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  • Visions de Thierry Vernet

     

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    «La vue c'est la vie», disait Thierry Vernet peu avant que la maladie ne l'arrache (en 1993) au monde visible, alors qu'il consignait, dans un minuscule carnet, et de mémoire, à deux ou trois jours de distance (bonne façon de faire la nique à la mort), des visages de gens rencontrés dans la rue ou le métro parisien, dont la frise des portraits saisit par sa fulgurante acuité. C'est à la même époque, aussi, que le peintre genevois de Belleville, tout à fait conscient de sa fin prochaine, peignit certaines de ses toiles les plus jubilatoires.

    Me reviennent alors les mots de cette lettre de jeunesse de Thierry, datant de l'été 1953. Il se trouvait alors en Yougoslavie en attendant que Nicolas Bouvier le rejoigne à Belgrade pour se lancer avec lui, en Topolino, dans le grand voyage de L'Usage du monde, et voici ce qu'il écrivait aux siens depuis Zagreb: «Je suis de plus en plus assuré sur mes pattes. Le boulot marche. L'aquarelle se trouve. Je vais au bout. Le fin du fin n'est-il pas de voisiner l'extrême limite, de se balader sur les crêtes, d'aller aux frontières où la peinture n'est presque plus de la peinture, où les formes en sont à leur dernier point de tension ?»
    Et quelques lignes plus loin, il ajoutait: «N'ayez point de crainte, mes chemises ont été lavées pour trente dinars par une femme de métier. Je porte beaucoup mes calosses de bain, c'est plus simple. Le budget est bien équilibré, malgré le petit déjeuner de hier! Dans un mois, je retrouverai le cher Nick, dans un mois et un jour, au Majestic. Disons vers 19 heures, sept heures du soir...»

    Thierry Vernet disait tout de son art en écrivant qu'il allait «jusqu'au bout». Son oeuvre, pure de tout chiqué pseudo-avant-gardiste, est en effet d'un réel risque-tout de la forme et de la couleur, prêt à toutes les audaces pour exprimer sa vision réelle jusqu'à «l'extrême limite», mais non du tout pour épater la galerie. La fulgurance de son regard n'excluait pas un respect serein de ce qui est (les calosses, le budget «bien équilibré», la figuration du ciselé du feuillage ou le détail cocasse, etc.) et un sens quasiment organique de la composition.

    Thierry Vernet ne se payait pas de mots lorsqu'il disait «se balader sur les crêtes», «voisiner l'extrême limite» et pousser jusqu'«aux frontières»: le trait de ses dessins exprime (avec des élisions et des «bonds» qui évoquent parfois Matisse et parfois les «extrêmes» de Tal Coat, tout en restant strictement personnel) cette danse de plus en plus légère et de plus en plus libre qui capte l'essentiel de la chose vue (bouquet de fleur, futaie, paysage) pour y ajouter le travail profond d'un regard reconstructeur.

    a43c3df10fde955ae2eb72b21dd3623a.jpgL'oeuvre de Thierry Vernet est à la fois d'un lyrisme allègre (le peintre citait volontiers les Psaumes de la célébration reconnaissante) et d'une sourde mélancolie. «C'est une peinture spirituelle que celle de ce Suisse de Paris, note l'écrivain Jan Laurens Siesling. J'y discerne sans mal une confiance infinie en la beauté de la vie, jusqu'à la candeur, corroborée par une abondance de bonne humeur, d'humour.»

    e3273dc2f6e0a3cf136bbc1259d0e8c7.jpgCelui-ci ne sacrifiait qu'incidemment à l'anecdote dans les croquis les plus innocents du passant, pour rejoindre la vie (tel chat attrapé d'un geste rond dans sa pose péremptoire de penseur baudelairien) que l'artiste savait en pleine conscience une «drôle de vie». Sans jamais toucher au tragique (tout différent en cela de son ami Josef Czapski), Thierry Vernet ne portait pas moins en lui les nuances pénombreuses de l'existence, qui se retrouvent dans l'aspect «plombé» de certains paysages ou dans la «morsure» de certains traits. Sa mélancolie retentit aussi parfois dans ses admirables aquarelles où la vue retient la vie au bord de la nuit fatale aux couleurs.
    Cependant au-delà des craintes et tremblements, le peintre retrouve une sorte de souveraine sérénité le rattachant aux maîtres anciens.
    5d9c290a09bc0210a33d7249251314cd.jpgColoriste aux effusions jamais euphoriques, Thierry Vernet se risque avec autant d'intensité et d'autorité dans l'aquarelle que dans l'huile. C'est en dansant aussi qu'il échappe à la virtuosité creuse ou à la flatterie. Il vit ce qu'il voit, et à nous faire mieux voir, il nous fait mieux vivre.
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  • Cet étrange sourire

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    Pour L.
     
    «Quand son corps devient infréquentable, il convient de le servir poliment, juste ce qu’il demande, et de penser à autre chose, avec enthousiasme». (Thierry Vernet)
     
    Les choses vous attendaient là,
    au retour du sommeil,
    qui veillaient peut-être sur vous
    vous dites-vous en les voyant
    vous regarder les regardant...
     
    Votre corps est là qui s’éveille
    au seuil de ce dédale
    où il déambulait, pareil
    à l’enfant perdu dans les salles
    de ces palais muets
    où se délivrent les secrets
    de la pensée des choses...
     
    Le miroir accède aux reflets
    des nuées passant
    dans l’azur où les alizés
    des esprits inquiétants
    seront maintenant apaisés -
    le jour vous accueille, et les choses
    étranges vous sourient...
     
    Peinture : Thierry Vernet

  • Le voyageur émerveillé


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    Lettres de voyage de Thierry Vernet

    C’est une somme épistolaire épatante de fraîcheur, par son écriture, et du plus grand intérêt documentaire, à divers titres, qui vient de paraître sous le titre peu convaincant de Peindre, écrire chemin faisant, réunissant les lettres envoyées à ses proches par le jeune peintre genevois Thierry Vernet tout au long du périple qui le conduisit, avec son compère Nicolas Bouvier, de Yougoslavie en Afghanistan via la Grèce et la Turquie, l’Iran et le Pakistan. La première de ces missives (parfois de plusieurs pages) est daté du 6 juin 1953 à Graz, et la dernière du 20 octobre 1954 à Kaboul.
    medium_VernetC.JPGAu commencement, le jeune Vernet (il a vingt-six ans et laisse une fiancée à Genève, prénommée Floristella) voyage tout seul en Croatie puis en Bosnie, jusqu’à l’arrivée de son ami « Nick » qui le rejoint à Belgrade en juillet. D’emblée, cependant, se manifeste un don d’observation et d’expression qui rompt pour le moins avec la gravité calviniste, évoquant tantôt Cingria par sa fantaisie et la découpe de sa phrase, ou Vialatte par sa faconde cocasse et son bon naturel. S’il lui faut bien quelque temps pour larguer vraiment les amarres (la moindre lettre des siens est attendue avec fébrilité), c’est ensuite avec une curiosité et un enthousiasme de (presque) tous les jours qu’il découvre les lieux et les gens, vivant autant qu’il peint et écrivant pour le revivre en le racontant. Son mot d’ordre est vite trouvé : « Le secret du bon moral : SORTIR DE SOI-MÊME », écrit-il ainsi avec son solennel humour. Et de fait, le contact avec les gens, l’observation du monde, l’aquarelle ou ces lettres, tout le porte à sortir de la contention solitaire.
    Par ailleurs, Thierry Vernet n’est pas qu’un peintre qui écrit : l’expression, naturellement « littéraire », quoique spontanée, souvent familière (il multiplie les genevois « c’est bonnard ! »), est à la fois élégante et très précise, originale, consciente d’elle-même aussi : « Ce grand voyage sera un peu comme un roman passionnant dont le début est difficile. Chaque page tournée, chaque jour passé m’engage un peu plus dans l’action. Persévérer. » Et plus il écrira, meilleur écrivain il se révélera au fil des mois, avec des pages d’anthologie évidemment en « prise directe » sur les péripéties du « grand voyage ».
    medium_VernetE.JPGDe ce grand voyage, on connaît le récit quintessencié que représente L’usage du monde de Nicolas Bouvier, devenu le « livre culte » de beaucoup de voyageurs contemporains. A cet ouvrage combien stylisé, décanté à travers les années et travaillé, tenu et contenu, les lettres de Thierry Vernet apportent aujourd’hui comme un double radieux et profus ; bien plus qu’un « témoignage » qui resterait en somme secondaire : un complément d’une incomparable générosité de couleurs et de saveurs.
    Cela étant, on n’aura pas le mauvais goût d’opposer ce corpus monumental (qui eût d’ailleurs gagné à être élagué) au « classique » de Bouvier, n’était-ce que par respect de la belle amitié constamment réaffirmée des deux compères. Chaque livre est unique, et celui de Thierry Vernet fait figure de révélation. Bonheur de lecture !

    Thierry Vernet. Peindre, écrire chemin faisant. Illustré de nombreux dessins. Précédé du texte d’une conférence de Nicolas Bouvier prononcée à Tabriz au vernissage d’une exposition de son ami, sous le titre Voyager en peignant. L’Age d’Homme, 708p.

  • Le rêveur éveillé


    Thierry Vernet, peintre

    medium_Vernet40.JPGLe bouquet diurne. Huile sur toile, 65x54cm, 1990.

    C’est un nouveau bonheur, après la découverte de la correspondance étincelante de Thierry Vernet, que de se replonger, par le truchement d’un beau texte dense et limpide du poète et historien d’art Jan Laurens Siesling, et un large aperçu des peintures de l’artiste, fort bien reproduites, dans l’espèce de rêve éveillé, et souvent enchanté, de ce peintre si original et si injustement méconnu. Le mérite de Jan Laurens Siesling et d’y introduire sans verbiage, avec modestie et délicatesse, la bonne distance de l'oeil extérieur, la ferveur mais aussi la compécente, en resituant pourtant avec précision l’artiste genevois établi à Paris, de sa formation peu académique à son grand voyage avec Nicolas Bouvier, avant une vie entière consacrée, aux côtés de Floristella Stephani, artiste elle aussi, à la seule peinture. Défendu par quelques galeristes, et surtout, les vingt dernières années de sa vie, par le couple de Plexus, à Chexbres (Vaud, Suisse), Barbara et Richard Aeschlimann, qui ont recueilli l’œuvre, Thierry Vernet aura vécu comme un franciscain, sans jamais en concevoir d’aigreur. Les dernières peintures qu’il eut encore la force de brosser, au stade final du cancer, n’expriment d’ailleurs qu’une sorte de psaume de reconnaissance, avec ce voile de mélancolie rêveuse qui flotte cependant sur toute l’œuvre. Au commentaire souvent éclairant de jan laurens Siesling, je reviendrai sous peu. Dans l’immédiat, cependant, ce sont les toiles de Thierry Vernet qui parleront ici, dont je m’impatiente de partager plus amplement la passion…

    Jan Laurens Siesling. Thierry Vernet, peintre. Avant-propos de RichardAeschlimann. Plexus/Editions d’art Somogy, 145p.

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    Jardin nocturne à Savona. Huile sur toile, 59x65cm, 1987.

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  • Cet étrange sourire

     
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    Les choses vous attendaient là,
    au retour du sommeil,
    qui veillaient peut-être sur vous
    vous dites-vous en les voyant
    vous regarder les regardant...
     
    Votre corps est là qui s’éveille
    au seuil de ce dédale
    où il déambulait, pareil
    à l’enfant perdu dans les salles
    de ces palais muets
    où se délivrent les secrets
    de la pensée des choses...
     
    Le miroir accède aux reflets
    des nuées passant
    dans l’azur où les alizés
    des esprits inquiétants
    seront maintenant apaisés -
    le jour vous accueille, et les choses
    étranges vous sourient...
     
    Peinture : Thierry Vernet

  • Musée de poche

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    De l’aquarelle considérée comme un geste critique…

     

    L'idée m'est venue ce matin, face au brouillard et à la mauvaiseté du monde (les dernières infos) de me constituer un petit musée de poche en recopiant des tableaux aimés que j'aimerais bien emporter avec moi partout où je vais. J'ai commencé avec La route à midi de Thierry Vernet, évocation provençale de je ne sais où, dont je ne possède à vrai dire qu’une reproduction, mais fidèle. Pourtant une copie personnelle m’importe aussi, même de qualité inférieure, puisque c’est mon propre regard que j’ajoute à celui du peintre, à tel moment et en tel lieu. C’est un peu comme un commentaire de l’œuvre, dans la foulée, une note à la volée - et je me rappelle alors quatre autres copies commises, à la gouache, une d’après Rouault et trois d’après Czapski…

    Pour en revenir à La route à midi de Thierry Vernet, il va sans dire que l'original est bien plus beau, mais l'intention y est... Ensuite ça sera plus coton de copier du Rembrandt ou du Vermeer à l'aquarelle presto...

    Image : La route à midi, d'après Thierry Vernet.

     

     

  • Deux regards vivifiants

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    En mémoire de Thierry Vernet et de Floristella Stephani. Hommages à Genève.

    5 avril: dernier jour de l'exposition double au Manoir de Cologny. A voir absolument !

    De janvier à juin 2009, les œuvres des peintres Thierry Vernet (1927-1993) et Floristella Stephani (1930-2007) seront exposées en divers lieux genevois. A l’initiative d’Ilona Stephani et de quelques amis, ce substantiel hommage rend justice à la mémoire de deux créateurs plutôt méconnus de leur vivant, hors de quelques cercles romands et parisiens. Cette généreuse initiative déclinera quatre verbes liés à leur double démarche existentielle et artistique :


    PEINDRE : Tous deux avaient l’intime conviction d’être « nés peintres ». A l’écart des modes, dans leur petit logement de Belleville, à Paris, ils ont exploré toutes les ressources de leur art: dessin, gravure, aquarelle, huile, décors de théâtre ou de marionnettes.

    VOIR : Floristella Stephani et Thierry Vernet, ouverts au monde à l’enseigne de la même soif spirituelle, vivaient cette relation par le truchement d’un même regard poreux et englobant, libre, essentiel et incarné, aboutissant à une expression communicable. Leurs œuvres participent de deux visions originales et bien distinctes, que relie cependant un même sentiment poétique.

    VIVRE : Il leur a fallu composer avec les difficultés quotidiennes d’une vie entièrement dévolue à l’art, sans cesser des rester ouverts au monde, aux autres, aux livres et au voyage. Leurs travaux alimentaires (décors pour Thierry, restauration de toiles anciennes pour Floristella) a nourri leurs œuvres respectives.

    S’EXILER : Le déplacement leur a paru correspondre à la recherche de soi et d’un lieu ouvert à la création. Issus tous deux de bonnes familles genevoises, ils se sont installés à Paris en 1958. L’hommage entend répondre à la question du départ et de la recherche d’un lieu favorable à la création.

    AU PROGRAMME :

    vernet170001.JPGPINACOTHÈQUE DES EAUX-VIVES. Du mercredi 14 janvier au dimanche 15 février 2OO9

    www.pinacotheque.ch - 7, rue Montchoisy - 1207 Genève - Arcade au chemin Neuf Tél. + 41 22 735 66 75
    Mercredi et vendredi de 16h à 19h - Jeudi de 16h à 20h - Samedi de 11h à 18h
    De l'usage du dessin à «l'Usage du Monde»
    En constante observation des êtres et paysages rencontrés, Thierry Vernet s’est toujours senti «en voyage». Le récit de cette
    aventure donnera à la fois «L‘Usage du Monde», livre écrit par Nicolas Bouvier et illustré par Thierry Vernet et «Peindre,
    écrire, chemin faisant», lettres de Thierry Vernet à sa famille. Belgrade, Kaboul, Tabriz, Téhéran et jusqu’à Colombo, partout
    Thierry dessine, s’émerveille, apprend, travaille, prépare des expositions qui contribuent financièrement à les pousser plus
    loin. La Pinacothèque offre la possibilité exceptionnelle de voir pour la toute première fois les impressions des dessins à partir
    des plaques typographiques originales.
    - Nicolas Bouvier «L’Usage du Monde», dessins de Thierry Vernet, Payot 1992
    - Thierry Vernet «Peindre, écrire, chemin faisant» L’Age d’Homme, Genève 2006
    Vernissage le mercredi 14 janv. à 18h en présence de Mme Eliane Bouvier.
    Brunch de clôture à la pinacothèque: dimanche 15 février 2009 dès 11h


    LES CINÉMAS SCALA. Dimanche 15 février 2OO9, 19h
    www.les-scala.ch - Rue des Eaux Vives, 23 - 1207 Genève - Tél. + 41 22 736 04 22
    Le film ”22 Hospital Street”
    Après deux années de voyage, au début des années 1950, de Genève au sud de l’Inde, Nicolas Bouvier arrive aux portes d’une
    île ensorcelée : Ceylan. Il y rejoint son compagnon de voyage, le peintre Thierry Vernet et sa femme, Floristella. Ceux-ci
    retournent au pays et le laissent seul dans la petite ville côtière de Galle. Bouvier y sombrera dans une zone de silence, peuplée
    d’insectes et de magie noire, Le récit de cette déréliction sera un livre «surécrit», d’une prose splendide et malicieuse:
    «Le Poisson-Scorpion». Un film, réalisé par Christoph Kühn, nous en retrace les prémices et l’histoire.
    (Bernard De Backer, La Revue nouvelle, décembre 2006). Séances en présence de M. Christoph Kühn, cinéaste, réalisateur indépendant qui crée son propre bureau de production,«Titanicfilm » et de Mme Eliane Bouvier, compagne de Nicolas Bouvier, elle poursuit son oeuvre en la mettant
    généreusement à disposition de jeunes talents ou de nouveaux projets. Consciente de rester l'ultime mémoire de ce quatuor
    d'amis, elle nous en conte l'histoire.

    Flora05.JPGBIBLIOTHÈQUE DES EAUX-VIVES.Du mercredi 28 janvier au jeudi 3O avril 2OO9
    www.ville-ge.ch/bmu - Rue Sillem, 2 - 1207 Genève - Tél. + 41 22 786 93 00
    Mardi, jeudi vendredi 15h -19h - mercredi 10h-12h, 14h-18h - samedi 13h30-17h
    Peindre pour voir le monde
    ou «la raison du tableau est toujours la meilleure» Th.V.
    L'exposition, réalisée par Francis Renevey (l'Atelier Nomade), retrace le parcours de Floristella Stephani et Thierry Vernet au gré
    de leurs peintures, écrits, notes, rencontres et voyages. Elle propose une réflexion sur le métier de peintre avec ses joies et ses
    exigences. Cette exigence vis-à-vis de soi et des autres transparaît dans leurs oeuvres, souvent contemplatives,véhiculant à la fois
    la sérénité et l’effroi du monde.
    Vernissage le mercredi 28 janvier 2009, dès 18h.

    LA COMÉDIE DE GENÈVE. Du 5 au 21 février 2OO9.
    www.comedie.ch - Bd des Philosophes, 6 - 1205 Genève - Tél. + 41 22 320 50 01
    Du mardi au vendredi 10h30 à 18h30 - Samedi 13 février 15h à 18h - et les soirs de spectacles
    Peindre le vrai et le faux
    De 1949 à 1990 Thierry Vernet a conçu les décors de théâtre à la Comédie Française, à la Comédie, au Grand Théâtre et à l'Opéra
    de Chambre de Genève. De ces décors que reste-t-il, peu, car le spectacle fini, les décors sont brûlés. C'est donc à travers un jeu
    de croquis, de maquettes, d'aquarelles ou d'accessoires que nous glanerons les éléments qui nous ont fait rêver. Ils démontrent
    l'habileté d'un peintre habitué à se consacrer à la recherche du vrai mais qui se joue ici du trompe-l’oeil et de l'éphémère.
    Vernissage le jeudi 5 février 2009 à 18h, spectacle de marionnettes d’Alain et Blaise Recoing à 19h, entrée libre.
    Punch et Judy: spectacle de marionnettes
    Alain Recoing fut à l'origine du deuxième voyage, en Orient, de Thierry Vernet. Ensemble ils ont participé à un échange de
    créations entre marionnettistes indonésiens et parisiens. Cette unique représentation de «Punch et Judy» revisite, avec des
    marionnettes à gaines, ce canevas conçu dans la plus pure tradition anglaise. «Tout, ici, est soi-même et autre chose, d'où la
    distance marionnettique, ce détachement, ce faire-semblant-de-telle-façon-que-ça-se-voit qui confère à cet art son étonnant
    pouvoir poétique.» Th.V Un beau moment permettant de retrouver le castelet créé par Thierry Vernet.

    Vernet34.jpgLIBRAIRIE LE VENT DES ROUTES. Du samedi 28 mars au mercredi 22 avril 2OO9
    www.vdr.ch - Rue des Bains 50 - 1205 Genève - Tél. + 41 22 800 33 81
    Du lundi au vendredi de 9h à 18h30 - samedi 9h à 17h
    Le visage des peintres de ce monde
    Cette librairie de voyage s’inspire du souffle à la fois littéraire et itinérant de l’écrivain genevois Nicolas Bouvier. Il était naturel
    que le café-librairie devienne l’escale de ce voyage artistique autour de l’oeuvre de Thierry Vernet et Floristella Stephani.
    Seront exposées des photos prises par leurs amis, Nicolas Bouvier, Jean Mohr ou Jean Bouvier, le peintre.
    Vernissage le samedi 28 mars 2009 dès 10h
    Mercredi 22 avril dévernissage dès 17h30 en présence de M. François Laut, auteur de «l'oeil qui écrit» biographie
    de Nicolas Bouvier et de Mme Eliane Bouvier, suivi d'une séance de signature.

    THÉÂTRE À LA BIBLIOTHEQUE DES EAUX-VIVES. Le mardi 31 mars à 2Oh3O
    Les Anges du Levant
    Textes: Thierry et Floristella Vernet, adaptation: Jérôme Richer
    Avec une comédienne et un musicien
    Lier lettres de Thierry et journal intime de Floristella, dresser le tableau de deux fameux observateurs du monde, créer des
    ponts entre l’Europe et l’Asie, faire un voyage à travers la pensée de deux amoureux de la vie, voilà l’invitation à laquelle vous
    êtes conviés. Un voyage qui se fera en musique, entrée libre.

    Vernet35.jpgMANOIR DE COLOGNY. Du mardi 24 mars au dimanche 5 avril 2OO9
    4 place du Manoir 1224 Cologny/Genève
    Horaires d'ouverture du lundi au vendredi 15h-19h, samedi et dimanche de 15h à 18h. Visites sur demande 079 337 60 14
    La peinture du monde
    Exposition de peintures issues de collections privées genevoises.
    Thierry Vernet et Floristella Stephani se marient à Ceylan et se fixent à Paris pour vivre leur passion commune: la peinture.
    Installés sur les hauteurs de Belleville à Paris depuis 1958, ils explorent les joies uniques et les aléas d’une création avec la
    rigueur calviniste de suisses exilés. S’interdisant tout jugement sur l’oeuvre de l’autre, ils s’engagent dans une création parallèle
    affrontant ensemble avec patience les difficultés du quotidien. Des amis les encouragent et acquièrent leurs tableaux.
    Cette exposition est donc un double hommage: à leurs oeuvres et à ceux qui les ont aimées.
    On y découvre notamment les peintures de Thierry Vernet de 1954, en Afghanistan, rarement exposées, et laVernet33.jpg magnifique évocation de Café Florian, à Venise, de merveilleuses aquarelles et des dessins de Vernet et de son épouse qui se rejoignent daans leurs épures stylisées.


    TEMPLE DE SAINT GERVAIS. Du lundi 6 au samedi 11 avril 2OO9
    www.espace-saint-gervais-ch - Rue du Temple et Rue des Terreaux-du-Temple - Tél. + 41 22 345 23 11
    Du lundi au vendredi de 8h30 à 11h30
    Le chemin de croix de Floristella Stephani
    et le via crucis de Franz Liszt
    Protestante de naissance, Floristella Stephani a choisi de devenir catholique. Une de ses oeuvres majeures qui explicite ce
    parcours spirituel est son «Chemin de Croix». Présenté au temple de Saint-Gervais, il sera accompagné de ses textes lus par
    la comédienne Dominique Reymond, nièce de Thierry Vernet, et du Via Crucis de Franz Liszt interprété par: Diego Innocenzi
    et direction, Marie-Camille Vaquie, soprano, Cendrine Carmelt, alto, Ives Josevski, ténor, Florent Blaser, basse.
    Vernissage le lundi 6 avril dès 19h30, concert à 20h
    Concert-lecture lors du vernissage de l’exposition du «Chemin de Croix» de Floristella Stephani.

    Vernet10.JPGBIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE. Mardi 21 avril 2OO9
    http://www.ville-ge.ch/bge/actualites/espace-ami-lullin.htm - La salle de conférence Espace Ami Lullin, au rez-de-chaussée.
    Horaire dès 18h15, de 18h30 à 20h, conférences.
    La Bibliothèque de Genève accueille en présence de Madame Barbara Roth, conservateur du Département des manuscrits,
    les conférences d'Alexandra Loumpet-Galitzine et de François Laut.
    L’exil de la création, la création de l’exil
    En choisissant librement parmi les oeuvres de l'exposition, Alexandra Loumpet-Galitzine docteur de l’Université de Paris I,
    interroge le processus de création comme une mise en exil volontaire du monde et de soi.
    L'oeil de l'Autre!
    François Laut, auteur de «L'oeil qui écrit», portrait littéraire de Nicolas Bouvier Ed. Payot, 2008, une biographie saluée par
    la critique, nourrie de leurs échanges, de l’accès qui lui a été accordé aux archives Bouvier et notamment à sa correspondance
    avec le peintre Thierry Vernet.

    COLLÈGE & ÉCOLE DE COMMERCE NICOLAS BOUVIER. Du jeudi 19 mars au vendredi 3O avril 2OO9
    60, rue de Saint-Jean - 1203 Genève - Tél. +41 22 546 22 00
    Du lundi à vendredi de 7h30 à 18h30

    ECOLE DE CULTURE GÉNÉRALE HENRY-DUNANT. Du jeudi 7 mai au vendredi 3O juin 2OO9
    20, av. Edmond-Vaucher - 1203 Genève - Tél. +41 22 388 59 00
    Du lundi à vendredi de 7h30 à 18h30
    avec la participation du
    COLLEGE POUR ADULTES ALICE-RIVAZ (COPAD)
    Un nouvel usage du monde
    http://wwwedu.ge.ch/po/bouvier/
    Exposition de travaux d’élèves réalisés durant les cours d’arts visuels autour de l'oeuvre de Floristella Stephani et Thierry Vernet.
    Deux équipes d’enseignants en arts visuels s’associent dans ce projet pédagogique. Les élèves assisteront aux divers événements
    organisés lors de cet hommage aux deux peintres. La découverte de l’univers de ces créateurs et la confrontation avec
    leurs oeuvres, leur démarche artistique, leur regard sur le monde, constituera pour chacun des étudiants le point de départ
    d’une recherche personnelle, puis d’un travail de réinterprétation et de création en dessin, peinture ou photo.
    L’exposition présentera au public un florilège de ces réalisations.
    Vernissage à CEC Nicolas Bouvier le jeudi 19 mars 2009 dès 17h, à l'espace d'exposition.
    Vernissage à ECG Henry-Dunant le jeudi 7 mai 2009 à 17h, dans le hall principal.

    Flora06.JPGCRÉATIONS EN 2O1O
    Pièce de théâtre > Sur les textes de Thierry Vernet et Floristella Stephani, un travail de Jérôme Richer, metteur en scène
    et comédien.
    Publication > Rédigée par Alexandra Loumpet-Galitzine, anthropologue et écrivain, une publication articulée à la fois
    autour des thématiques de l’exposition: une saison autour de l’oeuvre de Floristella Stephani et Thierry Vernet et d’extraits
    choisis de leurs oeuvres.
    Film > Une palette à quatre mains, création d'Hélène Faucherre, réalisatrice à la TSR
    Âmes généreuses, Floristella Stephani et Thierry Venet ont transmis leur vision artistique à travers leurs oeuvres et leurs
    écrits, mais ils ont aussi laissé des traces dans les coeurs de ceux et celles qui les ont côtoyés.

    SOUSCRIPTION 2OO9* 2O1O**
    IMPRESSION DES DESSINS DE L'USAGE DU MONDE.
    5O tirages typographiques numérotés dont 1O folios sur papier cuve
    AFFICHE* > Une saison avec Floristella Stephani et Thierry Vernet
    AFFICHE DES PANNEAUX > de Francis Renevey Atelier Nomade
    MAGASINE VOYAGER* > les cahiers de l'Atelier Nomade N°5, Un voyage d'artiste, numéro spécial Vernet
    DVD** > Une palette à quatre mains du film d'Hélène Faucherre, Réalisatrice à la TSR
    PUBLICATION** > D'Alexandra Loumpet-Galitzine, anthropologue et écrivain.
    ASSOCIATION «A LA DÉCOUVERTE DE L'OEUVRE DES PEINTRES
    FLORISTELLA STEPHANI ET THIERRY VERNET»: 4DOP:FS_TV
    Cotisation annuelle ordinaire Frs 30.- / cotisation annuelle de soutien Frs 200.- / dons
    Compte postfinance No: 10-712838-7 / Pour les paiements en provenance de l’étranger IBAN CH87 0900 0000 1071 28387


    Toutes les informations sur le site www.thierry-vernet.org


    Images: grand format: Thierry Vernet, Vufflens-la-Ville; Java, Café Florian; Floristella Stephani, Moustapha.
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  • La beauté sur la terre

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    Carnets de Thierry Vernet


    Thierry Vernet s’est éteint au soir du 1er octobre 1993, à l’âge de 66 ans, des suites d’un cancer. Genevois d’origine, le peintre avait vécu à Belleville depuis 1958 avec Floristella Stephani, son épouse, artiste peintre elle aussi. Thierry Vernet avait été le compagnon de route de Nicolas Bouvier durant le long périple que celui-ci évoque dans L’Usage du monde, précisément illustré par Vernet.
    A part son œuvre peint, considérable, Thierry Vernet a laissé des carnets, tenus entre sa trente-troisième année et les derniers jours de sa vie, qui constituent une somme de notations souvent pénétrantes sur l’art et la vie.


    « La beauté est ce qui abolit le temps »

    « Je ne sais pas qui je suis, mais mes tableaux, eux, le savent ».

    « Mille distractions nous sollicitent. La radio, le bruit, le cinéma, les journaux Autrefois on devait être face à face avec son démon, on devait patiemment élucider son mystère. Maintenant, vite, entre deux distractions, on doit tout dire, avec brio de chic, faire son œuvre en coup de vent. A moins… à moins de résister aux distractions ».

    « L’Art commence quand, après une longue et patiente partie d’échecs, d’un coup de genou sous la table on fait tout valser ».


    « D’heureux malgré le doute, arriver à être heureux à cause du doute ».

    « Faire la planche sur le fleuve du Temps ».

    « C’est dans les larmes qu’on parvient à la géométrie ».

    « Aux gens normaux le miracle est interdit ».

    « Il suffit de voir qui réussit, et auprès de qui, pour être rassuré et encouragé ».

    « Nous vivons, en ce temps, sous la théocratie de l’argent ; et malgré soi on sacrifie de façon permanente à ce culte hideux ».

    « D’ailleurs c’est bien simple : ou bien les hommes sont ouverts, autrement dit infinis, ou bien ils sont fermés, finis, et dans ce cas on peut les empiler. Ou en faire n’importe quoi ».

    « Nous qui avons une patte restée coincée dans le tiroir de l’adolescence, nous en garderons toujours, sous nos rides, quelque chose ».

    « D’abord la sensation est souveraine, ensuite le tableau est souverain. Entre ces deux souveraientés, il y a la révolution ».

    « Dieu est éternel, le diable est sempiternel ».

    « En matière de peinture, la lumière n'a rien à voir avec l’éclairage ».

    « Quand son corps devient infréquentable, il convient de le servir poliment, juste ce qu’il demande, et de penser à autre chose, avec enthousiasme ».

    « Les visages : des ampoules électriques plus ou moins allumées ».

    « Les gens de la rue sont des bouteilles, des quilles, les automobiles des savons échappées de mains maladroites ; Dieu que le monde est beau ! »

    « Monsieur Pomarède, mon voisin retraité de la rue des Cascades, me voyant porter un châssis, me dit : « Vous faites de la peinture, c’est bien, ça occupe ! »

    « Une forme doit avoir les yeux ouverts et le cul fermé ».

    « Je me bats, et il est normal qu’à la guerre on prenne des coups ».

    « Ajouter ne serait-ce que sur 10cm2 un peu de beauté au monde, ce qui diminuera d’autant et probablement bien plus de sa laideur ».

    « Si l’on tue en soi-même l’espérance du Paradis, on n’hérite que de l’Enfer. C’est, me semble-t-il, le choix de notre civilisation ».

    « La foi en le vraisemblable ne nous sauvera pas de grand-chose ».

    « Votre société s’ingénie à rendre le désespoir attrayant ».



    « La mort, ma mort, je veux la faire chier un max à attendre devant ma porte, à piétiner le paillasson. Mais quand il sera manifeste que le temps est venu de la faire entrer, je lui offrirai le thé et la recevrai cordialement ».

    « Je suis un chiffon sale présentement dans la machine à laver. Lâche, hypocrite, flagorneur, luxurieux, cédant au moindre zéphyr de mes désirs et tentations diverses, comptant sur un sourire et mes acquiescements pour conquérir quelques cœurs utiles (et cela enfant déjà pour « m’en tirer » !). La machine à laver à de quoi faire. Mieux vaut tard que jamais.

    Le 4 septembre 1993, et ce fut sa dernière inscription, Thierry Vernet notait enfin ceci : « Je peins ce que je crois avoir vu. 4/5 de mon élan m’attache à notre vie et à tout ce qu’elle nous donne de merveilleux, mais 1/5 m’attire vers la vie éternelle d’où tant de bras se tendent pour m’accueillir ».

    1040773836.JPG
    492232422.JPG1320679572.JPGÀ lire aussi: Correspondance des routes croisées, de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet (1946-1964), fabuleux "roman" dialogué d'une amitié.

  • Un autre Paris

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    Pour un plat de lentilles.- J'étais censé me montrer un peu social ce soir à Paris, n'était-ce qu'à participer une heure durant à une festivité littéraire en un Centre culturel officiel de l'espèce que j'exècre viscéralement depuis et pour toujours, et pourtant non: mes ailes n'ont pas voulu m'y porter, mes rotules rouillées ont gémi et mon âme s'est rebiffée, de sorte que je me suis fait porter pâle en termes évasifs pour mieux repartir de par les rues et les quais et les places et les jardins et les cours et les galeries, de librairie en librairie et d'une fontaine à l'autre, revenant à la rue de la Félicité de mes jeunes années ou les cafés algériens sont devenus chinois, traversant le parc Monceau plein d'enfants à gouvernantes stylées, redescendant vers la Seine puis la rue de Seine en suivant imaginairement en fin de journée la claudiquante silhouette de Paul Léautaud aux cabas remplis de pain sec et de tripes variées pour ses vingt chiens et ses trente chats, jusqu'à cette brasserie jouxtant le jardin du Luxembourg où j'ai fait station et me suis commandé un petit salé au lentilles qu'arroserait bien un pichet de Brouilly - je me rappelai le "haricot bien gras de Molière", et bien assis, loin de nos sociables gendelettres du Centre culturel fameux, je repris la lecture des Divertissements de Marcel Jouhandeau consacrés notamment au plus fraternel des grand écrivains de France non pédante, à savoir Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

    L'oeil du peintre. - Le même Jouhandeau note, à propos de La Bruyère, ceci qui m'a rappelé, en 1974, la découverte du peintre polonais Josef Czapski à la Galerie Lambert, et ce choc précisément décrit: "Quand on a visité une exposition de peinture et que le peintre, dont on vient d'admirer les toiles, a une grande personnalité disons une optique à lui, une vision des choses et des gens qui lui est propre, longtemps (c'est plus fort que soi) on en reste imbu, au point que tout ce qu'on voit se déforme, se conforme à la mode, disons, se modèle sur ce qu'il verrait à notre place".
    Or c'est, très exactement, ce que j'aurais ressenti après avoir vu cette première exposition du peintre polonais aux cadrages tellement inhabituels et aux couleurs si véhémentes nous révélant comme une nouvelle image de la réalité la plus ordinaire, à commencer par celle des rues et des quais de métro de Paris.

    Floristella7.jpgLe réel transfiguré.- Depuis lors nos regards se sont multipliés, puisque ma bonne amie partage ma passion pour Czapski et son ami Thierry Vernet: les toiles que nous possédons de ces deux-là nous font mieux voir par leurs regards et, chaque fois que nous sommes à Paris ou en Provence, en Italie ou dans nos régions lémaniques où tous deux ont passé, nous voyons des Czapski et des Vernet, sans compter les Stephani que nous a laissés la compagne de Thierry.
    Enfin voici que, revenant ce soir de la Brasserie du Luxembourg, je croise un passant solitaire à longue pèlerine rouge et lourde écharpe vert électrique dans le plus pur style Czapski, avant de découvrir une brumeuse enfilade de rues nocturnes dont l'ombre bleu sombre est comme mouchetée de flammes oranges, tout à fait dans la manière de Vernet - et je me promets dans la foulée de me pointer demain au Jardin des plantes, où je sais que m'attend une vision de Floristella...

    Peintures: Thierry Vernet, Josef Czapski, Floristella Stephani. Portrait de Paul Léautaud.

  • Voici des fleurs

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    En mémoire de Thierry Vernet
     
    La beauté de l’objet
    soit la seule mesure de la chose.
    On ne lance rien au hasard.
    À l’établi l’orfèvre
    est concentré sur son art
    tout humble d’artisan
    qui cisèle des roses -
    ou cet objet secret
    révélé par son autre part.
     
    On ne sait rien d’avance
    de l’eau sur laquelle on ira
    là-bas dans le miroir
    d’un ciel à jamais incertain.
     
    L’objet se révèle à mesure
    qu’on oublie d’y penser.
    Le chant s’élève et dure
    le temps de ne pas oublier.
     
    (La Désirade, ce 26 mars 2018)

  • Roses de l'exil

     
    328294197_5857263017725062_599189530217033595_n.jpg
     
    La maison s’était refermée
    et l’ombre sans un mot
    avait ravalé tout sanglot,
    refoulant durement sa douceur
    et ne leur laissant là-bas
    que ces douleurs d’un temps
    que le temps fait passer,
    comme la trace de pas effacés...
     
    Mais tant d’années et de lieux plus tard,
    seuls dans la nuit des villes
    Ils restent à sourire
    à ces îles et ces gares
    qu’ils ont trouvées et perdues
    De bars en avenues
    au fil de tant d’autres exils ...
     
    Et parfois, le parfum des roses
    affleurant leurs nuits solitaires,
    ils revoient sous le lierre
    la maison fermée, éperdue
    de regrets revenus,
    par leurs souvenirs étoilés,
    dans la douce lumière des choses...
     
    Aquarelle: Thierry Vernet
     

  • L'obstacle en transparence

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    Une invisible main dirige
    les être consentants,
    cela tient parfois du vertige,
    parfois c’est un chemin
    qui serpente a l’écart du Monde...
     
    On ne sait pas trop d’où ça vient
    ni comment finira
    le jour levé de ce matin
    pour s’élever encore
    ou pour se perdre en embarras...
     
    Il n’y a pas d’autre mystère
    que ce monde donné
    de trous noir et de tendres airs
    qui se murmurent au long des soirs,
    parfois en mélodies,
    d’autres fois à la peine,
    jusques au bord du désespoir;
    et le chemin remonte:
    d’autres matins et d’autres ailes
    lèvent le poids du monde
    dans la lumière belle ...
     
    Peinture: Thierry Vernet.

  • Lumière du présent

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    « Tu comprends à présent
    que la lumière venait de là»...
     
    (Jean-Pierre Lemaire, Les marges du jour)
     
    On ne marche pas sur les œufs:
    on y danse, les yeux
    fermés, le cœur à la romance
    et fredonnant des airs
    légers comme les jeux appris
    dans cette ancienne vie
    que restera toujours l’enfance...
    On ne marchera pas au pas:
    on dansera plutôt
    en bandes déliées
    au gré de flûtes enchantées,
    le long des avenues
    ou par les hauts où des oiseaux
    voltigent en nuées
    ou relancent les envolées
    de nos élans adolescents...
    On passe le temps à jouer:
    on parle quand on dort,
    on rappelle à souper nos morts
    là-bas, les yeux ouverts
    sur les quais des ports éphémères
    où le temps les a déposés
    sans effort apparent,
    ni mesurer jamais ses heures
    à jouer dans les vents
    aux douces senteurs éventées
    des roses du présent ...
     
    Peinture: Thierry Vernet.

  • Couleurs de Bali

     
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    «Arrivée de toujours qui t’en iras partout». (Rimbaud, Illuminations)
     
     
    Repartant vers les affections
    de pays soleilleux
    aux grandes lagunes fertiles
    nous nous sentions portés,
    en quelque sorte glorieux…
     
    Nos fiançailles à Bali
    sont la réponse des couleurs
    aux lugubres discours
    des violents voleurs et violeurs
    de la domination,
    quand l’inspiration nous soumet
    aux algues et aux dauphins…
     
    Votre bon naturel vous sauve,
    enfants de tous les âges
    nourris aux fruits de la passion:
    vous avez le courage
    de n’écouter en vous les voix
    que de ces déraisons
    qui font qu’a l’ombre la ressource
    pousse ses floraisons…
     
    Peinture: Thierry Vernet, Couleurs de Java.

  • Le Temps de la peinture

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    C’est en repassant par les bases physiques de la figuration  qu’on pourra retrouver, je crois, la liberté d’une peinture-peinture dépassant la tautologie réaliste. Thierry Vernet y est parvenu parfois, comme dans la toile bleue qu’il a brossée après sa visite à notre Impasse des Philosophes, en 1986, évoquant le paysage qui se découvre de la route de Villars Sainte-Croix, côté Jura, mais le transit du réalisme à l’abstraction est particulièrement lisible et visible, par étapes, dans l’évolution de Ferdinand Hodler.

    Hodler77.jpgNous ne sommes plus dans cette continuité, les gonds de l’histoire de la peinture ont été arrachés, les notions d'avant-garde et de progrès sont des foutaises dépassées, mais chacun peut se reconstituer une histoire et une géographie artistiques à sa guise, à l’écart des discours convenus en la matière, en suivant le cours réel du Temps de la peinture dont la chronologie n’est qu’un aspect, souvent trompeur.

    DeStaël45.JPGDe là mon sentiment qu’un Simone Martini ou un Uccello, un Caravage ou un Signorelli sont nos contemporains au même titre qu’un Bacon, un Morandi  ou un Nicolas de Staël…

    Images: Thierry Vernet, La route à Vufflens-la-Ville, 1987; Ferdinand Hodler, Lever de soleil sur le lac Léman; Nicolas de Staël, de la série Agrigente.

  • Aux couleurs du monde

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    Le regard de Thierry Vernet
    Regardez ce qu’il y a là : regardez-le de tous vos yeux, imprégnez-en vos cinq sens et votre âme suressentielle, car ce qui apparaît à l’instant est unique.
    C’était un soir en Provence. Le jour n’en finissait pas de finir. L’on se croyait hors du temps, comme à l’abri de tout. Or de ce moment privilégié, non de béatitude passive mais d’adhésion généreuse au monde alentour, vous vous rappelez à présent la douce musique avec nostalgie en retrouvant ce ciel d’ambre velouté sur les tuiles chaudes et les arbres encore embrumés par la touffeur de fin de journée; et cette lumière orange vous remémore, aussi, vos interminables soirées en enfance, quand la nuit paraissait se retenir d’interrompre vos jeux.

    Ou c’était une nuit dans le jardin de cette villa. A un moment donné, après les réjouissances de l’amitié, vous vous étiez retrouvé seul parmi quelques chaises dispersées sur la pelouse, et là-bas, au bord de la terre, le ciel d’avant l’aube déversait son immensité vertigineuse. Ou encore c’était, émergés d’une brume de limbes, ces murs de Belleville marquant, de leurs bornes friables, le passage d’un monde ou d’un temps à l’autre. Ou c’était dans un bistrot le matin, ce couple au double visage confondu de fresque égyptienne. Ou bien en rase campagne, dans le silence immatériel de midi pile. Ou dans le métro. En forêt. Sur la grève d’Ostende. Ou dans cette chambre de l’Hôtel Universel dont le miroir a tout vu de l’homme. Enfin partout où le mystère affleure dans ces lumières concentrant à tout coup la même présence tissée de mélancolie et de tendresse, d’attente et de reconnaissance.
    Plus qu’un peintre de la lumière, au sens de la contemplation seule, Thierry Vernet me paraît un poète du dévoilement dont les visions ponctuent la démarche tantôt somnambulique et tantôt fulgurante. On est là comme dans un grand rêve d’une seule coulée, où les images et les figures du monde présumé réel se trouvent ressaisies et transformées avec ce surcroît d’être qui signale toute alchimie poétique, par le truchement de la seule peinture.
    Car cela prime à l’évidence chez Thierry Vernet : ses visions, les événements qui le sollicitent, l’essentiel de ses Riches Heures tiennent d’abord à la peinture. Comme le poème naît des mots surgis de nos profondeurs, la vision de Thierry Vernet semble poussée toute faite, jaillie avec ses couleurs. Ce n’est pas dire que la toile se fasse toute seule, mais souligner un acte qui suppose à la fois une longue patience et une aptitude féline au bond.

    medium_Vernet20.JPGRegardez les couleurs du monde : il y a de quoi s’émerveiller à n’en plus finir, et c’est souvent à n’y pas croire. D’ailleurs c’est une constante chez ce peintre de l’étonnement profond : à chaque fois on est surpris, et jusque dans ses visions les plus sereines apparemment. C’est ainsi que de vivre, depuis des années, avec telle toile de Thierry Vernet que j’ai reconnue et aimée au premier regard, m’aura fait éprouver, à chaque fois que je tournais vers elle mon regard, comme à une fenêtre à laquelle on ne se lasserait pas de s’accouder, ce même sentiment mêlé de saisissement et de gratitude devant la beauté des choses. Cela s’intitule La plage le soir, c’est un bord de mer, avec un premier plan de sable ocre doux, un plan d’eau qui entremêle du blanc à nuances vert céladon et toutes sortes de bleus aérés ou délayés, une pinède dont l’olivâtre virant au noir palpite de mystère comme chez Böcklin, enfin un ciel d’un seul gris tendre où flotte un grand poisson-nuage. Mais mes pauvres mots ne disent rien de l’essentiel qui ne peut que se voir, tenant à l’événement de formes et de couleurs et de tons et de rapports de tons et de tensions et d’accords et de touches tour à tour si véhéments et si délicats, dont l’ensemble tisse l’atmosphère de songerie métaphysique de la toile.


    Telle est la part contemplative de Thierry Vernet, son côté franciscain en sandales, modeste et ravi. Mais aussi, l’artiste fulgure. Il y a chez lui de l’incendiaire formel et du pyrotechnicien à polychromies effrénées. Est-ce bien le même peintre qui, dans certaines natures mortes ou paysages, touche au dépouillement des silencieux à la Morandi, tandis que, revenant de Java, le coloriste exulte dans la profusion ?
    Oui sans doute : il n’y a qu’un peintre chez lui, au sens où sa matière, en se renouvelant sans cesse, reste toujours pétrie de la même pâte fluide à lueurs de sous-bois ou à éclairs, onctueuse ou brûlante, soumise au même geste impérieux, rapide et léger comme un coup d’aile, précipitant, à des vitesses opposées, la même vision.
    Rares sont les peintres, aujourd’hui, qui nous apprennent encore à mieux voir. Or Thierry Vernet me semble de ceux-là…

     

     

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  • Le regard d’une contemplative

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    En mémoire de Floristella Stephani
    C’est avec mélancolie, ce mardi soir 26 juin, que j’ai retrouvé les tableaux de Floristella après que, sur mon répondeur, j’eus relevé avec retard le message de sa nièce Ilona, m’annonçant sa mort récente, tout en douceur me précisait-on. Il y avait bien des années que nous ne nous étions plus vus ni écrit, et pourtant la peinture de Floristella reste aussi présente, autour de nous, que celle de Thierry Vernet son compagnon.Flora010.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    C’est une vision magique des animaux du jardin des plantes, que l’art du glacis de cette restauratrice de toiles anciennes a parés d’une sorte d’aura de matière transparente. Flora02.JPGOu c’est le grand chat Moustapha dont elle nous a fait cadeau pour notre mariage. C’est un corbeau qu’elle a peint pour notre fille J. un peu jalouse que notre fille S. eut reçu un chat aquarellé par Thierry d’un seul trait de pinceau. FLORA09.jpgC’est aussi, qui garde notre sommeil, ce Christ solitaire au Golgotha sous un ciel de sang. Ce sont deux baigneuses proustiennes sur la plage de Trouville, évoquant une miniature de Manet. C’est ce soleil d’hiver sur les sables d’Ostende.

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    Enfin c’est ce champ de coquelicots d’une grâce infinie dont j’ai fait la couverture de mon dernier livre. A cela s’ajoutant le souvenir de toutes les toiles découvertes à travers les années, de cette artiste pourtant lente et rare, qui mettait des mois à fixer sa vision, à l’opposé des fulgurances de son compagnon.
    Floristella peignait hors de l'actualité passagère et des modes, mais on pourrait dire que sa peinture, comme celle des maîtres flamands, s’inscrit au cœur du temps dont elle saisissait un instant d’éternité dans la figuration la plus humble de ce qu'elle contemplait. De la même façon, du vivant de Thierry Vernet, tous les instants passés avec elle relevaient d’une forme de présence intemporelle, simple et joyeuse. Lui et elle disparus, ils restent vivants, par leurs oeuvres et dans nos coeurs reconnaissants.Flora08.JPG

    Les tableaux de Floristalla Stephani ont été reproduits, ici, par les soins de Philip Seelen.

    Un choix des oeuvres de Thierry Vernet et de Floristella Stephani est toujours visible à la Maison des Arts de Chexbres (Suisse, Vaud), aux bons soins de Barbara et Richard Aeschlimann. Flora03.JPG

     

  • Un autre Paris

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    Notes en chemin (51)

    Pour un plat de lentilles.- J'étais censé me montrer un peu social ce soir à Paris, n'était-ce qu'à participer une heure durant à une festivité littéraire en un Centre culturel officiel de l'espèce que j'exècre viscéralement depuis et pour toujours, et pourtant non: mes ailes n'ont pas voulu m'y porter, mes rotules rouillées ont gémi et mon âme s'est rebiffée, de sorte que je me suis fait porter pâle en termes évasifs pour mieux repartir de par les rues et les quais et les places et les jardins et les cours et les galeries, de librairie en librairie et d'une fontaine à l'autre, revenant à la rue de la Félicité de mes jeunes années ou les cafés algériens sont devenus chinois, traversant le parc Monceau plein d'enfants à gouvernantes stylées, redescendant vers la Seine puis la rue de Seine en suivant imaginairement en fin de journée la claudiquante silhouette de Paul Léautaud aux cabas remplis de pain sec et de tripes variées pour ses vingt chiens et ses trente chats, jusqu'à cette brasserie jouxtant le jardin du Luxembourg où j'ai fait station et me suis commandé un petit salé au lentilles qu'arroserait bien un pichet de Brouilly - je me rappelai le "haricot bien gras de Molière", et bien assis, loin de nos sociables gendelettres du Centre culturel fameux, je repris la lecture des Divertissements de Marcel Jouhandeau consacrés notamment au plus fraternel des grand écrivains de France non pédante, à savoir Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

    Czapski01.jpgL'oeil du peintre. - Le même Jouhandeau note, à propos de La Bruyère, ceci qui m'a rappelé, en 1974, la découverte du peintre polonais Josef Czapski à la Galerie Lambert, et ce choc précisément décrit: "Quand on a visité une exposition de peinture et que le peintre, dont on vient d'admirer les toiles, a une grande personnalité disons une optique à lui, une vision des choses et des gens qui lui est propre, longtemps (c'est plus fort que soi) on en reste imbu, au point que tout ce qu'on voit se déforme, se conforme à la mode, disons, se modèle sur ce qu'il verrait à notre place". Or c'est, très exactement, ce que j'aurais ressenti après avoir vu cette première exposition du peintre polonais aux cadrages tellement inhabituels et aux couleurs si véhémentes nous révélant comme une nouvelle image de la réalité la plus ordinaire, à commencer par celle des rues et des quais de métro de Paris.

    Vernet20.JPGLe réel transfiguré.- Depuis lors nos regards se sont multipliés, puisque ma bonne amie partage ma passion pour Czapski et son ami Thierry Vernet: les toiles que nous possédons de ces deux-là nous font mieux voir par leurs regards et, chaque fois que nous sommes à Paris ou en Provence, en Italie ou dans nos régions lémaniques où tous deux ont passé, nous voyons des Czapski et des Vernet, sans compter les Stephani que nous a laissés la compagne de Thierry. Enfin voici que, revenant ce soir de la Brasserie du Luxembourg, je croise un passant solitaire à longue pèlerine rouge et lourde écharpe vert électrique dans le plus pur style Czapski, avant de découvrir une brumeuse enfilade de rues nocturnes dont l'ombre bleu sombre est comme mouchetée de flammes oranges, tout à fait dans la manière de Vernet - et je me promets dans la foulée de me pointer demain au Jardin des plantes, où je sais que m'attend une vision de Floristella...
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  • Au Lamartine


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    Il ne faudrait pas se leurrer : l’inspiration,
    ce n’est que souffle d’un ventilateur,
    qui brasse un temps fané sur le comptoir
    où sont des verres taillés, un siphon bleu ;
    et l’air qu’il lisse agite des lauriers
    que ne recherche plus la main d’Alphonse,
    assis sur un rocher, dans la peinture.
    Il a, depuis, tout un val à son nom,
    sans compter Milly, si cher à son cœur
    - et pourtant, c’est ici qu’il aime à méditer,
    interpellant les buveurs de petits cafés,
    qui ne savent de lui que cette plume immense
    et trempée, sur le quai, dans l’encre du terreau,
    lance fichée devant la double page
    où les fleurs à venir signeront le printemps.

     

    Ce poème de Pierre-Alain Tâche est tiré de Roussan, paru aux éditions Empreintes.

    Thierry Vernet. La bouteille d'eau. Huile sur toile.

  • Le livre du monde


    Vernet55.jpgDans la foulée de L’Usage du monde, devenu livre « culte », la Correspondance des routes croisées de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet, son compagnon de route, a été très bien accueillie dans les librairies et les médias. Un grand périple existentiel de deux amis à la vie à la mort.

    Si vous aimez l’amitié, vous serez jaloux. Jaloux de voir deux compères complices s’envoyer des lettres où ils se traitent mutuellement de « vieux sapin» et de « bonne cloche », de « courtilière de mes deux » et de « bon vieux kütchük», entre cent autres affectueuses apostrophes amorçant des lettres merveilleuses de passion et de malice partagées, vivantes et intéressantes, qui s’ouvrent ici à tout un chacun.

    Avant même la parution du formidable roman d’amitié que constitue cette Correspondance des routes croisées, les noms de Montaigne et La Boétie ont été évoqués pour qualifier l’attachement du «vieux mouflon» et du « vieux sifflet», mais on pense aussi à Bouvard et Pécuchet ou, plus farceurs, à Quick et Flupke version Collège de Genève où les deux lascars, fils d’assez bonnes familles, se sont connus et reconnus d’emblée. Ceci pour le ton vif qui fait pétiller une substance autrement dense et sérieuse, en rapport avec les grandes espérances de chacun dans son domaine particulier : littérature et peinture. De fait, c’est à travers leur quête artistique respective que cette amitié se dégage de l’ordinaire. D’innombrables jeunes Helvètes, en 1945, étaient sans doute impatients de s’arracher à la grisaille du petit pays neutre, tant qu’au carcan de leurs familles. Mais Nicolas (né en 1929) et Thierry (né en 1927), dès le début de leur complicité, brûlent de prendre le large et non pour fuir seulement, mais pour faire quelque chose de leur liberté. Bien avant de larguer les amarres, on les sent ainsi curieux de tout, impatients de tout humer et palper, observateurs aussi vifs l’un que l’autres, lecteurs dévorants et se racontant leurs découvertes entre une virée dans la nature et une sauterie avec de fraîches jeunes filles. Leurs lettres se font alors journal de bord et roman truffé de personnages. D’emblée, aussi, et ce sera une constante, chacun se soucie des progrès de l’autre : «Où en sont tes écritures personnelles ?», demande ainsi Thierry à Nicolas, car « c’est, après tout, ce qui est important dans la vie »...

    Et bientôt le monde va s’ouvrir: Paris à Vernet, après un début de formation artistique, et la Laponie à Bouvier, que l’Université assomme et qui lance à sa «vieille couille» après avoir lu Bourlinguer de Cendrars : « Viendras-tu aux Indes avec moi ? ». De là découlant, en 1953, le grand voyage du duo en Topolino, par les Balkans et l’Afghanistan, jusqu’à Ceylan, qui fera l’objet du de L'Usage du monde.

    Un livre « total »
    Paru en 1964 après des tribulations détaillées en ces pages, le fameux livre de Bouvier a résulté d’une lente cristallisation dont nous découvrons, aujourd’hui, les multiples ramifications existentielles et épistolaires.

    Deux premiers recueils de lettres de Thierry Vernet à ses proches nous avaient déjà révélé son saisissant talent d’écrivain. Par ailleurs, en 1956, le peintre écrit à Bouvier qui se trouve alors à Tokyo : « J’ai vraiment hâte qu’on se mette au livre du monde », évoquant une espèce de « livre total » où se conjugueraient le texte, la photo, le dessin et même la musique. Or, en deça et au-delà de L’Usage du monde, le lecteur dispose désormais de cette nouvelle incitation polyphonique au voyage.

    Nicolas Bouvier et Thierry Vernet. Correspondance des routes croisées. 1945-1964. Texte établi et annoté par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann. Zoé, 1653p.

  • Correspondances

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    …J’oublie les noms, j’oublie les lieux et les heures, on n’est plus ici qu’un regard qui passe et qui accueille en passant, qui observe et qui aime, car observer c’est aimer disait quelqu’un d’autre qu’on aime, on note en passant, on passe sans se demander pourquoi tel événement de couleur ou d’assemblage, tel présent en devenir, telle chose que je vois ne m’appartient plus mais devient chose vue par tous notée dans la solitude et le silence de ce bord de canal ou la multitude et la rumeur de ce bar de nulle part...

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    Images : Fabien Clairefond , Canal St Martin, quai de Valmy, aquarelle, 21x27cm ; JLK, Au bord de l’Hérault, aquarelle ; Fabien Clairefond, Femme en vert, aquarelle ; Thierry Vernet, La tenancière du Schiedam, huile sur toile, 1988, 116x73cm.

  • Nicolas Bouvier l'imagier

    Le regard de Nicolas Bouvier était celui d’un poète, c’est-à-dire qu’il unifiait. C’est vrai pour son écriture concentrée et cristalline, longuement décantée et mûrie. Ce l’est aussi pour la part visuelle de son oeuvre, dont l’exposition Le Vent des routes a révélé la richesse documentaire et la beauté, réellement saisissantes. A l’occasion d’un hommage posthume à la mémoire de Gustave Roud, en 1986, Nicolas Bouvier, de passage à Lausanne, déclarait qu’il connaissait encore trop peu l’oeuvre écrite du poète, pour célébrer en revanche la grandeur du photographe. Ce n’était pas réduire l’importance du premier au profit du second, mais souligner une évidence: que les admirables paysages photographiques de Roud participaient d’un même regard de poète. En ouvrant l’album d’images et de textes réunis et présentés par Pierre Starobinski, nous découvrons, en inscription spiraloïde, faite par Bouvier sur la nappe d’un restaurant genevois, en janvier 1998, ces mots dont l’apparence sacrilège s’efface devant le grand défi ordonnateur et unificateur de la poésie lancé au chaos et à la dissolution: «La poésie est là pour corriger les erreurs de Dieu». Or, comme Gustave Roud, sur le territoire confiné de son arrière-pays, s’affairait à rassembler les fragments d’un paradis épars, l’on pourrait dire que Bouvier, du vaste monde parcouru, ramenait lui aussi les éléments dispersés d’une beauté perdue ou maquillée par trop de clichés. Rien ainsi, et dès son premier voyage de jeunesse, qui le conduit à dix-sept ans en Laponie, de conventionnel ou de convenu dans les images que le garçon rapporte à son père, lequel l’a généreusement encouragé à découvrir le monde. L’image qui en témoigne ici est déjà sûrement composée, du point de vue plastique, mais la flatterie esthétique le cède aussitôt au souci de toucher à l’os de la réalité physique et à l’âpre présence humaine. Ces deux éléments - le socle de notre bonne vieille terre, souvent ouvert aux grands espaces désertiques, et l’humain ressaisi dans sa densité et sa dignité farouche - se retrouvent tout au long du périple, à travers les Balkans et jusqu’en Inde, qui a conduit Nicolas Bouvier et son ami Thierry Vernet «sur la route», vingt ans avant les hippies, à bord d’une héroïque Topolino. Nicolas Bouvier situait le vrai début de sa carrière de photographe à son arrivée au Japon, à la fin de son premier long voyage (Thierry Vernet l’avait quitté au Sri Lanka), et le fait est que l’on voit ici son métier de photographe gagner en maîtrise, en perdant un peu du charme «archaïque» des premières prises de vue mais sans jamais s’affadir, et en gagnant souvent en beauté épurée. En commentaire d’accompagnement ou en contrepoint, des extraits de L’Usage du monde ou d’autres textes de Bouvier alternent avec les photographies, les mots et les visions du poète, et ne cessent de dialoguer, relayés parfois par un croquis à l’encre de Chine de Thierry Vernet. Avec l’ajout d’un texte inédit (En Topolino sur la route d’Agra) et de deux nouvelles de jeunesse datant de 1951, composées pour accompagner douze estampes de son ami artiste, cet ensemble est une nouvelle introduction à l’oeuvre de Nicolas Bouvier dont les éclats de rude beauté ne font pas oublier la misère du monde. Ces mots de L’Echappée belle le disent explicitement: «Ces éclairs de perfection, de fusion, de félicité totale, nous ne pouvons les vivre qu’en courant alternatif, alors que la Création, malgré son absurdité démente et sa férocité, en offre des exemples en courant continu. Et c’est heureux: trop de bonheur viendrait à bout de notre fragile organisation; nous serions brûlés comme phalènes au feu; il ne nous est donc accordé qu’en doses parcimonieuses, à la mesure de notre coeur fragile». Dans la vapeur blanche du soleil. Les photographies de Nicolas Bouvier. Avec un choix de textes. Dessins de Thierry Vernet. Introduction de Pierre Starobinski. Editions Zoé, 206pp.

  • Aux jardins Boboli

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    A Gérard Joulié.

    Ce que j’aime chez vous,
    c’est ce lord, mon ami.
    Chez vous l’élégance et la mélancolie
    diffusent comme une douce aura de nuit d'été.

    Nos conversations le soir
    à l’infini s’allongent
    au hasard des bars.
    et quand nous nous retrouvons à la nuit
    (rappelez-vous cette soirée d’été
    aux jardins Boboli, lorsque nous parlions
    de ce que peut-être il y a après)
    sur la marelle des pavés
    nous jouons encore
    à qui le premier
    touchera le paradis.

    Aux jardins Boboli, cette nuit-là,
    vous m’aviez dit que vous,
    vous croyez qu’on revivra,
    comme ça, tout entiers.
    Pour moi, vous-ai-je dit,
    je n’en sais rien: patience.
    Je ne crois pas bien,
    mais, comme au cinéma,
    j’attends:
    les yeux fermés,
    comme aux jardins Boboli de Florence
    je souris en secret.

    Comme aux jardins Boboli,
    je ne vois qu’une lueur
    à l’envers de la nuit.

    Thierry Vernet, Conversation nocturne. Aquarelle.

  • Portrait de Lady L. à la clope

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    Lady L. tient sa clope, sur le plus beau des dessins de T.V. à ma connaissance, comme s’il en était d’un crayon ou d’un diapason de musicien, et tout le dessin semble fait d’un seul trait comme il en irait d’un seul trait de pinceau chinois, mais ce n’est pas tout à fait exact, et peu importe d’ailleurs : c’est un dessin d’une ligne parfaite dont l’épure va jusqu’à figurer, par du vide, le coin de meuble sur lequel Lady L- est accoudée, pesant à peine de tout son corps détendu et paraissant allégé dans sa posture à la fois nonchalante et ferme, rêveuse et la cibiche réduite à un trait oblique qu’on pourrait prendre, sur sa main, pour un anneau d’alliance qu’à vrai dire elle n’a jamais porté...
     
    Thierry Vernet, Portrait de Lucia K, en 1986.

  • Portrait de Lady L. à la clope

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    Lady L. tient sa clope, sur le plus beau des dessins de T.V. à ma connaissance, comme s’il en était d’un crayon ou d’un diapason de musicien, et tout le dessin semble fait d’un seul trait comme il en irait d’un seul trait de pinceau chinois, mais ce n’est pas tout à fait exact, et peu importe d’ailleurs : c’est un dessin d’une ligne parfaite dont l’épure va jusqu’à figurer, par du vide, le coin de meuble sur lequel Lady L. est accoudée, pesant à peine de tout son corps détendu et paraissant allégé dans sa posture à la fois nonchalante et ferme, rêveuse et la cibiche réduite à un trait oblique qu’on pourrait prendre, sur sa main, pour un anneau d’alliance qu’à vrai dire elle n’a jamais porté...
     
    Thierry Vernet, Portrait de Lucia K, en 1986.

  • Si tu étais là...

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    (Autres bribes du désarroi)
     
    Le silence advenu,
    juste le souffle de la nuit,
    et peut-être là-bas
    la rumeur d’une rue
    ou celle de la proche forêt...
     
    Ou là-haut, au rebord
    de notre balcon sur les eaux,
    l’autre silence du Haut Lac;
    et dormir et partir -
    demain nous ferions notre sac...
     
    Au-delà du sommeil
    nous attend un autre voyage;
    attends-moi donc que je m'éveille
    et reprenne courage...
     
    La nuit ne peut se taire ainsi:
    dans l’ombre je t’entends,
    j’entends la rumeur de la vie -
    dis-moi que tu m’attends...
     
    Je t’entends t’inquiéter, déjà,
    du temps qui se réveille;
    je t’entends respirer
    au tréfonds de ton grand sommeil -
    dis-moi que tu m'entends...
     
    (Peinture: Thierry Vernet)

  • Au bonheur du jour

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    Le regard de Fabien Clairefond 

    A La Désirade, ce lundi 28 avril. – Il y avait ce matin, sur les montagnes et le lac, une lumière rare, nimbée d’une sorte de dorure bleutée et comme ombrée de l’intérieur par une fusion de bruns roux et de verts mauves, que j’ai eu la stupéfaction de retrouver, quelques instants plus tard, en découvrant les aquarelles et les peintures du jeune peintre Fabien Clairefond, lequel m’avait hier gratifié de quelques compliments pour mes propres paysages. Une révérence pour l’autre alors ? Bien plus que cela : le sentiment très rare, mais immédiat, comme à fleur de peau (on sait que l’âme est à fleur de peau), de reconnaître quelqu’un, comme je l'ai vécu le plus intensément deux fois, la première en découvrant la peinture de Joseph Czapski, laquelle me lava pour ainsi dire le regard, puis en suivant l’évolution de Thierry Vernet, des années durant. 826484066.JPGUne troisième fois, de manière plus sporadique, j’éprouvai cette proximité en voyant mon ami F. laver ses aquarelles, comme cette année-là dans les cafés de Vienne, dont l’aquarelle de Fabien Clairefond intitulé La tablée de café me rappelle immédiatement la lumière et la structure.

    Dans la foulée, je retrouve immédiatement, dans l’évocation par Fabien des toits de Belleville au crépuscule, les toits de Bellevile au crépuscule de mon ami Thierry ou, dans les esquisses de Fabien, scènes de bistrots, personnages ou paysages, les esquisses de paysages, de personnages ou de scènes de bistrots de notre ami Czapski.
    Il n’est pas de plus grand bonheur, pour qui aime écrire ou peindre, que de découvrir une nouvelle écriture ou un nouvel art. C’est mon bonheur de ce matin.106714606.JPG

    1943523620.JPGPour découvrir les travaux de Fabien Clairefond:  http://dessins-peintures-fabien.over-blog.net/

    Images: Fabien Clairefond: 1) Auriol, rochers le matin, crayon et aquarelle, 15-15cm; 2) Tablée au café, aquarelle, 13x18cm. Fin de journée à Bellevillle, huile, 2006.

    Thierry Vernet: Crépuscule à Belleville. Huile sur toile.

     

  • Ceux qui vont leur chemin

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    Celui qui se laisse guider par son instinct / Celle qui a le sens du raccourci / Ceux qui évitent les étapes de franche convivialité où l'on expose son idéal au niveau du groupe / Celui qui a découvert les verts irlandais de la montée au Lukmanier / Celle qui reste interdite devant la limpidité des cascades de la Cristallina / Ceux qui s'agenouillent naturellement (ou peut-être surnaturellement) dans la chapelle de Baselgia /Celui qui a l'impression de se trouver quarante ans en arrière en passant de Lugano aux bourgs italiens tout proches où la vie ondule encore plus librement /Celle qui constate qu'en effet la descente sur Olivone est un événement pictural pour peu que le crépuscule flamboie comme sur la plus belles toile de Thierry Vernet / Ceux qui ont rampé dans les cheminées durant leur enfance de pauvres petits ramoneurs de la Verzasca / Balades11.jpgCelui qui prise l'architecture sans architectes / Celle qui déguste son poisson en l'imaginant nager en elle / Celui qui se lève avant tout le monde pour écrire tranquille / Celle qui se demande comment disparaître / Ceux qui se trissent par l’angle mort / Celui qui rejoint son bureau par les dunes / Celle qui se réfugie dans le thé dansant / Ceux qui se cachent dans la foule / Celui qui évite les jeunes mormons motivés / Celle qui est trop lâche pour se lâcher / Ceux qui sont balisés comme des pistes de décollage où rien ne décolle / Celui qui se multiplie par un premier enfant avec celle qui le lui a fait / Celle qui sert un Martini on the rocks au père batteur de la future pianiste de concert / Ceux qui ont fait des enfants pour mettre un peu de vie dans la maison des retraités / Celui qui fait bouboume à pépère à son premier poupon alors qu’il est plutôt genre trader cynique / Celle qui découvre un père attentionné chez les macho méditerranéen qu’elle a épousé pour son argent / Ceux qui se réfugient dans les replis de leurs houris / Celui qui découvre que la révolution du jasmin a des épines sous sa barbe / Celle qui vote avec ses lessives / Ceux qui sont venus à cause des Bonus et s’en vont avec / Celui qui estime qu’un crash européen est souhaitable afin de repartir d’un bon pied / Celle qui a des réserves de riz en cas de crise / Ceux qui pratiquent la méditation transcendantale en plein quartier des affaires et même parfois à l’heure de pointe / Balades06.jpgCelui qui plaint son pays d’être devenu ce qu’il est tout en se félicitant lui-même d’être resté ce qu’il était / Celle qui estime que la vocation d’un contribuable est de contribuer / Ceux qui sont de plus en plus médusés sur leur radeau / Celui qui s’abstient de ne pas voter sans être sûr que ça se remarque / Celle qui se rappelle la propension du peintre Auguste Renoir à casser tous les angles d’un nouvel appartement au marteau / Ceux qui vont voir ailleurs si le taux de change est meilleur, etc.

     

    Images: Thierry Vernet, Crépuscule sur Olivone. Photos JLK: à Seelisberg et dans le val Verzasca.

  • Ceux qui aspirent à disparaître

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    Celui que ses amis infidèles ne peuvent oublier / Celle qui n’est elle-même que dans ses lettres d’adieu / Ceux qui partagent les mêmes sentiments sans s’en douter / Celui qui vit tout ce qu’il a imaginé / Celle qui retrouve cette amie d’enfance qui lui évoque une pendule arrêtée / Ceux qui se creusent des tombes dans la neige / Celui que son imagination du pire préserve de toute déception / Celle qui répond à toute bassesse par un regard soutenu / Ceux qui s’éloignent sans peser / Celui qui découvre les champs de Castille avec la certitude d’en avoir rêvé / Celle qui cherche ton souvenir dans les rues de Sienne / Ceux dont le ricanement t’a blessé / Celui qui ne revient que par intérêt / Celle qui n’a jamais été accueillie par quiconque / Ceux que même leurs sourires démasquent / Celui qui est amoureux des écrivains secrets / Celle que le nom des îles Lofoten remplit de mélancolie / Ceux qui pensent n’être jamais à leur place / Celui qui a expiré entre tes bras / Celle qui a souffert d’être qualifiée d’épisode dans l’autofiction du romancier à succès Untel / Ceux qui prétendent avoir vu Thomas Pynchon à la pharmacie de le rue Vaneau et en font un plat / Celui qui réserve un hôtel n’importe où pour y séjourner il ne sait combien de temps, etc.

    Thierry Vernet, Au bord du Cher. huile sur toile. P.p.JLK

  • Ceux qui prennent le large

    Vernet2.JPGCelui qui ressent physiquement le poids du monde / Celle qui se sert de l’enfant pour enfoncer son ex / Ceux qui refusent toute descendance / Celui qui cite à tout moment ses propres travaux /Celle qui passe ses jours avec des cancéreux et ses nuits sur des poèmes abscons / Ceux qui pallient leur solitude dans les grandes surfaces / Celui qui mord soudain son collègue du bureau de poste de la rue des Ursulines / Celle qui se refuse par principe aux athées déclarés / Ceux qui sont fiers de leur grosse cylindrée / Celui qui aime vous savoir exister / Celle qui ne veut pas montrer ses sculptures à son cousin docteur en histoire de l’Art / Ceux qui gèrent la fortune des tyrans du Tiers Monde / Celui qui affirme que le problème des vieux doit être solutionné sans états d’âme / Celle qui offre toujours un pyjama de pilou à son neveu Léon / Ceux qui ont un problème avec le « top 5 » du formel de sevrage du fumeur / Celle qui regarde sa montre pendant ce qu’elle appelle l’Acte / Ceux qui ne portent que des écharpes Paul Smith / Celui qui fond en larmes en plein conseil de guerre mafieux / Celle qui ramasse les mouchoirs dans les cinémas X / Ceux qui parlent à leur hamster / Celui qui lit en diagonale / Celle qui s’écrit à elle-même des lettres chaudes / Ceux qui rêvent d’escalader le Makalu par sa face sud-sud-est / Celui qui se fait un point d’honneur de prendre tous les virages à la limite / Celle qui pense que ce n’est pas le chemin qui est difficile mais que c’est le difficile qui est le chemin / Ceux qui se grisent de l’odeur de transpiration très aigre des jeunes garçons, etc.

    Peinture: Thierry Vernet.