penser qu’un écrivain sache mieux de quoi il s’agit que le lecteur ou alors c’est quoi la démocratie ?

    Moi l’autre : - Ainsi de suite.Passons. Mais on retient la séquence ou le Gitan essaie de faire siffler la Marseillaise à un Houellebecq tout à fait incapable de siffler !

    Moi l’un : - C’est la limite du pouvoir intellectuel et littéraire. Constat : certains écrivains même à succès ne savent pas siffler…

    Moi l’autre : - Amélie Nothomb ?

    Moi l’un :      - Très joli coup de sifflet !

    Moi l’autre. - Donc on parle un peu de rentrée littéraire ?

    Moi l’un : - Volontiers. Juste après dire que, tout de même, L’Enlèvementde Michel Houellebecq dégage une espèce de charme crescendo et prend véritablement corps dans la seconde partie, après l’irruption de Ginette et de sa machine à coudre, de son conjoint polonais versé dans la mécanique et surtout de Fatima, très belle jeune fille que Ginette envoie à Michel pour lui adoucir le rapt, contre un poème. Dans la foulée on a droit à une fête masquée, autour de la table, qui touche à la dérision sublimée. Dans ses meilleurs moments, Houellebecq a l’air soit d’un jeune communiant à joli pyjama, soit de Céline à Meudon…

    Moi l’autre : - Sauf que la dentelle des impros verbales de Céline était d’une autre classe.

    Moi l’un : - Je ne te le fais pas dire. Et le film reste un assez informe fatras, ce que ne sont pas les livres de Michel Houellebecq… 

    Moi l’autre : - Et la rentrée littéraire là-dedans ?

    Moi l’un : - Elle commence par Dieu, et je suis curieux de lire Le royaume d’Emmanuel Carrère vu que, depuis que je lis, ce sujet m’a toujours passionné. Mais je doute que l’auteur nous mène plus loin que ses 600 pages, vu qu’il n’a ni la poésie ni la folie pour lui en dépit de son grand talent. Son Adversaire avait déjà buté sur  ce manque. Mais ne jugeons pas sans pièces en main…

    Moi l’autre : - Et qui d’autre ? Beigbeder ?

    Moi l’un : - Sûrement pas ! Son projet sent la retape biotruc à plein nez, comme il paraît que c’est tendance cette saison. Passons. En revanche Moisson de Jim Crace m’a déjà scotché, et j’attends trois étrangers dont-on-parle, à savoir Siri Hustvedt, Thomas Pynchon et Murakami. Bien entendu, j’aurai lu le dernier Nothomb et une heure et nous n’aurons pas un hiver de trop pour épuiser les méditations de Pascal Quignard dans Mourir de penser...  

    Moi l’autre :  -  Et côté Suisse romande ?

    Moi l’un : - Mon préféré du moment est L’Ami barbare du camarade JMO, qui a fait son livre le plus libre et le plus débridé, le plus tonique et humainement le plus fouillé, dans une prose galopante qu’il avait déjà rodée dans L’Amour nègre et  qui se déploie avec une énergie et une plasticité jamais vues dans le roman romand actuel, sauf chez Joël Dicker.  

    Moi l’autre : - Qui d’autre ?

    Moi l’un :      - J’aime beaucoup Inertie de Dunia Miralles. Son récit d’une espèce de clocharde de quart-monde chaux-de-fonnier est d’une justesse de ton constante et, sur un thème qui d’habitude me fait fuir dans les bois ou les bars (la femme qui en bave et fume pour oublier), la drôlesse réussit à captiver dans le même genre de narration lyrico-trash qu’Antoine Jaquier.  

    Moi l’autre :  - Et t’en oublies ?

    Moi l’un :      - Tu sais, pour m’avoir entendu le claironner déjà trois fois, que j’aime le nouveau roman de Max Lobe plus encore que le précédent. LaTrinité bantoue confirme un merveilleux talent de conteur-narrateur, drôle et d’une profonde humanité, qui parle de la réalité sans une once de démagogie et sait filer une chronique chatoyante à partir de son expérience personnelle transmutée, avec des personnages vivants et nuancés, tout ça porté par une langue métissant la français et lesparlers africains au fil d’une joyeuse musique.

    Moi l’autre : - D’autres encore ?

    Moi l’un :      - Bien entendu, et notamment le troisième tome du Manifeste incertain de Pajak, autour de la mort de Walter Benjamin, avec une ouverture de l’auteur en miroir.

    Moi l’autre : - Et pour sortir de la rentrée ?

    Moi l’un :      - Le premier concert, hier soir, des Semaines musicales de Montreux où nous ne mettons jamais les pieds. Mais là, des billets à 160 balles pièces nous ont été offerts par le boyfriend de notre fille benjamine, lequel gagne ce genre de lots en jouant sur Internet. Gloire à lui car  la Philharmonie tchèque, sous la baguette de  Jiří Bělohlávek, est une rutilante et somptueuse machine, mais à la slave passionnée, qui nous a balancé une 7e de Beethoven impressionnante de dynamisme ardent et de plasticité sculpturale (je parle comme Jean Yanne dans son camion) et, surtout, un concerto pour violoncelle de Dvorak aussi vigoureux que les épaules de la belle Alisa Weilerstein, et aussi délicatement hypersensible que ses doigts de fée - romantique à souhait  dans la modulation mélancolique...    

    Moi l’autre : - Je sens que tu brules de parler de son décolleté…

    Moi l’un : - De loin, Lady L. a cru voir une blonde, alors qu’Alisa est une brune intense, dont la robe rouge s’étalait autour d’elle telle une corolle de carmine fleur de prairie à la Smetana…

    Moi l’autre : - C’est d’ailleurs avec un apéro de Smetana que la soirée a commencé: épatante ouverture de La fille vendue…

    Moi l’un :      - Ne me coupe pas quand je parle d’un décolleté bateau…

    Moi l’autre : - Eh, tu n’as même pas osé lui faire signer le disque que vous avez acheté…

    Moi l’un :      - Tu me vois lui parler de ses épaules de fée et de ses doigts vigoureux ?

    Moi l’autre :  - Avec tes jeans crades qui plus est…

    Moi l’un :      - Les plus crades du parterre, a remarqué  Lady L.

    Moi l’autre : - Mais la musique est au-dessus de ça…

    Moi l’un : - Merci d’aggraver mon cas !